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    275. Quand on prend de la bouteille

    Une étude récente parue dans The Lancet avance que dès le premier verre d’alcool nous sommes exposés à des dangers multiples. Cette fâcheuse nouvelle a peut-être diffusé comme une traînée de poudre blanche parmi les pochards et les pochardes qui ont les moyens de boire du bon vin, mais sans doute pas parmi les habitants de nos rues à ciel ouvert pour qui le litre de rouge bon marché constitue leur chauffage central pendant l’hiver. Cette nouvelle inquiétante laisse totalement indifférentes les nouvelles mendiantes importées du Moyen-Orient qui, voile sur la tête et progéniture dans les bras, constellent les couloirs du métro parisien et pour lesquelles, Allah merci, l’alcool est interdit.

    Une telle étude étonne par sa radicalité, ce qui amène à soupçonner une manipulation des données (ce qui semble être le cas) pour démontrer ce qui heurte le bon sens le plus élémentaire, c’est à dire qu’un verre d’alcool puisse changer votre destinée, en dehors d’un accident provoqué par une ivresse au volant. Le vin étant évidemment inclus dans la consommation d’alcool, cette étude ne tient pas compte de celles qui montrent que le vin, à doses très modérées, a des vertus expliquant pour certains le « paradoxe français » de la fréquence moindre des maladies cardiovasculaires par rapport aux pays du nord de l’Europe malgré une alimentation à la française plutôt riche. C’est ainsi que les médecins, qui échappent pour la plupart aux études du genre mais pas au sexisme, préconisent à leurs patients de ne pas dépasser : 14 verres de vin par semaine s’ils sont du sexe masculin et seulement 8 s’ils sont du sexe féminin sans le moindre souci de respecter la parité à cet égard. A ma connaissance aucune détermination n’a été faite pour les autres genres qui tendent à se multiplier à défaut d’enfanter.

    Quand on prend de la bouteille, on n’est que modérément impressionné par les études, surtout lorsque leurs conclusions radicales se veulent révolutionnaires, car on a eu le temps de voir les études défiler en montrant tout et son contraire. Il suffit d’attendre.

    C’est ainsi que, tout jeune médecin, il m’était enseigné de rechercher une cause à l’hypertension artérielle chez tous les patients qui en étaient atteints – il faut dire qu’à l’époque le budget de l’assurance maladie était peu ou pas troué - pour ne le faire plus tard que dans les cas sélectionnés.

    Il fut un temps où les béta-bloquants étaient formellement contre-indiqués lorsque le cœur était défaillant pour devenir ultérieurement formellement indiqués dans ce même cas (mais à doses très progressives).  

    Jusqu’à présent on avait tout intérêt à tenter d’élever le taux du « bon cholestérol » (HDL), il vient de paraître une étude qui affirme qu’il deviendrait mauvais s’il est trop haut.

    Des études montrent que les sucres ne seraient pas bon pour la santé, ce qui conduirait, du coup, à privilégier les graisses qui, jusqu’à présent, n’étaient pas bon pour les artères, et les viandes rouges accusées d’être cancérigènes.

    Il est certain que la vie est dangereuse - la preuve est que l’on en meure - et ces fichus médecins n’ont pas fini de regarder dans nos assiettes et dans nos verres avec une insistance qui finit par nous couper l’appétit et la soif car les légumes, les fruits et l’eau, qui, pour l’instant, sortent toujours indemnes des critiques, s’avèrent un peu lassants à la longue.

    Illustration de Degas : « Absinthe »    


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  • 274. La chimie ! Vous dis-je

    Images de neurones saisies par la chercheuse Alexandra Auffret

    (et non le ciel et la mer à travers des branches d'arbres)

    Une étude est parue récemment sur le suivi pendant 5 ans de plus de 400 patients atteints de la maladie de Parkinson et traités par des médicaments visant à pallier le déficit en dopamine dans certaines structures de leur cerveau. Le déficit de ce neurotransmetteur au niveau des connexions entre neurones étant responsable de la maladie. La dopamine est une molécule impliquée, entre autres, dans la sensation de satisfaction et de récompense.

    Près de la moitié des patients traités par ces médicaments qui miment l’action de la dopamine (« agonistes dopaminergiques ») cèdent à leurs impulsions et n’ont pas hésité à satisfaire leurs envies pouvant aboutir à des troubles alimentaires, une hyperactivité sexuelle, des achats compulsifs, une dépendance au jeu et même à l’exhibitionnisme, mais aussi à l’augmentation de la créativité artistique ou littéraire.

    La dopamine joue-t-elle un rôle dans ce qui serait une addiction au shopping ? L'oniomanie, trouble lié à l'achat compulsif qui toucherait environ 1% (6% dans certaines études) de la population mondiale (60% de femmes). Anxiété du manque qui ne peut être comblée que par l’achat.

    Est-ce la peur de manquer qui pousse de façon incompréhensible (pour moi) des gens qui ont tout et qui en veulent davantage jusqu’à se perdre. Combien a-t-on vu de gens fortunés prendre des risques insensés pour agrandir leur fortune, une augmentation qui ne leur sert strictement à rien. C’est sans doute plus un jeu qu’une nécessité. Ainsi en est-il de l’ex-roi Carlos d’Espagne qui devait entrer dans l’histoire auréolé d’avoir rétabli la démocratie dans son pays après la dictature de Franco, et d’avoir par la suite fait échouer un coup d’Etat. Cet homme qui jouissait d’un grand prestige, et à qui rien ne manque, est en passe d’être accusé de malversations, fraude fiscale, comptes en Suisse. Etait-il dans le besoin pour s’embarquer dans une telle galère ? Il y a de la chimie là-dessous.


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  • En cette période caniculaire on nous invite à boire. Faut-il boire même si l’on n’a pas soif ? La sensation de soif est un excellent signal de régulation du métabolisme de l’eau de notre organisme. Des personnes, notamment les sportifs, on tendance à devancer l’appel, mais boire sans soif n’est pas dénué de danger même quand il ne s’agit pas d’alcool ; une consommation hydrique trop importante peut être mortelle par encéphalopathie hyponatrémique (abaissement par dilution du taux de sodium dans le milieu intérieur). En 2015 on citait le cas d’un jeune ayant bu plus de 16 litres durant un exercice d’endurance afin d’éviter des crampes musculaires, il n’a pas eu le temps d’avoir des crampes car son cerveau n’a pas aimé baigner dans une eau peu salée et il en est mort. Un cas a également été décrit chez un adepte du yoga, exercice où les efforts sont pourtant limités. Les alcooliques seront sans doute satisfaits d’apprendre qu’un abus d’eau est dangereux pour santé.

    Cependant chez les personnes âgées exposées à une température caniculaire, le phénomène régulateur de la soif est souvent émoussé, exposant aux conséquences également dramatiques d’une déshydratation sévère, et il leur est permit de boire régulièrement même sans soif.

    Et pour vous rafraîchir :

    Paul Cézanne : La fontaine

    L'EAU DES FONTAINES    

    Il y a des pays    

    Où il n’y a pas de fontaines  

    Des pays sans eau  

    Des pays malheureux  

    Il y a des pays    

    Où il y a de l’eau    

    Mais pas de fontaines    

    Ce sont des pays heureux    

    Mais qui n’ont rien compris

             

    Les fontaines    

    On les entend avant de les voir  

    La chanson joyeuse et familière    

    De l’eau clapotant dans l’eau    

    De l’eau éclaboussant la pierre  

    Un chant de promesse de bonheurs  

    Le bonheur d’apaiser la soif    

    Le bonheur de fraîcheur    

    Le bonheur de pureté

     

    Bien sûr il y a les fontaines royales    

    Avec leurs jets d’eau domestiquée  

    De l’eau qui fait des ronds  

    De l’eau qui fait le beau    

    De l’eau qui fait la roue    

    Pour se faire bien voir    

    Mais elle n’est pas à boire

     

    Les petites fontaines sont bien plus belles  

    Au milieu d’une place nue    

    Avec leur chant de chanterelle  

    Coulée de fraîcheur têtue    

    Sur la pierre douce arrondie par l’usure    

    Quelques herbes en houppes    

    Et un peu de mousse au mur    

    Dans ses mains en coupe    

    Pour exaucer une prière    

    On recueille l’eau claire    

    Que l’on boit goulûment    

    Sans retenue bruyamment  

    En serrant les doigts pour éviter les pertes    

    Le visage mouillé de fraîcheur  

    Le menton humide le sourire éclos    

    Sur une place déserte  

    Ecrasée de chaleur    

    Où les maisons volets clos    

    Abritent les dormeurs

         

    Paul Obraska


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  • 272. La meilleure façon de recruter« L’American College of Cardiology et l’American Heart Association ont récemment modifié leurs recommandations pour les stratégies de prise en charge de l’hypertension artérielle. Le seuil d’hypertension est maintenant fixé à 130 mm Hg pour la systolique et 80 mm Hg pour la diastolique, contre 140 et 90 antérieurement. Le « guideline » préconise que le seuil de traitement soit fixé à 140 mm Hg et 90 mm Hg, sauf pour les personnes de 65 ans et plus » (JIM.fr 22/07/18). Il est même préconisé de traiter les patients présentant des facteurs de risque cardio-vasculaire dès 13/8 en cm Hg.

    La frontière entre la normalité et la pathologie étant déplacée par cette décision, des gens jusqu’alors considérés comme normo-tendus vont se retrouvés hypertendus et glisser de la santé à la maladie, ce qui les conduira à devoir prendre un traitement susceptible de leur provoquer des troubles qu’ils n’avaient pas.

    Bien sûr, si la modification de la norme est motivée sur le plan de la prévention, elle a néanmoins provoqué nombre de réactions pour ce qui concerne les patients à faible risque, et combien de nouveaux malades vont-ils arriver sur le « marché » ? Si je suis réticent à utiliser le terme de « marché » pour les relations médecin/patient, je n’ai aucune réticence à l’employer s’agissant des laboratoires pharmaceutiques. Le nombre de nouveaux malades si ces nouvelles recommandations sont adoptées a été estimé pour les USA et la Chine et il est considérable :

    « Aux États-Unis, 70,1 millions de personnes de 45 à 75 ans seraient en effet classées comme ayant de l’hypertension, soit 63 % de cette classe d’âge. En Chine, cela concernerait 267 millions de personnes, soit 55 % de la classe d’âge. Cela représente une augmentation relative de 26,8 % aux États-Unis et de 45,1 % en Chine par rapport à la prévalence basée sur les recommandations en vigueur jusqu’à présent. »[1] 

    En médecine, la fixation des normes peut s’avérer délicate et la frontière entre la santé et la maladie ressemble parfois à ces frontières qui passent au milieu d’un village où en changeant de trottoir, on change de pays. Mais si la chaussée d’un village c’est du dur, la tension (ou pression) artérielle (TA), c’est du variable.

    J’ai toujours été étonné par la précision des chiffres quand on parle de TA aussi bien pour les normes que pour les résultats des études où les variations rapportées sont parfois de l’ordre de quelques mm Hg. Dans la « vraie vie » la TA est un paramètre qui ne cesse de bouger. Si la TA est prise plusieurs fois de suite, il est fréquent de ne jamais retrouver les mêmes chiffres même au repos. Souvent la TA n’est pas la même aux deux bras et il peut donc arriver à la limite que l’on soit hypertendu à un bras et normo-tendu à l’autre. La TA est bien entendu fonction de notre activité physique et de nos émotions où elle s’élève. On voit donc que la précision des normes telles qu’elles seraient fixées par les nouvelles recommandations est sujette à caution, et pour affirmer que quelqu’un a une hypertension artérielle dans la zone limite, il faut s’entourer de précautions (mesures répétées, mesure ambulatoire, automesure) car la TA peut paraître élevée chez le médecin (« effet blouse blanche ») ou au contraire plus basse au cabinet que dans la vie courante (hypertension cachée).

    La médecine a de plus en plus le goût des chiffres, sans doute la nostalgie de ne pas être une science « dure ».

     

    [1] Khera R et coll. : Impact of 2017 ACC/AHA guidelines on prevalence of hypertension and eligibility for antihypertensive treatment in United States and China: nationally representative cross sectional study. BMJ 2018 ; 362 : k2357.

     


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  • Une très brève et incomplète histoire de l'amour masculin

    Les revers de la conquête

    « L'amour est une agitation éveillée, vive et gaie...Elle n'est nuisible qu'aux fols » disait Montaigne. Des études ont montré que le mariage était bon pour le système cardiovasculaire, à condition toutefois que la relation conjugale soit satisfaisante. D'une façon générale, l'amour partagé est favorable à la santé, mais chacun sait qu'il peut être la source de bien des maux. Ô préservatif ! « Préserve-moi de mes amis, mes ennemis je m'en charge ». Des amoureux, même sages, ne sont pas à l'abri du danger. Ils sont exposés à la maladie du baiser (mononucléose infectieuse), le garçon est en outre menacé de paralysie radiale s'il laisse la tête de sa promise trop longtemps appuyée sur son bras, sans oublier la fracture du talon lorsqu'il saute par la fenêtre de la chambre à l'arrivée du père soupçonneux (syndrome de Roméo). Encore que par les temps qui courent, ce soit parfois le père menacé qui saute par la fenêtre après son intrusion intempestive.

    La maladie d'amour

    Jusqu'au XIXe siècle, les troubles du comportement dus à la frustration amoureuse étaient considérés comme une vraie maladie. Elle atteignait particulièrement les beaux-fils qui tombaient amoureux d'une belle-mère, bien entendu jeune et jolie. Hippocrate en fit le diagnostic chez le roi de Macédoine Perdicas II. Erasistrate en fit de même chez  Antiochus, et Avicenne pour un prince de Rhages en Perse. Au XVIIIe siècle, on se pose toujours la question : « L'amour peut-il être guéri par les plantes ? » (Thèse de Doctorat. François Boissier de Sauvages 1726).

    Une façon moderne et plus radicale que les plantes pour calmer sa flamme est d'incendier ou de défigurer la femme qui se refuse ou de l'enlever pour la forcer au mariage et la tuer devant des policiers comme cela vient de se produire au Kirghizstan.

    Au XIXème, on parle d'hystérie puis la psychanalyse s'en empare. De nos jours les médecins ne sont plus sentimentaux. Les seuls concernés sont les sexologues qui comme leur nom l'indique s'intéressent au sexe et non pas à l'amour. « Il m'avait toujours semblé que lorsque la sexualité tend à se muer en sexologie, la sexologie ne peut plus grand chose pour la sexualité » (Romain Gary).[1]  Cependant William Masters et Virginia Johnson, eux, sont passés de l'un à l'autre : réalisant les recherches fondamentales en sexologie, publiées en 1968 (Les Réactions sexuelles), William a fini par épouser Virginia, on ne peut impunément assister au coït des autres.

    L'amour dopé

    Le philtre d'amour est de tous les temps. Un des plus anciens est le fruit de la mandragore, offrande de Rachel à Léa pour coucher à sa place avec Jacob (Genèse 30/14). Un des plus utilisés, et des plus dangereux, a été la mouche de Milan ou cantharide qui réduite en poudre provoquait les érections souhaitées mais aussi des néphrites souvent mortelles. L'ecstasy l'a remplacée, vendue dans les grandes surfaces des rave parties, tout aussi dangereuse, pouvant provoquer des dégradations cérébrales sévères, même après une seule prise. L'argument libido est toujours présent pour faire vendre les vitamines et autres compléments alimentaires.

    La médecine traditionnelle chinoise attribue à la bile d'ours le pouvoir de guérir de nombreuses maladies et bien entendu de restaurer ou accroître les capacités sexuelles masculines. D'où un braconnage et surtout un élevage des ours, en Chine, Corée, Vietnam. Cette exploitation sans fondement des ours n'atténue en rien l'admiration béate de certains pour des médecines qui n'ont d'autre qualité que l'exotisme. Dans ces mêmes régions on attribue au phallus des phoques des vertus aphrodisiaques. C'est un des motifs de leur massacre à coups de gourdin sur la banquise, rouge de leur sang.

    Il est moins exotique, plus facile et moins cruel d'accroître le flux sanguin au bon endroit en avalant au bon moment un inhibiteur sélectif de la phosphodiestérase du type 5.

    En avoir ou pas

    Les hommes inquiets par la baisse de leur virilité se doutaient bien depuis longtemps que les testicules devaient contenir un principe actif. Dans l'antiquité et au Moyen Age, les testicules de castor étaient utilisés pour fabriquer des drogues et pommades et la légende voulait que le castor poursuivi par un chasseur se châtrait lui-même pour éviter d'être tué. Légende sans fondement car les testicules de castor sont internes. A la fin du XIXe siècle, c'est un américano-anglo-français venu de l'île Maurice, successeur de Claude Bernard, Edouard Brown-Séquard qui découvrit que même quand ils sont externes les testicules sont aussi des glandes à sécrétion interne. A 72 ans il s'injecta des extraits de testicules de chiens et cobayes et constata avec satisfaction que ses «  ardeurs défaillantes »[2] étaient ranimées. Mais cet effet s'avéra fugace. Dans les années 1920  le russo-français Serge Voronov, directeur du laboratoire de chirurgie expérimentale du Collège de France et son frère Georges greffèrent des testicules de singe, d'abord sur un arriéré, puis sur un vieil anglais disposant apparemment de toutes ses facultés et enfin sur des membres de l'intelligentsia et l'Archevêque de Paris. Ce « traitement paraît si prometteur que les compagnies d'assurances l'interdisent aux porteurs de rentes viagères »[3]. En Amérique, c'est le professeur d'urologie de Chicago, Lespinasse, qui greffa des morceaux de testicules humains récupérés après suicide ou exécution.

    Des fourmis dans un membre

    Une autre recette possible à base de fourmis est donnée par Maïmonide :"Prenez une unité d'huile de carottes, une autre de radis et un quart d'unité d'huile de moutarde. Mélangez et ajoutez-y une demi- unité de fourmis jaunes vivantes. Exposez l'huile au soleil durant quatre à sept jours. Oignez-vous-en le membre deux ou trois heures avant les rapports. Vous constatez qu'il se maintiendra même après l'émission de sperme. Rien de plus efficace n'a été trouvé en ce domaine !... " [4].

    Illustration : Bonnard "Homme et Femme"


    [1] Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable 

    [2] Bariéty et Coury, Histoire de la médecine

    [3] M. Dupont, Dictionnaire historique des médecins

    [4] Cité par R.Küss et W. Gregoir, Histoire illustrée de l'urologie

     

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  • Mais on pourrait également affirmer l’inverse : ce qui est dit ou montré n’existe pas toujours ou n’est pas forcément vrai.

    En septembre 2012, j’avais écrit un petit article après la publication d’une étude du Pr Gilles-Eric Séralini censée montrer la toxicité d’un maïs génétiquement modifié (voir 118. Les OGM, graines de discorde). Cette étude fit grand bruit et fut bien orchestrée sur le plan médiatique avec notamment une couverture du Nouvel Observateur que certains pourraient qualifier de putassier et que je qualifierais de malhonnête et d’irresponsable :

    271. Ce qui n’est pas dit ou montré, n’existe pas.

    Rapidement, il est apparu que la méthodologie de cette étude était très critiquable et qu’il a semblé que le Pr Séralini mêlait un peu trop science et militantisme puisqu’il est persuadé de la nocivité des OGM, et que, comme tout militant, il possède la réponse avant de débattre de la question. Devant les biais de cette étude, sa publication dans une revue scientifique (Food and Chemical Toxicology) fut par la suite retirée, à noter cependant que son comité de lecture aurait pu s’en apercevoir avant de la publier.

    Quoi qu’il en soit, le Pr Séralini fit suffisamment de bruit avec ses rats boursoufflés de tumeurs pour provoquer une inquiétude de la part des autorités et susciter des études plus sérieuses. C’est ainsi que les autorités françaises et européennes ont lancé trois programmes de recherche concernant la toxicité des maïs génétiquement modifiés (GRACE, GTwYST et GMO90+). Leurs résultats ont été présentés au mois de juin par l’Association française des biologistes végétaux (AFBV) et viennent contredire l'étude de Séralini :

    « Les résultats de ces programmes de recherche confirment l’absence d’effets sur la santé des maïs porteurs de MON 810 et NK 603 dans les études à 90 jours. (…) Les études à long terme (un an et deux ans), ne mettent en évidence aucun effet toxique des maïs analysés et n’apportent rien de plus que les études à 90 jours, comme l’avaient prévu les toxicologues. Ainsi, l’AFBV constate que ces nouvelles études réfutent les principales conclusions tirées des études de GE Séralini sur la toxicité des maïs « OGM » analysés : aucun risque potentiel n’a été identifié. En outre, elles contredisent ses propositions sur la nécessité de réaliser des études à long terme. Pour l’AFBV, il est donc important que les consommateurs européens soient maintenant informés des résultats de ces études qui devraient les rassurer sur la qualité pour leur santé des plantes génétiquement modifiées autorisées à la commercialisation et sur la procédure d’évaluation européenne, déjà la plus rigoureuse du monde » (communiqué de l’AFBV rapporté par JIM.fr).

    Bien que le service de presse de l’AFBV ait envoyé les conclusions de ces travaux à 150 journalistes et 250 parlementaires, on ne peut pas dire que leur divulgation ait eu le même retentissement que l’étude fracassante de Séralini « Même l’AFP n’a pas voulu passer une ligne » affirme un représentant de l’AFBV.

    Il est évident que pour les médias une information rassurante est beaucoup moins « sexy » qu’une information inquiétante, et qu’une information faisant état de leurs erreurs reste discrète. A cela il faut ajouter que les mouvements d’opposition comme celui des anti-OGM semblent avoir la sympathie des médias, toujours attirés par les conflits, sans parler de leur prudence devant le caractère souvent belliqueux des militants en règle persuadés d’être détenteurs de la vérité même lorsqu’elle n’a pas été démontrée.

    On peut attendre en vain une couverture rectificative du Nouvel Obs aussi péremptoire que la précédente affirmant que l’on vient de démontrer que « Non, les OGM ne sont pas des poisons ! ». Les médias ont préféré donner la parole à GE Séralini en parlant de « guerre de communication ». On voit que le « chercheur » de Caen préfère quitter le domaine scientifique, et la confrontation sur la valeur des études en cause, pour rejoindre celui de la médiatisation. Le Pr Séralini a en effet tout intérêt à quitter la science où sa faiblesse est manifeste, pour rejoindre celui de la communication où il a prouvé en 2012 sa maîtrise.

    Le Nouvel Obs. à peine troublé par les trois études qui viennent contredire celle de Séralini, lui a donné plutôt la parole. Je suis incompétent pour juger des arguments avancés pour sa défense (qui m'ont cependant paru à la lecture un peu tirés par les cheveux), mais le mis en cause s’est surtout élevé contre le détournement de fonds publics pour « discréditer » ses travaux. Je ne connais pas le Pr Séralini mais je trouve qu’il ne manque pas de culot : il publie une étude discutable, mais inquiétante, et il proteste que l’on soit dans l’obligation d’en vérifier la validité dans le strict respect d’une démarche scientifique. Il est en effet regrettable que la peur des pouvoirs publics après son étude d’emblée sujette à caution ait conduit à dépenser plusieurs millions d’euros pour l’infirmer. On comprend aussi que le Pr Séralini aurait préféré que l’on ne vérifie pas les résultats de son étude. C’est humain, mais détestable.


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  • L’OMS a fait connaître le 18 juin dernier la 11ème version de sa classification internationale des maladies (CIM 11). Ce travail qui a demandé 10 ans sera présenté à l’Assemblée mondiale de la Santé, en mai 2019, pour adoption par les États Membres, et entrera en vigueur le 1er janvier 2022.

    Il est intéressant de noter que les classifications médicales internationales qui devraient ne tenir compte que des données de la science sont en fait influencées par l’évolution des normes sociétales et des problèmes judiciaires qui peuvent en découler.

    C’est ainsi que le transsexualisme considéré jadis comme une perversion sexuelle est devenu ensuite une maladie mentale, ce qui a soulevé les protestations des intéressés, pour devenir dans la dernière version une « incongruence du genre », utilisation inadéquate d’un terme habituellement employé pour qualifier le rapport des deux segments d’une fracture osseuse (le terme de « dissonance » est moins brutal). Il était également envisagé (je n’ai pas vérifié si cela a été fait) de sortir certaines paraphilies des perversions sexuelles comme le fétichisme, le transvestisme fétichiste ou le sadomasochisme dès lors qu’il est pratiqué avec le consentement des participants.

    Certains s’opposent au diagnostic « d’incongruence de genre » chez l’enfant, jugeant que cette « pathologisation » de la diversité de genre contrevient aux droits des individus transgenres. Ces opposants sont très imprudents car la CIM 11 en inscrivant « l’incongruence de genre » comme un des aspects relatifs à la santé sexuelle permet de l’extraire de la catégorie des troubles psychiatriques, tout en la conservant dans la classification des maladies, ce qui permet aux assurances maladie de prendre en charge les frais de la transformation sexuelle et de la prescription à vie des hormones pour maintenir l’artifice. Rejeter toute pathologie, c’est rejeter tout remboursement.

    Dans la CIM 10 la transsexualité était classée dans les "troubles de l’identité sexuelle" ce qui était considéré comme stigmatisant. Je veux bien croire que classer son ressenti parmi les maladies mentales soit mal vécu (attitude qui stigmatise d’ailleurs les malades mentaux), mais j’aimerais que l’on m’explique la différence entre « trouble de l’identité sexuelle » et « incongruence du genre » sinon par l’apparition du concept de « genre » car se considérer comme du genre opposé à son sexe biologique est évidemment un trouble de l’identité sexuelle puisque celle-ci est double et non superposable. La notion de genre est plus subjective qu'objective et plus sémantique que réelle car le sexe lorsqu'il est déterminé est invariable quel que soit le genre que l'on désire vivre.

    Quoi que l’on puisse dire, en l’absence d’anomalie organique à l’origine du ressenti d'appartenance à l'autre sexe (ou genre), celui-ci est forcément mental, ce qui n’a rien de péjoratif. Evidemment, si l’on considère que le transsexualisme est une modalité de la norme, il faut admettre que la norme n’existe pas, y compris celle qui a permis le développement et la pérennisation de l’espèce.

    On peut néanmoins penser que le transsexualisme a de l’avenir, surtout avec les progrès du féminisme. Je viens d’apprendre (Slate) qu’au Mexique où est imposée une stricte parité entre les hommes et les femmes pour toutes les candidatures au Congrès et que les transgenres ayant acquis le genre féminin peuvent se présenter dans le quota des femmes, quinze hommes auraient usurpé le statut de transsexuelles pour pouvoir se présenter. Les hommes « cisgenres » qui se sentent à leur place dans leur corps, ce qui est, j’en conviens, d’une banalité à pleurer, ont du souci à se faire.


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  • En lisant un article du biologiste J.F. Bouvet paru dans Le Point d’aujourd’hui, j’ai appris avec surprise qu’en France, en 2016, le nombre de femmes qui firent le don d’ovocytes fut plus du double de celui des hommes pour leur sperme (540/255). Surpris, car je pensais l’inverse puisque le don de sperme est simple et sans déplaisir, alors que celui d’ovocytes est plus complexe et ne comporte que des désagréments pour leurs donneuses. Cela confirme l’altruisme féminin car dans l’hexagone le don de gamètes est pour l’instant gratuit et anonyme, et ceci explique aussi la pénurie de gamètes françaises.

    Ailleurs, le commerce de la semence et l’œuf humains est florissant et obéit à toutes les lois du marché. En Amérique du Nord, les étalons et les pouliches sont choisis avec soin dans les banques sérieuses, les qualités des donneurs et des donneuses sont vantées et le prix est en rapport, on attire les consommateurs par des promotions, une banque américaine propose ainsi deux flacons de sperme d’un donneur renommé pour le prix d’un. Il existe même au Royaume-Uni une application pour smartphone qui permet d’avertir les clients que leur commande, selon le profil souhaité et enregistré en ligne, est à leur disposition.

    Dans un article de la Revue du Praticien de mai 2018, j’ai noté que chaque année plus 1000 Françaises se rendent en Belgique pour y bénéficier d’une insémination, non pas avec du sperme belge, mais pour la plupart avec du sperme danois car elles se procurent des paillettes en provenance de la banque de sperme danoise Cryos qui fournit en paillettes tous les pays d’Europe. Au Danemark les donneurs sont franchement rémunérés et il ne semble pas y avoir de limitation du nombre d’enfants né d’un seul donneur (ce nombre est limité à 10 en France). Une extension du nombre d’enfants par donneur augmente également la probabilité d’une rencontre entre des individus ayant le même père biologique.

    On voit qu’il faut s’attendre à avoir beaucoup de petits demi Danois à travers l’Europe, notamment en France où le bon sperme devient rare. On peut également se poser une autre question : en raison de la libre circulation des gamètes gelées en Europe que devient le « droit du sang » ?


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  • On sent que Mme Agnès Buzyn, notre ministre de la Santé, est très mal à l’aise avec l’homéopathie dont elle affirme qu’elle n’agit que comme un placebo, mais sans oser la dérembourser (128,5 millions € en 2016) car il s’agit d’un placebo manipulé par 5000 praticiens homéopathes et apprécié par de nombreuses personnes, y compris l’ancienne ministre de la santé, Roselyne Bachelot, dont le chien, selon ses dires (pas ceux du chien), semble avoir apprécié cette « thérapeutique ». Alors pour clore ce débat embarrassant, Mme Buzyn a fini par déclarer doctement qu’une évaluation de l’homéopathie serait nécessaire.

    Déclaration parfaitement ridicule car cela fait au moins un siècle que cette évaluation a été faite, que de nombreuses instances scientifiques en Europe ou aux USA se sont prononcées récemment et n’ont accordé à l’homéopathie qu’un effet placebo. Aux USA il a même été imposé de signaler sur les boîtes de granules l’absence de preuves scientifiques de l’efficacité du produit vendu.

    De plus, les quelques études qui ont comparé l’homéopathie à l’absence de traitement n’ont pas montré de différences entre elles ce qui jette même un doute sur l’effet placebo de l’homéopathie (Le Point).

    L’homéopathie illustre à la fois la nécessité pour un médecin d’agir, même lorsqu’il doute de l’efficacité de sa prescription, et du besoin du patient d’être traité, même lorsqu’il est amené à guérir spontanément.

    Par contre, c’est sans doute avec raison que la ministre de la Santé envisage le déremboursement des médicaments aujourd’hui prescris pour traiter la maladie d’Alzheimer (Ebixa, Aricept, Exelon et Reminyl). Leur l’efficacité n’est aucunement démontrée mais surtout ils sont susceptibles de provoquer de sérieux effets secondaires. Leur service rendu est donc des plus discutables. Cette perspective de déremboursement est évidemment critiquée par des médecins et les associations s’occupant de cette maladie avec trois arguments principaux :

    - Iniquité entre ceux qui auront les moyens et ceux qui ne les auront pas de se payer ces médicaments. On pourrait, à mon avis, parler d’iniquité en sens inverse, car les plus pauvres éviteront de dépenser de l’argent pour des médicaments peu ou pas efficaces et parfois mal tolérés

    - C’est au moment où la fréquence de la maladie augmente avec le vieillissement de la population (le nombre de cas est estimé en France à plus de 850000) que l’on dérembourse son traitement. Argument curieux : le nombre de malades ne rend pas le traitement actuel plus efficace et mieux toléré.

    - Comment pourra-t-on traiter les patients  si les médicaments ne sont plus remboursés ? L'ennui est que le traitement actuel ne change pas le cours de la maladie. Mais il est difficile, comme le disait François Magendie, d’essayer de ne rien faire, l’homme étant un imbécile actif ayant la passion de l’intervention d’après Fernando Savater (voir « Primum non nocere »)

    Alors, j’ai une idée : pourquoi ne pas utiliser davantage l’homéopathie pour traiter les troubles de la mémoire des patients atteints de la maladie d’Alzheimer puisque des homéopathes prétendent que les granules du laboratoire Boiron ont le souvenir des molécules actives disparues qui les ont traversés. Il s'agirait alors d'un transfert de mémoire.

    268. La difficulté de ne rien faire


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  • Au début de ce mois a débuté un vaste programme espérant inclure un million de participants, recrutés dans sept villes américaines (Birmingham, Chicago, Detroit, Kansas City, Nashville, New York et Pasco). Ce programme élaboré et conduit par les Instituts nationaux de la santé (NIH) doté de 1,45 milliards de dollars alloués pour une période de dix ans par le gouvernement américain a pour objectif « de déterminer avec précision les différents marqueurs génétiques, sociaux ou comportementaux, qui favorisent le développement de certains facteurs de risque ou maladies ou au contraire qui semblent conditionner le maintien en bonne santé. »

    La médecine prédictive appliquée à des populations entières est en marche. Une gigantesque base de données va être constituée, ultra sécurisée (vraiment ?), qui recensera toutes les informations des dossiers médicaux, des questionnaires sur l'alimentation, le sommeil, l'environnement et d'autres aspects de la vie quotidienne. Les recherches s'orienteront dans des domaines très variés, allant de la sensibilité particulière à certains médicaments à la prédisposition à différents cancers

    Soulignons que l’on fera appel à des capteurs connectés et à des prélèvements ADN sur le plus grand nombre de participants, afin de mettre en place une des plus importantes « biobanques » du monde.

    Le secrétaire d'État américain à la santé est très fier de la mise sur pied de ce programme. Il a sans doute raison. Mais, pour ma part, je sens qu’une partie de mon cerveau est réticent, une rébellion synaptique qui me fait honte, aussi ai-je demandé à cette partie rebelle ce qu’elle trouve à redire à cette enquête monumentale qui touchera aussi bien les noirs (habituellement moins surveillés sur le plan médical) que les blancs.

    D’une façon générale, je n’ai pas trop de sympathie pour les surveillances collectives de la part d’une autorité quelconque surtout lorsqu’elle porte sur l’intime. Pourtant, là, elle peut être d’une grande utilité si elle précise les facteurs environnementaux susceptibles d’influencer notre santé car ces facteurs peuvent être corrigés, à condition que l’on n’oblige pas à ce qu’ils le soient. Aux USA des entreprises (dont peut dépendre l’assurance maladie) ont ainsi obligé certains de leurs employés à modifier leur comportement sous peine de rétorsions.

    La partie rebelle de mon cerveau se méfie des prélèvement ADN. L’ADN c’est vraiment un truc très intime. Et que peut-on y trouver ? Des gènes prédisposant à des maladies graves. Cela vous plairait que l’on vous annonce que vous risquez d’avoir une maladie grave et peut-être sans traitement efficace ? Une maladie qui n’apparaîtra peut-être pas, mais il va falloir vivre avec cette hantise. Cependant, me dira-t-on, le savoir permettra de mieux vous surveiller, de prendre des précautions et de vous traiter plus vite. Sans doute, mais allez-vous vivre mieux avec cette épée de Damoclès ? D’autant plus qu’elle peut ne jamais tomber.

    En fait, il est certain qu’une épée tombera, mais ce n’est pas forcément celle qui est prévue par les prédictions.

    Nous vivons dans le provisoire et dans l’incertitude, mais c’est cette incertitude qui nous permet de vivre le présent en attendant qu’une épée tombe. On se doute bien du moment où elle tombera, mais on n’est jamais sûr de sa forme.

    J’ai tendance à éviter les cartomanciennes, qu’elles exercent dans les foires ou dans la science.

    267. Plaidoyer pour l’incertitude


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