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    C’est une évidence. Elle l’était un peu dans le passé, elle l’est beaucoup à présent. La médecine est un spectacle dont les découvertes et les techniques sont le décor, les médecins-vedettes les acteurs et dont nous sommes tous, tôt ou tard, les figurants. C’est le plus vaste théâtre du monde sans jamais de relâche.
     
    Le cirque
    Au Moyen Age et jusqu’au XVIIIe siècle, les tailleurs de vessie pour la pierre, les oculistes pour la cataracte se déplaçaient de ville en ville. Etant donné la fréquence des mauvais résultats, ils avaient intérêt à ne pas faire de vieux os sur place. Un grand nombre de charlatans, pas toujours malhabiles, et les vendeurs d’orviétan et collyres miraculeux sur les foires se mêlaient à eux.
    De tous temps les médecins n’ont jamais hésité à vanter leurs mérites pour attirer la clientèle, parfois en employant tous les moyens publicitaires des charlatans. Un sommet a été atteint au XVIIIe siècle par John Taylor, ophtalmologiste – on disait oculiste - anglais qui allait de ville en ville dans toute l’Europe pour opérer de la cataracte, nobles et bourgeois. Il se faisait annoncer par une campagne de tracts, de crieurs et arrivait dans une calèche bardée d’yeux peints et d’affiches vantant son habileté. Chirurgien habile, il l’était, mais aussi vantard. Il prétendait avoir opéré le roi d’Angleterre et quelques autres, le Pape, et même d’avoir rendu la vue à Jean-Sébastien Bach dans sa 88ème année alors que celui-ci était mort aveugle à 65 ans. De nos jours un tel comportement, en principe interdit par la déontologie et réprimé par l’Ordre, reste courant, notamment par l’intermédiaire de la télévision et des nombreux journaux consacrés à la « santé ».
                                                                                   
    Les fous
    L’asile d’aliénés de Bedlam à Londres et celui de la Salpêtrière à Paris étaient des lieux que l’on visitait pour se divertir. En plein XVIIIème, le siècle des lumières, on s’y rendait avec les enfants pour voir des hommes et des femmes en proie au délire, exhibés dans des cages ou enchaînés. Il a fallu attendre la Révolution Française et Jean-Baptiste Pussin, jeune ouvrier tanneur, hospitalisé à la fin du XVIIIe siècle à Bicêtre, et devenu par la suite surveillant qui, partisan de traiter les malades mentaux par la douceur, convainquit Philippe Pinel, en 1793, et par lui le gouvernement révolutionnaire, d’enlever leurs chaînes, à Bicêtre puis à la Salpêtrière,
                                                                                   
    Les malades
    Sans remonter si loin, il y a quelques décennies, les malades étaient hospitalisés dans de vastes salles communes contenant une cinquantaine de lits, avec au centre une grande table où les infirmières bavardaient en préparant les traitements. Un total manque d’intimité où les malades ne pouvant se lever devaient faire leurs besoins sous le regard des autres, où ils étaient examinés lors de « La visite » du « Patron » devant un cortège d’assistants et d’étudiants. L’interne présentait «  le cas » en parlant du malade devant lui à la troisième personne et en lui tournant le dos. On évoquait parfois l’autopsie attendue pour confirmer le diagnostic en usant d’euphémismes qui ne trompaient personne. On passait rapidement devant un agonisant sommairement isolé par un paravent.
    Les consultations étaient souvent publiques et jeunes étudiants nous avons assisté à des scènes scandaleuses. Dans le service de rhumatologie de l’hôpital Lariboisière, on demanda à une vieille dame de se dévêtir complètement dans un déshabilloir ; ceci étant fait, la porte opposée s’ouvrit et la patiente entièrement nue se retrouva, comme le taureau dans l’arène, au pied des gradins garnis de blouses blanches ; elle s’évanouit, seule issue possible. A l’Hôtel-Dieu, le chef du service de chirurgie fit un toucher rectal à un homme à quatre pattes devant une centaine de jeunes gens, quelques - uns outrés d’y assister.
                                                                           
    Après 1970 les conditions matérielles d’hospitalisation se sont considérablement améliorées de même que le comportement des médecins. Mais paradoxalement c’est aujourd’hui, alors que le droit à la vérité est devenu un dogme, que la situation se détériore à nouveau, notamment dans les services d’urgence. Où est le respect de la dignité et de la liberté pour des hommes et des femmes laissés sur des brancards, dans des couloirs, attendant parfois des heures avant d’être examinés, soulagés et conduits dans un lit décent en raison du manque de personnel et de l’encombrement des services dû à la fermeture excessive et irréfléchie des lits ? Plus le nombre de malades augmente plus on ferme des lits, en partant du principe que supprimer un lit c’est supprimer un malade. En définitive ce principe risque de s’avérer exact. La hantise a toujours été de sortir de l’hôpital, s’y ajoute de plus en plus celle de pouvoir y entrer.
                                                                                   
    Les médecins
    Il y a des médecins préposés à l’interview comme il y en a de garde. Les interviews télévisées les plus spectaculaires sont celles que l’on fait sur le lieu de travail. Blouse blanche et stéthoscope sont souhaitables pour les médecins et la casaque stérile est indispensable pour que les chirurgiens puissent répondre aux questions qu’on leur pose. Quant à l’urgentiste, c’est un médecin largement exploité par la télévision. L’inverse est également vrai
                                                                                    
    Les actes médicaux
    Les actes médicaux eux-mêmes constituent un spectacle de choix.
    Lorsque les autopsies furent permises elles se déroulaient comme un spectacle, « La leçon d’anatomie » de Rembrandt en est un exemple. Les interventions chirurgicales ne manquaient pas de spectateurs directs. A présent les téléspectateurs ont droit à un bout des grandes premières même si ce sont parfois les dernières. Chaque nouveauté est montée en épingle. Il est rare qu’un journal télévisé n’ait pas son scoop médical. Les journaux, les périodiques sont envahis par la médecine, en vantant un jour ses mérites et en se régalant le lendemain de ses insuffisances ou de ses erreurs. Le public est évidemment intéressé, car il est le sujet potentiel du spectacle[1]
    Les médecins participent avec plaisir à cette course médiatique. Combien de traitements mirifiques (notamment contre le sida), basés sur quelques cas et suivis quelque temps ont donné lieu à des déclarations hâtives et à une existence éphémère. Histoire pour les promoteurs de faire enregistrer leur initiative avant l’échec, de parler et de se montrer, préférant ne pas prendre de recul pour mieux sauter dans le bain médiatique.
                                                                                  
    Les maladies
    La maladie est toujours vécue comme individuelle même au milieu d’une épidémie. La souffrance n’est ressentie que par soi et personne n’endure la souffrance de l’autre même atteint d’un mal semblable. Mais l’isolement a fait place au collectif. Les associations de malades se multiplient, leur nombre en France est passé en vingt ans de 100 à 4500 en l’an 2000[2]. Configuration qui confère au malade une personnalité, un statut particulier dans la société[3] à l’origine de possibles revendications, sources de manifestations de rue à l’égal des syndicats, et justifiant de véritables spectacles où l’on expose les malades comme des héros et où s’empressent de figurer généreusement chanteurs et comédiens. Le public est friand de ces spectacles toujours grandioses, attiré par les vedettes et ému par la générosité ambiante.Le caritatif s’épanouit dans la souffrance.


    Documentation réunie avec la collaboration de Jean Waligora


    [1] A titre d’exemple, l’étude WHI sur le traitement hormonal de la ménopause aurait suscité, seulement aux USA, 400 articles et 2500 émissions de radio et de télévision. [2] Selon le Bulletin de l’Ordre des Médecins de mars 2004 [3] On parle de « patient-citoyen »

     


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  • « Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin de médecins, mais les malades. » Jésus ( Evangile selon St Marc 2/17). Bien que divine, cette affirmation est totalement dépassée.

                                                                                    

    Fausse route ?

    Pendant des siècles le but de la médecine était de reconnaître les maladies, d’en déterminer la cause, d’en trouver le traitement et de s’occuper de la personne malade. La santé était définie de façon négative : l’absence de maladie déclarée. Pas de maladie, pas de médecine.

    Les choses ont changé. La médecine est sortie de son chemin millénaire et le sujet sain est également devenu son objet. La médecine, par ses connaissances du corps humain et les moyens qu’elle possède pour le modifier, offre des possibilités d’améliorer la vie du sujet en bonne santé apparente. En accédant à cette demande et parfois à cette exigence, la médecine se déconnecte des maladies, ne cherche plus seulement à rétablir la santé ou à la préserver, mais à modifier l’autre ou à influer sur son destin en utilisant les mêmes moyens que pour guérir. Elle  change sa nature en changeant ses objectifs. Cette sortie de chemin est plus due à la société qu’aux médecins, mais on ne peut pas se vanter de ce qu’on peut faire sans qu’il vous soit demandé un jour de le faire.

                                                                                     

    Où le malheur devient une maladie

    La santé a été définie comme « le bien-être complet, physique, mental et social » (Organisation Mondiale de la Santé, 1978). L’OMS a donné là une des définitions possibles du bonheur. En s’y référant on peut conclure que l’Humanité entière est malade et considérer comme maladies : les désirs inassouvis, le manque d’affection, les peines de cœur, la solitude, la timidité, la pauvreté, le chômage, l’absence de talent, les incapacités, l’échec scolaire et bien d’autres raisons du mal-être.

    La médecine est un univers en expansion. Pour suivre l’OMS, elle tend à englober la santé individuelle et publique, les problèmes sociaux et intimes.

    Le malheur est donc une maladie. La responsabilité du bonheur n’est pas une mince affaire, elle fait désormais partie de la médecine.

                                                                                   

    Où la procréation devient une affaire publique

    Comment les enfants viennent-ils au monde ? C’est seulement en 1677 que le Hollandais Johan Hamm ou son compatriote Antoine Van Leeuwenhoek découvrit les spermatozoïdes alors qu’ils étaient à portée de main. A l’époque certains, les « spermatistes », ont pensé que les spermatozoïdes étaient des êtres entièrement formés, de sexe soit masculin soit féminin et devant leur profusion se sont demandé si le sperme d’Adam ne contenait pas déjà toute l’Humanité à venir. «  Voilà donc toute la fécondité qui avait été attribuée aux femelles rendues aux mâles ». (Moreau de Maupertuis)[1]. De Graaf qui, à la même époque, toujours aux Pays-Bas, découvre le follicule ovarien, ne l’entend pas de cette oreille et donne avec les « ovistes » la priorité à l’ovule et un rôle secondaire au spermatozoïde. La vérité est, comme toujours, à la jonction des deux.

    Cette jonction la médecine est capable de la réaliser. La conception de l’enfant est devenue une affaire médicale : insémination artificielle en dehors du sexe, fécondation in vitro en dehors du corps. Elle se fait toujours ordinairement à deux, mais le médecin et le biologiste s’interposent lorsqu’on les y invite. Désormais elle peut se faire à plusieurs, de préférence avant la ménopause de la candidate. Le médecin préside à la fécondation in vitro : rencontre du deuxième type entre le spermatozoïde et l’ovule, où le futur bébé inaugure ainsi son premier tube. Les procréateurs sont ailleurs. La future mère se repose après son parcours de combattante en attendant la suite, qui peut parfois être confiée à une mère porteuse, le plus jeune métier du monde avec celui des mères pondeuses qui font le « don » rémunéré ou non de leurs ovocytes. De plus en plus souvent le géniteur, anonyme et à responsabilité limité, vaque à ses occupations, s’il n’est pas déjà mort, après avoir confié à une banque son hérédité.

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    On peut certes arguer que la procréation est une fonction de l’organisme et le médecin aide à réaliser ce que le couple ne peut pas faire seul. En fait, ce qui est réellement du domaine médical est le traitement de la cause de la stérilité. La procréation assistée ne répond pas à une maladie mais au désir d’enfant. Aussi respectable soit-il, ce désir répond à une convenance personnelle et non pas à une altération de la santé de l’individu ou à un problème de santé publique. On traite une incapacité sans risque et non une pathologie, même si cette incapacité est mal vécue. On intervient pour le confort intellectuel et affectif des personnes. C’est une médecine du bonheur. Le paradoxe est que la fécondation in vitro (FIV) est source de pathologie : risque cancérigène (ovaire, sein) possible de la stimulation ovarienne pour la mère, plus grande fréquence des anomalies fœtales en raison des grossesses plus tardives, de la gémellité en cas d’implantation de plusieurs embryons, et du plus grand risque d’accouchement prématuré.

                                                                                   

    Les individus n’assument plus ce qu’ils sont puisqu’ils peuvent devenir ce qu’ils rêvent

    La chirurgie plastique ou réparatrice est évidemment du domaine médical. Réparer les dégâts provoqués par un traumatisme, un accident, des blessures de guerre ou les malformations d’origine embryonnaire est à mettre au crédit des chirurgiens et à leur talent. Ce sont les Indiens qui ont été les pionniers de la chirurgie réparatrice pour avoir inventé une technique de rhinoplastie permettant de refaire le nez amputé des femmes adultères.

    Utiliser ce talent pour modifier des corps sains selon les critères de beauté du moment, remodeler les visages selon des figures imposées et des désirs personnels est d’une autre nature. Le champ des imperfections n’a pas de limite. Leur traitement dépend du désir de l’individu et de ses moyens financiers puisque la collectivité ne le prend pas en charge. Une inégalité source possible de revendications dans l’avenir. Car en France il suffit d’une loi pour que la collectivité prenne en charge ce qui ressort du désir personnel et de la responsabilité individuelle.

    « Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne »[2]. Quelle est la nécessité médicale d’effacer les rides, d’enlever une bosse du nez, de recoller des oreilles, de relever des seins ou de supprimer des « culottes de cheval » ? Quelle est la nécessité médicale de transformer le sexe d’une personne ? Alors que cette personne se persuade d’appartenir au sexe opposé et sollicite le traitement de son délire.

    Le seul argument est le mal être, c’est à dire la recherche du bonheur. Est-ce à la médecine d’assumer cette tâche ? Fournir à quelqu’un l’image qu’il veut donner aux autres c’est avant tout satisfaire un égocentrisme avec l’appui de la psychologie ou de la psychanalyse.

    A la décharge des personnes qui cherchent leur équilibre et pense que cet équilibre est perturbé par ce qu’elles estiment être un défaut dans leur corps et leur mental, les médecins ont crée les moyens de le corriger. Cette possibilité a suscité des besoins. Les individus n’assument plus ce qu’ils sont puisqu’ils peuvent devenir ce qu’ils rêvent. La médecine est ainsi sortie de sa route, celle de la pathologie pour remodeler le sujet sain selon ses aspirations. « Qui doit décider de la limite à établir entre la convenance convenable et l’exigence inconvenante ? » (Claude Sureau)[3]

    Au IIe siècle, à Rome, le  célèbre médecin grec Soranus d’Ephèse, le premier grand gynécologue et obstétricien connu, a nié l’existence de l’hymen. Ce qui, compte tenu de ses qualités d’anatomiste et de praticien, « n’a pas manqué de susciter des remarques désobligeantes sur la vertu des jeunes romaines de son époque »[4]. De nos jours, certaines jeunes femmes issues de familles d’un autre âge, paniquées à la veille de leur mariage, demandent à des chirurgiens de leur refaire un pucelage comme des vétérinaires peuvent corriger certains défauts d’un chien avant la confirmation. Cette « chirurgie de compassion » n’a rien à voir avec la reconstruction de l’hymen réclamée par nombre d’Américaines pour assouvir un fantasme de leur conjoint, souvent associée à un resserrement du fourreau vaginal.

                                                                                   

    Le bonheur pharmacologique

    S’il faut un certain courage pour se soumettre au bistouri, il n’en faut aucun pour avaler une pilule. La difficulté pour le médecin est de discerner ce qui est pathologique dans le comportement d’une personne de ce qui ne l’est pas. Entre une aide pharmacologique réclamée et un traitement psychotrope nécessaire.

    L’aide pharmacologique est discutable du point de vue médical. Effacer les aspérités de la vie par des drogues est proche de la toxicomanie. C’est une démission que le médecin n’a pas à encourager par des artifices chimiques. Beaucoup ne se contente pas de la parole qui demande un effort, une réflexion sur soi. Prendre une pilule et se sentir mieux est plus simple. Simplicité appréciée par le patient mais aussi par le médecin qui n’a pas toujours le temps de la parole ou le courage de résister à la demande.

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    Pour un sportif de haut niveau, le bonheur est de gagner des compétitions. La pharmacologie est utilisée à cette fin par des apprentis sorciers. Un athlète est une personne particulièrement saine à qui des « médecins » prodiguent des soins qui la rendent  souvent malade. Le dopage est le seul cas où en altérant la santé on augmente les performances, bien qu’un anabolisant accroît la masse musculaire sans augmenter les capacités intellectuelles.

                                                                                    

    Le médecin dans le rôle du Diable

    Conserver le plus longtemps possible l’apparence et les capacités de la jeunesse est un des attributs du bonheur. Cela a toujours été, mais dans le passé c’était un rêve que seul le Diable pouvait réaliser en échange de l’âme.

    La médecine tente de le réaliser. Il fût un temps où la vasectomie a séduit bien des hommes. Son but n’était pas la stérilisation mais un regain de jeunesse selon la théorie émise dans les années 1920, à Vienne, par le Pr Eugène Steinach affirmant que la perte de sperme avait un effet débilitant. Il préconisait la vasectomie pour lutter contre, ce qui ne pouvait que redonner de la vigueur. Des universitaires, des artistes ont été séduits par cette théorie et ont demandé qu’on leur coupe la route du sperme pour rajeunir. D’après P. Skrabanek et J. McCormick[5], Sigmund Freud et le poète dramaturge William Butler Yeats s’y seraient soumis.

    Les médecins sont aussi naïfs pour ne pas dire crédules que les autres et on ne compte plus ceux qui ont essayé sur eux-mêmes des traitements « rajeunissants » ou susceptibles de ranimer leur virilité, depuis Charles–Edouard Brown-Séquard, jusqu’aux mangeurs de DHEA en passant par Alexandre Bogomoletz qui se traita avec le même fameux sérum, heureusement inefficace, qu’il administrait à Staline.

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    Bien qu’il ne s’agisse pas là d’un objectif proclamé de la médecine, la plupart de ses actions tentent de réaliser le vieux rêve. Guérir ou améliorer une maladie qui aurait conduit à des handicaps (ou à la mort) ou retarder l’apparition des maladies par la prévention, lutte contre les conséquences du vieillissement. Les chirurgiens esthétiques ont les moyens de modifier l’enveloppe du corps, laissant aux médecins le soin difficile d’en modifier l’intérieur.

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    La cosmétique prétend également retarder le vieillissement, mais de façon plus joyeuse et plus optimiste. Elle aussi pour convaincre utilise le langage médical : résultats cliniques prouvés (par qui ? comment ?). Elle invente sans vergogne des protéines mystérieuses ou des facteurs miraculeux dont la dénomination s’inspire de la biologie. Ce scientisme impressionne. Mais en dehors de quelques allergies, il est plus ridicule que dangereux et plus néfaste pour le porte-feuille que pour la personne séduite.

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    La médecine prolonge plus la vieillesse que la jeunesse et le vieillissement prolongé reste une maladie fatale lorsque les médecins aident  à échapper à toutes les autres. La vieillesse est un succès encombrant de la médecine.

    « En ce temps là, la vieillesse était une dignité ; aujourd’hui elle est une charge » (Chateaubriand)[6].



    [1] Cité par Kûss et Grégoir, Histoire illustrée de l’urologie

    [2] Article 16-3 du Code civil

    [3] Dictionnaire de la pensée médicale (direction Dominique Lecourt) puf 2004

    [4] M. Bariéty  et Ch. Coury, Histoire de la médecine

    [5] Idées folles, idées fausses en médecine  éd. Odile Jacob 1992

    [6] Mémoires d’outre-tombe

     

    Documentation réunie avec la collaboration de Jean Waligora


    2 commentaires
  •  
    Cette idée est exacte, même si bien d’autres métiers sont nettement plus dangereux. Dans le passé le danger venait surtout des infections. Aujourd’hui les risques sont ailleurs, l’homme est devenu plus dangereux pour le médecin que le microbe.
     
    Dans le passé, il fallait, en certains lieux, être inconscient ou sûr de soi pour être médecin.
    Les malades ont parfois châtié les médecins pour les conséquences de leurs actes. Mille sept cents ans avant notre ère, à Babylone, le code d’Hammurabi établissait la sanction en cas de faute ou d’accident thérapeutique avec un barème d’invalidité. Si l’opération d’un homme libre provoquait la mort ou la cécité on coupait les mains du chirurgien.
    Au VIe siècle, un roi de Bourgogne fit égorger ses deux médecins parce qu’ils n’avaient pu sauver la reine et ses neveux de la variole.
    Au XVe siècle, le roi Mathias de Hongrie promettait de grandes récompenses à celui qui le guérirait d’une blessure par flèche mais la mort s’il échouait.
     
    Lors des épidémies peu de médecins ont déserté.
    « Un médecin consciencieux doit mourir avec le malade s’ils ne peuvent pas guérir ensemble » (Eugène Ionesco)[1]. En cas d’épidémie, Hippocrate conseillait de  fuir le plus tôt possible, aller le plus loin possible et revenir le plus tard possible. Boccace dans le Décaméron écrivait en 1352 pendant la deuxième  pandémie de peste « …le frère quittait le frère, l’oncle son neveu, souvent la femme son mari.[…] Même le père et la mère avaient peur de veiller leurs enfants. ». Les rois donnèrent l’exemple : Charles V et Henri III quittèrent Paris, François 1er s’enfuit d’Anjou. Bordeaux dût, pendant la peste de 1585, se dispenser de son maire, Montaigne, qui avait omis de rejoindre sa ville. Par contre la plupart des médecins, des apothicaires et des prêtres, firent face et subirent de lourdes pertes, encore que le célèbre Sydenham quitta Londres pendant la peste de 1665, expliquant qu’il suivait sa clientèle.
                                                                                   
    Fais sur toi-même ce que tu ne veux pas faire aux autres.
    Nombre de médecins ont recherché sur eux-même la preuve de leurs hypothèses.
    L’ apostrophe du plus grand chirurgien du XVIIIe siècle, l’Ecossais John Hunter, fondateur de la chirurgie expérimentale, à Jenner, est restée célèbre : «  pourquoi penser ? Faites l’expérience». Appliquant son principe à lui-même, persuadé qu’un même organe ne pouvait être atteint par deux maladies, et donc qu’un homme présentant une urétrite ne pouvait avoir et la chaude-pisse et la vérole, il s’inocula du pus urétral d’un patient qui avait les deux, guérit de l’urétrite mais mourut d’un aortite syphilitique, convaincu d’avoir raison.
                                                                                  
    Certains eurent de la chance. Clot Bey s’inocula du sang puis du pus d’un bubon de pestiféré et n’eût pas la peste. Foy voulant prouver que le choléra n’était pas contagieux s’inocula du sang de malades, goûta de leur vomi et resta indemne.
                                                                                   
    L’Allemand Max von Pettenkoffer prétendit montrer en 1892 que le vibrion cholérique peut provoquer la maladie sans être suffisant, en avalant en public un ml d’une culture provenant des selles d’un malade mourant du choléra et il en resta presque indemne[2]. Il est vrai, comme le remarquent Petr Skrabanek et James McCormick[3] que cette auto-expérimentation révélait peut-être chez cet éminent épidémiologiste une pulsion de mort qui s’est concrétisée neuf ans après par son suicide.
                                                                                    
    Certains eurent moins de chance, même si en se rendant malades ils apportèrent la preuve de leur sagacité.
    En 1885 l’étudiant en médecine Carrion mourût de la fièvre de Oroya (bartonellose) après s’être inoculé le broyat d’un nodule cutanée, démontrant par sa mort que la forme septicémique et la forme cutanée appartenaient à la même maladie
    En 1900, à Cuba, les américains James Caroll et Jesse Lazear se font piquer par des moustiques vecteurs de la fièvre jaune, pour confirmer la découverte du cubain Carlos Finlay y de Barres. Caroll, sévèrement atteint, obtint la confirmation de la théorie du moustique alors qu’auparavant d’autres médecins avaient tenté en vain d’être malade en avalant des vomissements ou en s’inoculant du sérum ou de la salive.
    En 1922, S. Koino ingère 2000 œufs d’ascaris embryonnés, eût une atteinte pulmonaire sévère et retrouva des larves dans sa salive. Le fils de P. Manson à Londres se fit piquer par des moustiques porteurs de paludisme qu’on lui avait fait parvenir de Rome et en fût atteint.
                                                                                    
    En 1929, l’Allemand Werner Forssmann, futur chirurgien urologue, s’est introduit dans une veine du bras une sonde de 65cm poussée jusqu’au cœur, et monta deux étages jusqu’au service de radiologie pour prendre des clichés. Le monde médical resta indifférent à cet exploit et considéra son auteur comme fou. Vingt sept ans plus tard il partagea le prix Nobel avec André Cournand et Dickinson W. Richards pour l’apport du cathétérisme cardiaque à l’exploration du cœur et des vaisseaux. Entre temps il avait été bûcheron.

    En 1933, à l’institut Pasteur de Tananarive, Georges Girard et J. Robic inventèrent un vaccin contre la peste utilisant un bacille vivant atténué , qu’ils essayèrent d’abord sur eux-mêmes et leur équipe, alors qu’il n’existait encore aucun traitement curatif de la maladie…
                                                                                    
    Peut-être était-ce plus la passion de la découverte et la passion de convaincre qu’un altruisme véritable qui poussaient ces médecins à prouver dangereusement sur eux-mêmes la véracité de leurs hypothèses.
    Freud « considérait la passion scientifique comme l’élaboration aboutie de la curiosité de l’enfant qui veut établir la vérité sur la différence entre les sexes et les mystères de la conception et de la naissance »[4]. A présent que cette vérité est révélée très tôt à l’enfant, la passion scientifique jusqu’à s’autodétruire a logiquement disparu.   
                                                                                             
    Beaucoup de médecins ont risqué leur vie pour sauver celle des autres.
    Ce fût le cas de Joaquin Albarran. Cet urologue français était un Cubain qui avait fait ses études en Espagne. Bachelier à 13 ans, médecin à 17, il vient à Paris, apprend le français, recommence la médecine et 4 ans plus tard est major de l’Internat des hôpitaux. D’une trempe peu commune, Albarran sauve un enfant atteint par le croup en aspirant avec la bouche les membranes qui obstruent la canule trachéale ; il contracte la diphtérie et lors d’une autre garde, seul médecin, en proie à l’asphyxie, il se fait une trachéotomie devant une glace que tient un infirmier. Professeur d’urologie en 1906 il meurt de tuberculose six ans plus tard, à 51 ans.
                                                                                    
    Lorsque les médecins étaient impuissants, ils ne pouvaient échapper à l’ironie ou à la haine.
    Pendant les millénaires où la médecine était peu ou pas efficace, les satires des écrivains et peintres ne la ménageaient pas. Caton l’ancien disait à son fils : «  Souviens-toi que je t’ai défendu de recourir aux médecins.». Cependant la haine mémorable de Pétrarque à l’encontre de Guy de Chauliac qui n’avait pu sauver de la peste sa Laure adorée, restait platonique. L’ironie cruelle des Montaigne, Molière, Daumier, Proust, Romains et tant d’autres, fait rire mais ne tue pas. Les praticiens étaient respectés et rarement victimes d’agression. L’assassinat du Pr. Pozzi en 1918 par un opéré de varicocèle[5], «  un malade mental qui attribue ses insuffisances à la chirurgie »[6] était racontée aux étudiants comme un événement exceptionnel et instructif.
                                                                                      
    A présent, c’est l’efficacité même de la médecine que certains trouvent intolérable.
    Elle provoque la haine froide de quelques « intellectuels » parce qu’un examen de dépistage à découvert une tumeur d’évolution fatale, parce qu’un traitement a pour rançon de son efficacité des séquelles importantes, parce qu’un de leur proche a été victime d’un effet secondaire d’un traitement. Il faut pourtant savoir ce qu’on veut et on a parfaitement le droit d’ éviter les dépistages et de ne pas se traiter. Rendre responsable le messager du malheur qui vous frappe est plutôt primitif.
                                                                                      
    Les médecins devront-ils mettre une cagoule pour exercer leur métier ?
    Le personnel soignant est devenu une cible facile pour les imbéciles. Celui des services d’urgence doit être protégé. Le traumatisme de l’accoucheur par le père irascible fait partie des complications de l’accouchement. Les médecins dont le devoir est de se rendre à tout appel d’urgence doivent dans certains quartiers solliciter un accompagnement policier ou renoncer.
     On aurait pu croire naïvement que la médecine échapperait à l’obscurantisme. Il n’en est rien. Entre l’opposition aveugle aux traitements efficaces, la violence envahissant les hôpitaux, le sexisme entravant les soins, les mœurs d’un autre âge mettent en péril la vie des soignants et celle des malades, de préférence les femmes. Les hommes, eux, ont bien trop peur de la maladie pour ne pas se soumettre à une médecine moderne.
     
    Une nouvelle spécialité : la médecine défensive.
    Le risque des procès est venu s’ajouter à celui des agressions. Le médecin est devenu légalement un prestataire de service comme un autre. On le considère et souvent il finit par se considérer lui-même comme un simple technicien. L’erreur médicale est inadmissible au même titre qu’un contrat mal rédigé, un appareil défectueux ou une réparation laissant à désirer

    Dans l’avenir il serait souhaitable de dispenser aux étudiants en médecine un nouvel enseignement : celui de la « médecine défensive ». Il consisterait d’abord à bien cerner les motivations avant de choisir une spécialité risquée comme la chirurgie, l’anesthésie ou l’échographie fœtale. Ensuite un cours de comptabilité permettrait au futur médecin de calculer ce qu’il lui resterait après avoir réglé les primes d’assurances. Enfin on lui enseignerait une pratique dans le but de minimiser les risques d’un procès : multiplier les explorations, même s’il est persuadé de leur inutilité, demander l’avis à un autre confrère afin de diviser la responsabilité, choisir les cas les plus simples, avoir suffisamment de psychologie pour repérer le profil des plaideurs
    [7] et de les envoyer habilement ailleurs.
                                                                                      
     
     Documentation réunie avec la collaboration de Jean Waligora
     

    [1] La cantatrice chauve, scène I
    [2] En fait, d’après François Delaporte (Dictionnaire de la pensée médicale) il avait déjà eu le choléra en 1854 et il ingéra la culture la plus ancienne et la moins virulente envoyée par Koch. Pettenkofer eut une récidive peu grave, mais son élève Emmerich qui participa à l’expérience faillit en mourir.
    [3] Idées folles, idées fausses en médecine, éd Odile Jacob 1992
    [4] Peter Gay, Freud, une vie, éd Hachette 1991.
    [5] Varices des veines du testicule
    [6] Pozzi cité par C. Vanderpooten, Samuel Pozzi chirurgien et ami des femmes, éd V&O 1992
    [7] Une enquête auprès des médecins américains exerçant des spécialités à haut risque de poursuites a montré que presque tous utilisent largement les examens complémentaires et font appel à un autre avis, près de la moitié recourent à l’imagerie médicale sans nécessité et près de la moitié évitent certains actes, s ‘abstiennent de prendre en charge des malades compliqués ou susceptibles par leur attitude de recourir à un avocat.( JAMA 2005 ; 293 : 2609-2671)

     


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    Pendant des siècles la médecine était basée sur des observations, des anecdotes, des « histoires de chasse ». On s’en souvenait parce que les cas étaient exemplaires, on les racontaient pour que les autres en tirent bénéfice, on les enseignait, on en faisait des livres. La médecine était empirique et littéraire. Les observations n’ont pas disparues, elles font l’expérience du médecin, et celui-ci ne manque pas de se précipiter dessus lorsqu’elles sont publiées dans les journaux médicaux, même si on ne peut rien conclure de quelques histoires individuelles. La médecine se veut science.

    Certes, mais c’est une science parasite. Elle a tiré ses progrès décisifs de la physique, de la chimie, de la biologie et maintenant de la génétique. La médecine seule n’est entrée dans le sein de la science que par la petite porte, celle de la statistique. 

    Où la probabilité devient une preuve
    Pour être science, la médecine doit prouver ce qu’elle avance, notamment dans le domaine thérapeutique. Les traitements doivent être validés par la « médecine basée sur les preuves ou les faits ». Concept « révolutionnaire » né dans les années 1980, « officialisé » au début des années 1990, que l’on pourrait définir ainsi : pour soigner leurs malades, les médecins doivent tenir compte des essais considérés comme sérieux parus dans la littérature médicale. Rien à dire. Mais cela sous-entend qu’auparavant les médecins ne lisaient pas, faisaient n’importe quoi ou dans le meilleur des cas, appliquaient ce concept sans le savoir.
    L’ennui est que les faits « démontrés » ne sont pas des preuves mais des probabilités statistiques. Ils ne sont applicables qu’à la majorité des sujets, à condition qu’ils possèdent eux aussi les critères d’inclusion[1] dans les essais et il est impossible a priori de savoir si la personne que l’on veut soigner en fait partie ou si l’alternative minoritaire ne lui serait pas plus bénéfique.

    Que pourrais-je mesurer ?
    L’outil mathématique fourni par la statistique que l’on utilise actuellement pour les études est à ce point séduisant que l’on a parfois tendance à l’appliquer à tort et à travers, souvent pour démontrer doctement des évidences comme l’intérêt de faire un diagnostic avant de traiter[2]. En son temps, le Pr Mathé avait proposé ironiquement de comparer le coût d’un hôpital avec malades avec celui qui en serait dépourvu. On peut aussi perdre beaucoup de temps pour résoudre des problèmes d’un intérêt limité comme établir une corrélation entre le poids et la taille à la naissance et l’état marital futur[3].

    Mais la frénésie des études conduit parfois certains en mal de publications à un haut niveau d’indécence et de cruauté, comme celle qui s’est emparée des épidémiologistes de Yale (avec l’accord de leur comité d’éthique! ) les amenant à interroger 226 malades en phase terminale de leur maladie et en ayant conscience, pour juger de leur adhésion ou non à la promesse d’un traitement salvateur plus ou moins risqué (mais qui n’existait pas) et en affirmant qu’en l’absence de ce traitement l’issue serait fatale. Les pourcentages et les courbes ont permis à ces expérimentateurs (on hésite à les appeler médecins) de confirmer une évidence : presque tous acceptaient, mais la proportion diminuait en fonction de la lourdeur du traitement évoqué et des risques encourus[4].

    Où pourrais-je mettre mon nom ?
    La frénésie des publications s’explique, c’est le champ de bataille principal des médecins universitaires. Il faut publier, même n’importe quoi[5], l’important est d’être de la revue, de préférence anglo-saxonne. C’est sur elles que sont basées notoriété et nomination. Le contenu est jugé sur « l’ impact factor » : nombre de fois où l’article est cité dans d’autres articles . Si le plus souvent c’est pour sa qualité et son apport novateur, il peut se faire que ce soit pour le critiquer et l’infirmer.Mais plus que le contenu, c’est le nombre qui importe et qui impressionne. C’est ainsi qu’il existe en général une pléthore de signataires, la plupart n’ayant le plus souvent qu’un rapport lointain ou inexistant avec le travail réalisé. En principe celui de tête est l’auteur principal, le dernier est le patron qui n’a rien fait, et entre les deux le jeu consiste à deviner si ce sont de vrais acteurs ou des figurants.
                                                                                   
    Les chiffres ça se manipulent
    La médecine aimerait être une science exacte, elle est en manque de mathématiques. Son ambition est de chiffrer tout ce qu’elle touche. « C’est l’entrée dans un nouveau mode de pensée rationnel, la disparition d’un certain romantisme médical, le passage de l’art subjectif au jugement mathématique » (François Fourrier)
    [6]

    L’introduction des mathématiques en médecine ne garantie pas la véracité de ce qu’on avance. Biaiser des données numériques, fausser des statistiques, par conviction ou par intérêt est et a été malheureusement fréquent. L’exemple historique le plus connu est au XIXe siècle celui de Francis Galton et de Paul Broca. « Le cerveau sécrète la pensée comme le foie sécrète la bile » disait Pierre Cabanis au XVIIIe siècle. Il était donc logique de supposer que plus la glande est grosse, plus la sécrétion est importante. On s’est donc mis à mesurer les cerveaux de l’homme, de la femme, des blancs, des jaunes, des noirs, des animaux, avec le désir avoué de mettre en évidence des inégalités dans l’espèce humaine. Que l’homme est supérieur à la femme, que l’ écart entre hommes et femmes se creuse (Gustave Le Bon) que le blanc est supérieur au jaune et au noir. Pour prouver leur théorie et satisfaire leurs préjugés, ces messieurs n’ont pas hésité à tronquer leurs chiffres[7].
    Manipulations dangereuses et vaines : l’intelligence ne dépend pas de la taille du cerveau.
    Si l’on parle volume, l’homme serait moins intelligent que l’éléphant, le dauphin ou la baleine. Si l’on compare la taille du cerveau avec le corps de l’individu, l’homme est classé premier parmi les primates, mais derrière les capucins d’Amérique du Nord et quelques chauves souris. Quant au poids, le cerveau d’Anatole France était nettement au-dessous de la moyenne et plus de deux fois moins lourd que celui de Lord Byron. Sacrée glande.
     
    Les mathématiques ça fait sérieux
    La médecine ne perd pas une occasion d’introduire des formules, des courbes, des diagrammes, des grilles, des échelles, des algorithmes, même pour saisir l’insaisissable comme la qualité de vie.
    L’ambition des médecins est de mettre en équations des phénomènes qui échappent aux mathématiques. C’est tout un art. Le QI (Quotient intellectuel) en est un exemple : il mesure l’intelligence comme la taille d’un tableau mesure le talent du peintre. Ce goût s’exprime même dans des domaines inattendus comme la psychanalyse :
    « C’est ainsi que l’organe érectile vient à symboliser la place de la jouissance, non pas en tant que lui- même, ni même en tant qu’image, mais en tant que partie manquante à l’image désirée : c’est pourquoi il est égalable à la racine de -1 de la signification plus haute produite, de la jouissance qu’il restitue par le coefficient de son énoncé à la fonction de manque de signifiant : (-1). » ( Lacan)[8] .

    Comment mettre en équations l’empirique, l’évidence et l’incertitude. 
    C’est en principe pour les aider dans leurs décisions que l’on délivre aux praticiens des recommandations d’une précision diabolique, comportant des sections, des sous sections et des sous sous sections pour paraître scientifiques, alors que les données sont empiriques et que l’ensemble pourrait se résumer en quelques phrases. Les recommandations sont elles-mêmes classées selon leur niveau de « preuves » I ou II, assorti d’un coefficient A, B, C selon la valeur méthodologique des études, ce qui pourrait se résumer plus clairement par : certain, probable, incertain. Remplacer un adjectif par une cotation ne change pas le fond, n’ajoute rien, sinon de la confusion.
    Les praticiens disposent également de grilles qui permettent de chiffrer le risque pour un patient d’être atteint d’une maladie ou de ses complications dans les années à venir. Ces grilles expriment bien la volonté d’une démarche mathématique à tout prix, elles apportent des pourcentages précis qui impressionnent, car l’incertitude est chiffrée avec exactitude. On constate aisément sans le secours des grilles et des formules (il en existe une douzaine pour les affections cardio-vasculaires), que plus le patient a de facteurs de risque pour une maladie, plus le risque de l’avoir est grand et savoir que sa probabilité d’apparaître dans les dix ans à venir est de 10 ou de 15% ne change pas grand chose pour instaurer une prévention plus ou moins rigoureuse.
    La stratification des risques est également un concept à la mode. C’est le recueil des caractéristiques d’un malade pour déterminer les probabilités évolutives de sa maladie. Concept pouvant se résumer ainsi : plus le patient a d’anomalies, plus sa maladie est grave. Stratification a tout de même une autre allure qu’évidence.
    Dans la pratique les chiffres issus des grands nombres sont un trompe l’œil, mais leur esthétique est incontestable. Le chiffre donne à la pensée intuitive une caution « scientifique » qui fait les délices des savants et que le praticien serait bien sot de ne pas accepter puisqu’on a pris la peine de penser pour lui.

    Où on élève la pensée du médecin au niveau de l'ordinateur
    Des algorithmes sont proposés au praticien, propositions guère flatteuses pour son intelligence. Labyrinthes de la pensée, très utilisés de nos jours pour schématiser une démarche intellectuelle permettant d’aboutir au diagnostic ou de déterminer le traitement. Le choix à chaque étape dépend d’une réponse par oui ou non, processus binaire ramenant la pensée du médecinau niveau de l’ordinateur. Cette démarche alambiquée pourrait en général se résumer en une ou deux phrases simples. Mais la littérature n’a pas le sérieux d’un diagramme. 

    Documentation réunie avec la collaboration de Jean Waligora

     


    [1] Caractéristiques qui permettent à des personnes qui n’ont rien demandé de faire partie d’une étude et de prendre par tirage au sort un traitement plutôt qu’un autre. Les personnes qui ne possèdent pas ces caractéristiques ou qui refusent de jouer le jeu se voient exclues de l’étude. Loin d’être un désavantage, cette exclusion leur assure un meilleur traitement, car adapté à leur cas.
    [2] BC. Delaney et coll. « Cost effectiveness of initial endoscopy for dyspepsia in patients over age 50 years : a randomised controlled trial in primary car » Lancet 2000 ;356 : 1965-69
    [3] D.I.W. Philipps et coll. « Prenatal growth and subsequent marital status : longitunal study » Br Med J 2001 ;322 : 771-2
    [4] Fried T et coll. « understanding the treatment preferences of serious ill patients ». N Engl J Med 2002;346 : 1061- 66
    [5] Le niveau de vigilance des comités de lecture des revues n’est pas toujours à la bonne hauteur
    [6] Dictionnaire de la pensée médicale (direction Dominique Lecourt) puf 2004
    [7] S.J.Gould, La Mal-mesure de l’homme, éd Ramsay 1983
    [8] Cité par Sokal et Bricmont. Impostures intellectuelles, éd. Odile Jacob

                                                                                   


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  • L’ennui avec les experts c’est qu’ils savent beaucoup de choses et l’esprit encombré par tout ce qu’ils savent ne leur permet pas toujours d’appréhender ce qu’ils ne savent pas. Ceci les amène souvent à rejeter ce qui ne fait pas partie de leur savoir pour ne pas encombrer davantage leur esprit.
    Voici quelques avis d’experts du passé. Nos successeurs se chargeront de juger nos jugements.
                                                                              ¤  
    La circulation est paradoxale, inutile, fausse, impossible, absurde et nuisible " [1] affirme à Paris, le Doyen Gui Patin lorsque l’Anglais William Harvey publie en 1628, à Francfort, après plus de vingt ans d’observations et d’expérimentations rigoureuses, sa théorie de la circulation.
                                                                              ¤
    «  La chirurgie est parvenue au point de n’avoir presque plus rien à acquérir. » déclarait en toute simplicité un chirurgien parisien renommé, Jean Marjolin, en 1836.
                                                                               ¤
    «  Eviter la douleur dans les opérations est une chimère qu’il n’est plus permis de poursuivre aujourd’hui » affirmait, en1839, Alfred Velpeau, surnommé le Prince de la chirurgie, sept ans avant la première opération chirurgicale sous anesthésie générale.
                                                                                ¤
    «  Si j’avais l’honneur d’être chirurgien, pénétré comme je le suis des dangers auxquels les exposent les germes des microbes répandus à la surface de tous les objets, particulièrement dans les hôpitaux, non seulement je ne me servirais que d’instruments d’une propreté parfaite, mais après avoir nettoyé mes mains avec le plus grand soin […] je n’emploierais que de la charpie, des bandelettes, des éponges préalablement exposées dans un air porté à la température de 130° à 150°… » recommandait Pasteur en 1878
    A cela le professeur Peter à l’académie de Médecine, répondit la même année :
    « Ce sont là des curiosités d’histoire naturelle, intéressantes à coup sûr, mais à peu près de nul profit pour la médecine proprement dite, et qui ne valent ni le temps qu’on y passe, ni le bruit qu’on en fait. Après tant de si laborieuses recherches, il n’y aura rien de changé en médecine ; il n’y aura que quelques microbes de plus [] L’excuse de Monsieur Pasteur, c’est d’être un chimiste qui a voulu, inspiré par le désir d’être utile, réformer la médecine à laquelle il est totalement étranger[2]
                                                                               ¤

    «  Une habile mystification » déclara Lord Kelvin, un des plus grands physiciens de la fin
    du XIXe siècle, lorsqu’on lui rapporta la découverte en 1895 des rayons X par l ‘Allemand 
    Röntgen.
     


    Documentation réunie avec la collaboration de Jean Waligora

    [1] Cité par Bariéty et Coury, Histoire de la médecine
    [2] Cité par J-M Galmiche, Hygiène et médecine

     


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    « L'art de la médecine consiste à distraire le malade tandis que son affection poursuit son cours inexorable » disait Voltaire. Les médecins d'aujourd'hui guérissent  plus souvent les malades que du temps de Voltaire, mais les distraient probablement moins.

    Malgré son aspect scientifique actuel, la médecine reste un art et les praticiens, des artisans, notamment les chirurgiens. Comme eux ils travaillent le plus souvent aux pièces, ne soignent qu'un malade à la fois et acquièrent les gestes de leur métier et le maniement de leurs instruments après un long apprentissage. Mais cet art peut être exercé de diverses façons.                                                                              

    Les attraits du traitement collectif.

    L'idéal serait de donner à la médecine un petit côté industriel. Ce serait possible si un seul médecin pouvait traiter plusieurs malades à la fois. Méthode lucrative pour la médecin et qui pourrait être économique pour la société. La voie a été montrée par le Docteur Messmer avec une certaine réussite.

    A la fin du XVIIIe siècle, le médecin autrichien Franz Mesmer prétendait traiter toutes sortes de maladies avec le « fluide magnétique ». Il obtint des succès notamment avec une jeune claveciniste viennoise Mademoiselle Maria Teresa Paradies. Elle avait perdu la vue et était une protégée de l'impératrice Marie-Thérèse dont elle recevait une pension. Le Dr Mesmer fût amené à la traiter et la jeune fille parvint à distinguer le contour des objets. Les médecins qui n'avaient obtenu jusqu'alors aucun résultat, firent perfidement remarquer au père, dont ils connaissaient l'avarice, que si sa fille recouvrait la vue, la pension de l'impératrice ne lui serait plus versée et le traitement fût abandonné.

    S'installant à Paris, son succès fût tel et l'affluence si grande que Messmer mis au point un traitement collectif. Les malades encordés, disposés en cercle concentriques autour d'un baquet, étaient en contact avec son contenu (limaille de fer, verre pilé et bouteilles d'eau) par l'intermédiaire de tiges métalliques sortant du couvercle. Son fameux baquet provoquait souvent des crises d'hystérie collective...et obtint des guérisons. Les déboires, les satires, et le refus d'une expertise poussèrent Messmer à quitter Paris pour la Belgique, malgré le soutien de sa payse, Marie-Antoinette. Le « fluide magnétique » était bien parti pour faire le beurre des charlatans. Mais faut-il jeté le bébé avec l'eau du baquet ? Le magnétisme animal existe, il a été mis en évidence chez des bactéries ou les oiseaux. Et après tout c'est grâce à l'argent attiré par son magnétisme que Mesmer a pu commander à Mozart enfant son premier opéra : Bastien et Bastienne

    D'une certaine façon, le traitement collectif est aujourd'hui largement répandu sous la forme de la prévention et du dépistage où un nombre réduit de médecins impose leurs directives  à l'ensemble de la population. Dans l'exercice privé de la médecine, malgré ses avantages, le traitement simultané de plusieurs patients, tel que l'avait conçu Messmer, s'avère difficile à mettre au point. Seuls les psychiatres, psychanalystes ou psychologues  réussissent à appliquer parfaitement la méthode Messmerienne dans les thérapies de groupe où le gourou est honoré par chacun des participants en échange d'une parole devant témoins ou d'une écoute de la parole de l'autre.

    Les bonnes fées autour du lit.

    La configuration : un patient, plusieurs médecins reste en faveur aujourd'hui comme dans le passé.

    A l'hôpital, un malade - surtout s'il est « intéressant » - peut être interrogé et examiné de multiples fois le même jour. Il voit ainsi défiler toute la hiérarchie, du moins au plus gradé, finissant par connaître les gestes à faire et les questions qui lui seront posées, affinant les réponses et livrant parfois la clé du diagnostic au chef de service, dernier de la chaîne.

    Rien de nouveau si l'on en croit  une épigramme de Martial datant du premier siècle :

    « Malade, je réclame Symmaque ; le voici

    D'une bonne centaine d'étudiants suivi ;

    Sur mon sein chacun d'eux pose une main glacée,

    Je n'avais pas la fièvre et ils me l'ont donnée ! »[1]

    La visite à l'hôpital est la cérémonie pendant laquelle le malade est enfin très entouré et où l'équipe soignante lui montre le chef de service. C'est le moment pour ce dernier de ne pas décevoir son public. Le chef est reconnaissable : c'est le seul qui peut poser à tous des questions dont il connaît les réponses. Il peut parfois prendre plaisir et croire s'élever en abaissant ses subordonnés. Les mandarins sont une espèce non protégée, en voie de disparition. Les derniers représentants se dissimulent en se répandant en critiques sur leurs comportements nuisibles tout en continuant à les pratiquer pour leur compte personnel. On ne s'étonne donc pas que les panégyriques les plus flatteurs sont ceux que l'ont fait au départ à la retraite de son chef de service, car ils expriment la joie de le voir enfin partir.

    Le « staff » hospitalier permet d'exercer un art collectif de soigner en l'absence du patient. C'est une  réunion du personnel médical d'un service où l'on discute les dossiers des malades. Arène des rivalités sourdes où le patron a l'occasion d'enseigner et les assistants de se faire valoir. Pseudo démocratie de type athénien où seuls les « notables » du service ont droit à la parole et où, in fine , après avoir pris l'avis de tous ses subordonnés, le patron prend la décision thérapeutique qu'il aurait de toutes les façons prise en cinq minutes tout seul  dans son bureau.

    Le « réseau » est une idée en vogue Jusqu'à présent, le médecin consciencieux faisait du « réseau » sans le savoir, de façon informelle, avec des correspondants qu'il choisissait, pouvait changer ou ne pas solliciter lorsque ce n'était pas nécessaire. A présent le patient risque de tomber dans un réseau préformé de praticiens imposés, comme dans une toile d'araignées multiples dont il aura du mal à se dépêtrer.[2]

    Le « parcours de soins » est plus ou moins imposé au patient. Cette curieuse expression évoque une course de malades épuisés, passant obligatoirement d'un médecin à un autre, d'un examen au suivant, franchissant les obstacles du traitement en multipliant les relais onéreux. Pour respecter le slogan si souvent entendu : « soigner mieux », on pourrait agrémenter ce parcours d'un circuit touristique, en suivant les palmarès des cliniques et des hôpitaux qui paraissent régulièrement dans la presse. Se faire opérer une hernie à Montpellier, retirer la thyroïde à Lyon, les varices à Metz et revenir dans le sud-ouest, à Toulouse, pour soigner son infarctus du myocarde qui ne manquera pas de survenir après un tel périple.

    La pluralité praticienne a l'avantage d'entourer le malade d'un aréopage médical, mais si tous sont responsables de lui, aucun ne l'est vraiment.

    Quoi qu'il en soit, le patient passe encore d'un artisan à un autre et les soins dépendent de la compétence et du savoir-faire de chacun d'eux.

    Que tout le monde fasse la même chose.

    Pour que le malade ne dépende pas des fantaisies ou des trouvailles individuelles, il suffit d'imposer à tous les médecins la même façon de faire par des protocoles et des recommandations. On pourrait aller jusqu'à considérer que si un médecin ne les suit pas, il dérogerait au sacro-saint principe de précaution et devrait s'en justifier. Bel avenir pour l'immobilisme.

    Les recommandations de bonne pratique (RBP) sont des protocoles établis par les sociétés savantes ou les conférences de consensus. Guides utiles dont la rigidité évoque cependant la pensée unique de la Faculté du Moyen Age qui ne tolérait aucun écart. Pour le malade une bonne hérésie est parfois salutaire.

    Une conduite thérapeutique  doit être étayée par des études statistiques irréprochables. Il est fermement recommandé au praticien de n'utiliser que des traitements validés, de ne prendre aucune initiative, de douter de tout ce qui n'a pas été déterminé de cette façon. On se demande comment la médecine a progressé jusqu'à présent. «  La médecine n'a jamais progressé que par la transgression » (J-F Mattei, ancien ministre de la santé).

    Les recommandations des sociétés savantes et des agences officiels fleurissent et plus elles sont complexes plus elles paraissent scientifiques. Elles réduisent de fait (mais le plus souvent à bon escient) la liberté de prescription et d'innovation du médecin, à condition que celui-ci les comprenne et qu'elles ne se contredisent pas.  En cas d'incertitude, les conférences de consensus décident. C'est l'accord final d'un groupe d'experts au terme d'un débat opposant des opinions divergentes. L'une d'elles est probablement la bonne, mais n'est pas choisie. Un consensus qui concilie les divergences, est donc probablement faux. « Il nous faut refuser le  consensus qui a été inventé pour que les imbéciles ne se sentent pas seuls.» (Recteur Hélène Ahrweiler)[3].

    Les conférences répandent la bonne parole. La chaire donne de la hauteur à celui qui parle même si son discours est plat. Il arrive que multiplier les écrits, les exposés, les apparitions médiatiques conduisent à parler de malades que l'on n'a plus le temps de voir et de soigner. Lorsqu'un conférencier a un bon sujet, il peut lui servir pendant plusieurs années. Il va l‘exposer dans des lieux différents, même si l'auditoire ne change guère. Personne ne lui en veut de dire toujours la même chose, car orateur et discours ne font plus qu'un et l'un ne va pas sans l'autre.

    Les conférences, certaines sur « l'état de l'art », réunissent des médecins dans le but de regarder ensemble la projection de vues et seul le conférencier est habilité à les lire à haute voix. Le conférencier se repose entièrement sur elles. Il lui suffit de savoir les lire et d'agir comme si ses auditeurs n'avaient pas ce privilège.                                                                                                                                                           

    Les congrès assurent une diffusion mondiale. Leur mode atteint de nos jours le ridicule : autour d'une spécialité ou d'une spécialité dans la spécialité, plusieurs fois par an, avec redondance, dans une ville toujours éminemment touristique, c'est un rassemblement tourbillonnant de médecins qui ne prendront vraiment connaissance de ce qui s'y est dit qu'en lisant par la suite les comptes-rendus. C'est dans les couloirs des salles de congrès et par les seconds couteaux, assistants et internes, qu'on est au courant de ce qui se passe dans les services, des complications non dites, des pratiques non assumées, des astuces techniques gardées confidentielles, des résultats réels... Heureusement qu'il y a les couloirs.

    Le praticien, un peu perdu, empile les pilules

    Le praticien est le plus souvent dépassé et impressionné par le vernis mathématique qui accompagne chaque essai et le nom des experts qui signent les consensus et les recommandations. Il est incapable de juger de la véracité de ce qu'on lui impose et leur fait confiance. Les erreurs, les fraudes, les pressions de l'industrie pharmaceutique sont indiscernables.

    La plupart des essais sur lesquels reposent les directives des experts, qui participent souvent eux-mêmes aux études, sont parfaitement honnêtes et crédibles. Si bien que lorsqu'il est démontré - et les laboratoires s'efforcent de le faire - qu'un médicament est efficace pour une maladie, il doit s'ajouter aux autres pour lesquels la démonstration a déjà été faite. La réduction de la morbidité et/ou de la  mortalité obtenue par chacun d'eux tourne souvent autour de 30%. Il est décevant de constater que la sommation des soustractions n'entraîne pas une guérison totale, mais une multiplication des effets secondaires.


     Documentation réunie avec la collaboration de Jean Waligora


     

    [1] Cité par Kenneth Walker, Histoire de la Médecine
    [2] Il y a même des « café-réseaux »
    [3] Le Monde du 7/0 7/ 1994).



     


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  • Un nouveau langage est apparu en médecine et dans les lois qui la concernent, fortement inspiré de celui de l’entreprise et introduisant enfin la pratique médicale dans l’économie de marché en dehors de laquelle il n’y a pas de salut. Voici un petit glossaire médico-libéral qui permettra aux attardés de se mettre à la page :
     
    Usager du système de santé désigne en fait tout le monde, puisque dès la naissance on acquiert ce statut, ne serait-ce que par les vaccinations obligatoires. On devient usager du système de santé bien avant d’être abonné à un distributeur de service quelconque. D’après le code civil « L’usager ne peut céder ni louer son droit à un autre », c’est un privilège de naissance dans les heureux pays où ce système existe. Etre un usager plutôt qu’un patient contribue à banaliser la maladie et à en faire un état commun, presque normal.
     
    Consommateur de soins désigne une personne malade ou craignant de l’être. Il était opportun de remplacer le terme malade par consommateur, plus valorisant. La maladie constitue un handicap et introduit une discrimination, alors que consommer des soins c’est comme acheter une marchandise et participer à l’activité économique du pays.
     
    Producteurs de soins. Le médecin en fait partie, mais il n’est pas le seul. Un producteur de soins a la particularité de ne rien produire et élever le médecin au rang de producteur devrait le satisfaire. Formé pour porter secours aux autres, il avait jusqu’à présent une conception romantique de son rôle et devenir enfin un acteur économique est tout de même plus sérieux.
     
    Capital santé. Etre malade ou en bonne santé ne signifie plus grand chose. Nous sommes tous capitalistes. Notre santé constitue un capital. Malheureusement, on ne peut ni l’investir, ni le faire fructifier. Par contre, on peut tenter de le préserver ou de le récupérer. « …le patient est prêt à participer à la décision médicale et à acquérir une certaine autonomie dans la gestion de son capital santé »[1]. Le capital santé, comme tout capital qui dort, s’érode avec le temps, sa particularité est de disparaître avec le capitaliste. Ses descendants n’héritent que du capital génétique qu’ils ne peuvent refuser même lorsqu’il est défaillant.
     
    Propriétaire. Un consommateur de soins est propriétaire de sa maladie (et bien sûr du dossier qui la décrit). Le détenteur de cette propriété cherche à s’en débarrasser au plus vite et à tous prix, jusqu’à rémunérer celui qui l’en débarrassera. Quoi qu’il en soit, la propriété est sacrée et il n’est pas question que le médecin s’en empare comme si elle était sienne et prenne des décisions au nom du propriétaire légitime. Le médecin ne doit pas s’approprier indûment la maladie de son patient et lui retirer cet avantage sans son avis.
     
    Gestion. Ce terme fait fortune dans tous les domaines et il n’y a aucune raison de ne pas l’appliquer à la médecine. On gère un amour, une amitié, un mariage, des enfants…Alors on peut gérer un malade, une maladie, un traitement comme on gère une entreprise.
     
    Co-gestion. Laissons la parole au Dr M. Ducloux, Président du Conseil National de l’Ordre des Médecins[2] : «  le passage du malade passif, dans une relation de bienveillant paternalisme médical, à un patient devenant davantage actif et co-gestionnaire de sa santé ». En bonne logique économique, il aurait du parler de la co-gestion du capital santé. Chacun sait à présent que le médecin et le consommateur de soins sont des partenaires, voire des associés dans la gestion de la maladie, mais seul l’un d’entre eux en est le propriétaire et l’autre fait de son mieux pour l’exproprier en ménageant sa susceptibilité.
     
    Négociation. Il est évident que les partenaires d’une co-gestion sont amenés à négocier. Ils négocient quoi ? Les examens et le traitement dont doit bénéficier l’un d’eux, toujours le même. Et que se passe-t-il si ce dernier les refuse ? Il reste propriétaire de sa maladie. C’est tout.
     
    Prestataire de service. La jurisprudence[3] fait du médecin un prestataire de service comme un autre, soumis aux mêmes obligations vis à vis de son client qu’un assureur, un vendeur ou un banquier. Non seulement le médecin doit dire la vérité, mais il doit aussi prouver qu’il l’a dite et que son patient l’a bien comprise. Dans le contrat qu’il passe avec le consommateur de soins, les petits caractères illisibles qui viseraient à tromper son client sont interdits. La transparence permet au consommateur de soins de se voir tel qu’il est, à lui d’assumer pleinement sa propriété.
     
    C’est beau l’humanisme.
                                                                                                                         

    [1] Philippe Eveillard, La Revue du Praticien / 2004 : 54
    [2] Conférence inaugurale du Médec 2004
    [3] « Celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation ».( Arrêt Hédreul de la Cour de Cassation de 1997)

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