• Le moralement correct

    André Comte-Sponville (ACS) est un passeur de philosophie que j’aime bien[1]. Sa langue est claire et pédagogique. A propos de la prochaine sortie de la deuxième édition de son « Dictionnaire philosophique » (le 28 août d’après mon libraire) il a répondu aux questions d’un journaliste du Point (du 15 août 2013). Dans cet ouvrage il y aurait une nouvelle entrée : « politiquement correct » et à la question : « …estimez-vous que le politiquement correct a gagné du terrain ? » sa réponse a été la suivante : «Oui, malheureusement ! La politique est en crise ; la morale est à la mode. D’où la tentation, chez beaucoup, d’ériger les bons sentiments en projet politique. Le politiquement correct, en tout cas en France, est d’abord un moralement correct ! J’y vois un danger plus qu’un progrès. La morale et la politique sont deux dimensions essentielles de notre vie, mais on a toujours tort de les confondre. Il ne suffit pas d’être antiraciste, par exemple, pour définir une bonne politique de l’immigration. » En cela ACS s’oppose à Rousseau qui disait : «Ceux qui voudront traiter séparément la politique et la morale n’entendront jamais rien à aucune des deux ». Mais Rousseau vivait à une époque bien différente de la nôtre.

    Ce qu’on appelle le politiquement correct est avant tout un langage, des discours, des attitudes et des opinions. Obliger les gens à utiliser un mot plutôt qu’un autre, c’est suivre la tendance morale du moment et l’influence des groupes de pression. Le vocabulaire change jusqu’au ridicule pour ne pas heurter la susceptibilité exacerbée de telle ou telle fraction de la population. Le vocabulaire, c’est de la cosmétique, mais pas de la politique, c'est-à-dire gouverner.

    Cette morale est largement imprégnée du rejet de la négation des valeurs humaines observée pendant la IIème guerre mondiale, et dont on craint le retour. L’Union européenne est particulièrement vigilante au respect de ces valeurs. Elle est aussi une conséquence de la repentance de l’ère coloniale. C’est une prise de conscience nécessaire, mais ce n’est pas faire de la politique. Condamner (parfois devant les tribunaux) des opinions parce qu’elles heurtent l’opinion majoritaire ou des principes adoptés ou imposés au plus grand nombre, est-ce gouverner  ou niveler la pensée ? Il est vrai que niveler la pensée est un principe de gouvernement.

    Est-ce à dire que la politique ne doit pas tenir compte de la morale (je ne parle pas de la moralité individuelle) ? Il existe des opinions moralement incorrectes qui, dans leur expression, poussent à des exactions ou même au meurtre et les condamner pour maintenir l’ordre, c’est faire de la politique.

    Mis à part les opinions dangereuses qui propagent la haine, le politiquement correct, tel qu’il est imposé, est souvent une attitude d’évitement et en se substituant à la politique, car il est plus simple de faire de la morale que de la politique, il finit par cultiver les difficultés plutôt que de les résoudre. Se contenter du moralement correct risque d’aboutir à un politiquement incorrect.


    [1] Si vous ne l’avez pas déjà lu, je vous conseille de lire un de ses livres ; « L’esprit de l’athéisme » qui montre que l’athéisme a aussi sa spiritualité.

    « Le sein symboliqueSpectacle »

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 21 Août 2013 à 17:31

    Mise à part, comme vous le dites des propos qui distillent la haine de l'autre, pour moi, le "politiquement correct", n'est qu'un fourre-tout, où l'on entasse toutes les hypocrisies que l'on a pas envie de combattre ou d'expliquer : c'est si facile d'agir au nom du politiquement correct ou de son contraire, en ne le jugeant que d'après ces propres idées !

    Pour autant j'aimerais bien lire cet auteur par petites vagues afin de bien le comprendre !

    Bonne journée Paul !

    Nettoue

    2
    Dr WO Profil de Dr WO
    Mercredi 21 Août 2013 à 17:48

    Le politiquement correct est en effet souvent hypocrite. Qu'entendez-vous par petites vagues ?

    3
    Mercredi 21 Août 2013 à 17:54

    On en arrive souvent à refuser d'aborder certaines questions dont on appréhende la réponse. Par exemple, sur la récente déclaration du ministre de l'intérieur sur le regroupement familial, Cécile Duflot a rétorqué que "la question du droit à vivre en famille ne se pose même pas". Et pourtant elle se pose pour bien d'autres personnes que les immigrés et il y est répondu par la négative: les marins au long cours, les travailleurs des plate-formes pétrolières ou des chantiers en Afrique, les militaires en opération etc. Déplacer le regroupement familial sur le terrain d'un droit est une manière de refuser de parler d'une politique qui transforme des immigrés provisoires en immigrés définitifs.

    4
    Dr WO Profil de Dr WO
    Mercredi 21 Août 2013 à 18:02

    Tout devient un droit. Pour vivre en famille, le plus simple aurait été de ne pas émigrer. Les villages africains forment de grandes familles.

    5
    Mercredi 21 Août 2013 à 18:26

    Par petites étapes Paul ! Certains dictionnaires de philosophie sont assez ardu, car la philosophie de l'auteur n'est pas forcément celle du lecteur : Faire la part des choses demande de la réfléxion et je suis souvent impulsive : Pour autant, je vais toujours au fond des choses.

    Voilà, voilà voilà.

     

    @ Pangloss

    Je partage son avis à mille pour cent !

    Nettoue

    6
    Dr WO Profil de Dr WO
    Mercredi 21 Août 2013 à 19:25

    Habituellement, les livres de philosophie exposent essentiellement la philosophie des autres.

    7
    Mercredi 21 Août 2013 à 21:53

    Un livre que je vais certainement commander à la FNAC, Doc.

    Effectivement, toutes questions de société  sont à aborder, actuellement, sur la pointe des pieds, en utilisant des formulent adaptées à ce politiquement correct qui engendre un moralement correct.

    Cette façon d'envisager ce type d'expression, me repousse quelques années en arrière....

    J'ai le sang chaud et je ne m'embarrasse pas de fioriture... un chat est un chat après tout...!!!! 

    Mais mon patron avec qui j'ai passé 14 ans de ma vie au boulot me disait souvent.."Pas de vagues Anne Marie, pas de vagues!" il connaissait déjà le politiquement et le moralement correct ce brave homme. Bonne soirée Doc. ZAZA

    8
    Dr WO Profil de Dr WO
    Mercredi 21 Août 2013 à 22:35

    Dire la vérité est souvent provoquant.

    9
    Jeudi 22 Août 2013 à 12:24

    Bonjour Paul

    En continuité avec le com de Zaza, mon patron me disait plutôt, car il savait qu'il m'arrivait d'en faire "N'oubliez pas vos rames Muguette"

    Nettoue

    10
    Dr WO Profil de Dr WO
    Jeudi 22 Août 2013 à 16:31

    C'est pour ça que vous voulez lire des livres de philosophie par "petites vagues"

    11
    Vendredi 23 Août 2013 à 15:42

    On n'arrête pas de nous ''faire la morale" comme on disait dans le temps et parallèlement se développent des comportements de plus en plus effroyablement amoraux.

    Les chemins de l'enfer sont pavés de bonnes intentions...

    12
    Dr WO Profil de Dr WO
    Vendredi 23 Août 2013 à 16:45

    Vous avez tout à fait raison. La violence gratuite n'a jamais été aussi présente dans ce monde qui se veut moral au point de châtier (châtrer ?) le langage. Quand je dis gratuite, c'est la victime qui paie.

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