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Par Dr WO le 22 Décembre 2017 à 11:02
Sur la table trône une boîte crânienne. La jeunesse est le temps tourmenté où un crâne sert de presse-papiers pour penser à la mort encore lointaine. Un crâne dénudé - funeste miroir - n'orne pas la table des vieillards hantés par leur mort prochaine.Boîte nettoyée par la putréfaction, elle avait jadis contenu une cervelle : entrelacs serrés de fils à profusion, parcourus de bouffées d'étincelles, distillant entre eux des sucs subtils, pour crisper le corps et accoucher la pensée.
Coquille vidée, devenue inutile, l'air s'est installé par les trous désertés à la place d'un savoir patiemment acquis, d'émotions, de désirs, d'images gravées, d'un monde imaginaire et de regrets aussi.
Devant le reste dérobé d'un anonyme trépas, ton jeune cerveau rêve dans sa boîte crânienne, la mort te fascine mais les questions sont vaines :
Personne n'y répondra.
Paul ObraskaPaul Cezanne "Jeune homme avec un crâne"
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Par Dr WO le 20 Juillet 2014 à 16:04
Une maille à l’endroit, une maille à l’envers
Tête penchée, visage serein
Les fines aiguilles entre les doigts fins
Une pensée à l’endroit, une pensée à l’envers
La femme au pull-over rouge rêve
Elle démaille sa vie encore brève
Un souvenir à l’endroit, un regret à l’envers
Peut-être celui d’anciennes amours
Et les doigts se croisent et courent
Pendant que défilent les souvenirs
Le tricot sort peu à peu de ses mains
Et elle tricote à présent son avenir
En suivant le fil des jours incertains
Un désir à l’endroit, une crainte à l’envers
Est-ce la pensée de l’enfant à venir ?
Le visage lisse est nimbé de lumière
Paul Obraska
Moïse Kisling : « La femme au pull-over rouge »
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Par Dr WO le 23 Novembre 2011 à 16:35
LE TAUDIS EN FETE
Sous les toits, dans un taudis
Quatre adolescents assis et un enfant couché
Ont revêtu leurs plus beaux habits
De l’ocre macule les murs par endroits
Des tuyaux rectilignes de métal rouillé
Serpentent dénudés le long des parois
Un miroir glauque au reflet estompé
Deux robinets, un lavabo angulaire
Ils ont avec soin balayé le plancher
Sur la table pousse un buisson vert
Dans la misère nue des quatre murs
L’un contre l’autre, leurs corps serrés
Les quatre jeunes gens à la morne figure
Sur un lit de métal servant de canapé
Se sont déguisés en riches créatures
Robes à fleurs, robe à bandes dorées
L’aîné, les pieds nus, les mains ballantes
Un éventail brasse la froideur du taudis
Une mandoline aux cordes manquantes
C’est la fête amère des enfants démunis
Quatre adolescents assis et un enfant couché
Ont revêtu leurs plus beaux habits
Ils posent dans un rêve désespéré
Paul Obraska
Lucian Freud « Intérieur W11 » (après Watteau) 1981-83
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Par Dr WO le 27 Août 2011 à 11:40
DECHEANCE
Ses yeux rêvent de ce qu’elle fut
Elle découvre une épaule osseuse
La robe cache ses seins disparus
Sur sa tête un chapeau de gueuse
Un reste d’élégance dans le maintien
Sa parole pourrait peut-être séduire
Cette femme déchue a eu un destin
Sa tête laide est pleine de souvenirs
Ne la jugez pas sur les marques du temps
Le corps assassin aujourd’hui l’abandonne
Ne riez pas de ce qu’elle est à présent
Elle était aussi belle qu’elle fut bonne
Paul Obraska
Chaim Soutine « Déchéance »
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Par Dr WO le 28 Juillet 2011 à 18:11
L’HOMME EN MARCHE
L’homme en marche
Marche d’abord d’un bon pas
Energiquement
Il ne sait pas pourquoi il marche
Il ne sait pas ce qui le pousse à marcher
Il ne sait pas où il va vraiment
Mais il continue à marcher
Bêtement
Le monde autour de lui défile
Il reste le même immobile
Mais il sent avec étonnement
Que plus il marche plus il s’épuise
Et plus il s’épuise
Plus il sait où il va vraiment
Fatalement
Mais qu’importe le chemin
L’essentiel est de marcher
Qu’importe la fin
L’homme marche le buste penché
Il marche pour ne pas tomber
Paul Obraska
Giacometti « L’homme en marche »
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Par Dr WO le 9 Avril 2011 à 09:49
LA LETTRE
Papier gravé de mots
Message d’un instant
Envoi d’un passé clos
Retenu dans le temps
La lettre venue de loin
Postée dans le devenir
Repose dans tes mains
Comme un souvenir
L’homme que tu aimes
Et qui tenait la plume
Est-il toujours le même ?
Les passions se consument
En laissant des amours
Leur encre d’amertume
Paul Obraska
Vermeer : « Jeune femme lisant une lettre devant une fenêtre ouverte »
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Par Dr WO le 30 Octobre 2010 à 16:50
Dali : "L'homme invisible"
L’HOMME INVISIBLE
Dans la pénombre vit un homme.
Il n’est que ce qu’il consomme,
Alors peu à peu son ombre s’efface,
Pour disparaitre aux yeux de ses pareils,
Invisible corvéable perdu dans la masse.
Ce ne sont pas les rayons du soleil
Qui diffusent dans le carré de lumière,
La lucarne donne sur un mur lumineux.
Un monde parallèle se cache derrière,
Un monde virtuel éclaté en mille lieux,
Et les humains invisibles restent assis,
Le subissent ensemble ou s’oublient.
Dans leur solitude fascinée,
Ils regardent pour regarder,
Ou entendent ce qu’on leur dit.
Parfois leurs doigts tapent avec rage
Pour lancer des salves de mots écrits
Sur les fils, en échangeant leurs pages.
Dans la pénombre et le silence habité,
Dans cet univers bruissant d’images,
L’homme de chair s’est désincarné.
Paul obraska
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Par Dr WO le 1 Septembre 2010 à 17:33
Lucian Freud « La jeune fille et le chaton » 1947
DOUTE
Douce jeune fille aux yeux rêveurs
La main serrée sur le cou tu hésites
Entre pulsion et peur
Mais si tu veux le faire
Alors fais-le vite
Le chaton laisse faire
La main qui l’étrangle
Est celle de sa maîtresse
Ses doigts comme des sangles
Sont ceux de ses caresses
Alors il ne risque rien
Mais pourquoi ce silence ?
Sa maîtresse serre sa main
Le chaton perd confiance
Et si elle l’étranglait tout de même ?
On n’est pas à l’abri de ceux qui vous aiment
Paul Obraska
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Par Dr WO le 22 Juin 2010 à 17:46
INTIMITE
Deux femmes seules se croient à l’abri
Et se déshabillent derrière les pavots
Nous les voyons retirer leurs habits
Par la fenêtre indiscrète du tableau
L’une achève de se dévêtir par le haut
Ses seins lourds nimbés de lumière
Les bras dans un geste de flamenco
Yeux clos, elle est prête la première
L’autre, le visage penché dans l’ombre
Les doigts sur une boucle rebelle
Le flot défait de ses cheveux sombres
Impatiente de rejoindre sa belle
Paul Obraska
Francis Picabia : « Deux femmes aux pavots »
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Par Dr WO le 27 Mai 2010 à 17:52
JALOUSIE
L’homme furieux renversa l’assiette du chat
En feulant le félin de ses yeux fendus le fixa
La femme leva les yeux où perlait une larme
L’homme furieux jeta le livre que lisait la femme
Et les mots roulèrent comme des perles désunies
Le chat se réfugia dans les bras de la femme
Et demanda : « Pourquoi cette furie ? »
« La jalousie » fit la femme en caressant le chat
« De moi ? » questionna le chat en ronronnant
« Non » répondit la femme fidèle en soupirant
Et le chat fit le gros dos, sortit ses griffes et grogna
Paul Obraska
Pierre Bonnard : "Le chat blanc"
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