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Par Dr WO le 1 Janvier 2020 à 11:58
Le premier jour de l’année nouvelle
l’homme âgé se regarde dans le miroir
Qu’espère-t-il y voir ?
Objet glacial impudique et rebelle
le miroir efface l’illusoire
Encore une année de gagnée
se dit l’homme pour se consoler
Encore une année de perdue
se dit l’homme amer
Gagnée ou perdue ?
La vie est un jeu à qui gagne perd
Et le temps s’écoule
sur les montres molles de Dali
et l’on se noie dans sa houle
et l’homme se dit
pourquoi lutter à contre-courant ?
de toute façon on coule
emporté par le temps
Alors l’homme tire la langue au miroir
Qu’importe ce qu’il avait été
Il chasse son fantôme de la mémoire
et sans hésiter
prend son rasoir
sourit à ses restes
et commence à se raser
en savourant les petits gestes
les petits gestes coutumiers
les petits gestes modestes
de la vie
Paul Obraska
Dali : "La persistance de la mémoire"
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Par Dr WO le 22 Juillet 2019 à 17:10
Il y a des pays
Où il n’y a pas de fontaines
Des pays sans eau
Des pays malheureux
Il y a des pays
Où il y a de l’eau
Mais pas de fontaines
Ce sont des pays heureux
Mais qui n’ont rien compris
Les fontaines
On les entend avant de les voir
La chanson joyeuse et familière
De l’eau clapotant dans l’eau
De l’eau éclaboussant la pierre
Un chant de promesse de bonheurs
Le bonheur d’apaiser la soif
Le bonheur de fraîcheur
Le bonheur de pureté
Bien sûr il y a les fontaines royales
Avec leurs jets d’eau domestiquée
De l’eau qui fait des ronds
De l’eau qui fait le beau
De l’eau qui fait la roue
Pour se faire bien voir
Mais elle n’est pas à boire
Les petites fontaines sont bien plus belles
Au milieu d’une place nue
Avec leur chant de chanterelle
Coulée de fraîcheur têtue
Sur la pierre douce arrondie par l’usure
Quelques herbes en houppes
Et un peu de mousse au mur
Dans ses mains en coupe
Pour exaucer une prière
On recueille l’eau claire
Que l’on boit goulûment
Sans retenue bruyamment
En serrant les doigts pour éviter les pertes
Le visage mouillé de fraîcheur
Le menton humide le sourire éclos
Sur une place déserte
Ecrasée de chaleur
Où les maisons volets clos
Abritent les dormeurs
Paul Obraska
Cézanne : "La fontaine"
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Par Dr WO le 21 Mars 2019 à 16:21
Le petit texte ci-dessous a été publié sur ce blog il y a juste dix ans. Il ne faut pas regretter de voir le temps passer, il est regrettable de le voir s'arrêter.
Chagall « Anniversaire »
Lorsqu’il se réveilla ce matin-là, il vit venir un ange, un peu maladroit, ses grandes ailes le gênant pour marcher (non, ce n’était pas un albatros) et arrivé, cahin-caha, au pied de son lit, la créature céleste lui proposa une nouvelle tranche de vie.
Il répondit que la précédente ne lui avait pas déplu et qu’il ne cracherait pas dessus. L’ange approuva de ses ailes, car les gens n’étaient pas toujours contents de ce qu’ils avaient eu et il devait parfois remporter sa tranche au ciel quand les gens trouvaient leur vie amère.
Et l’ange découpa soigneusement dans le gâteau d’anniversaire une tranche de vie pour un an.
Le voyant faire, il demanda timidement s’il ne pouvait pas en couper davantage. Mais l’ange répondit qu’être trop gourmand ne serait pas sage, qu’il fallait se contenter de ce qui était donné et le savourer lentement pour ne pas avaler de travers, un accident est si vite arrivé et il serait dommage de ne pas terminer la tranche de vie de l’année.
Sur ces paroles, l’ange mit une bougie de plus sur le gâteau entamé et plus à l’aise dans l’air que sur le sol, s’envola en lui souhaitant un bon anniversaire.
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Par Dr WO le 27 Mai 2017 à 13:15
Il y a la main qui écrit, la main qui pétrit, la main qui peint, la main qui pétrit le pain. La main du médecin qui recherche le mal, celle du chirurgien qui le tranche pour le bien.
Il y a la main complice qui donne une caresse à l’être que l’on aime, au chien qui vous aime, ou aux fesses tentatrices.
Il y a les mains réunies, une menotte dans une grosse, une large sur une fine, les doigts entrelacés. De petites mains unies dans une ronde enfantine. Celles jointes en prière, ou menottées de fer pour avoir la paix.
Il y a les mains qui parlent de ceux qui parlent trop ou de celui qui se tait parce qu’il est muet
Il y a ceux qui tendent la main pour connaître leur destin, et ceux qui prétendent l’avoir dans leurs mains, mais n’en savent rien.
Il y a celui qui tend la main, le dos au mur, parce qu’il n’a rien, sauf la soif et la faim.
Il y a ceux en colère qui ferment la main pour en frapper le voisin ou le tenir en l’air pour menacer l’univers.
Il y a les mains habiles qui trichent ou dérobent. Il arrive que devant des messieurs en robe, ils tombent dans la nasse comme des poissons morts.
Il y a les mains assassines qui serrent le cou un peu fort : meurtre ou accident, au hasard du jugement.
Il y a les hommes souriants qui se serrent longuement la main par devant, et jouent parfois à celui qui serre le plus fort, pour la photo, ou qui se passent la main dans le dos pour se trahir demain.
Il y a ceux qui se salissent les mains dans les moyens justifiés par la fin ou dans le sang de la guerre et en sont fiers. Il y a ceux qui s’en lavent les mains, et même s’ils se donnent du mal leurs mains restent sales.
Il y a les mains qui tremblent avec sur leur dos cette terrible crasse sénile, ces petites taches brunes qui petit à petit se touchent et tirent un voile blanc sur le destin de chacun.
Albrecht Dürer : "Le Christ au milieu des docteurs" (détail)
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Par Dr WO le 15 Mai 2017 à 19:59
Gustave Klimt "Musique"
Il y a un lieu qui rassemble dans les cieux les musiciens morts avant de devenir vieux, ceux qui disparaissent avant quarante ans, et que leur génie rend immortels.
Pergolese en est le benjamin. Marie par son instinct de mère a un petit faible pour l'Italien. Quand on joue son Stabat Mater, elle l'écoute debout sous le charme sans pouvoir retenir ses larmes.
Quand Pergolèse vint, Purcell était déjà là en habit de cour après avoir quitté ses rois.
Entre compositeurs lyriques ils se sont vite compris, et les deux s'inclinèrent quand Mozart arriva. Le grand Mozart déjà grand lorsqu'il était petit, tiré d'une fosse commune après qu'on l'eùt trouvé là où les croquemorts sous la neige l'avaient égaré
Schubert bohème et fidèle en amitié hésita à quitter le cimetière de Vienne où il était enterré près de son cher Beethoven. Lui qui n'avait pu partager de grand amour, lorsque le délicat Chopin arriva à son tour, il lui fit raconter sa passion pour Maria dont la maternelle George Sand le consola
Mendelssohn venu peu avant, en homme raffiné les écoutait poliment.
Le dernier arrivé parmi eux fut Bizet trois mois après la création de Carmen, le temps que les critiques se déchaînent sur l'opéra qui allait triompher peu après.
Sur les portées des étoiles filantes, les musiciens aux chants inachevés composent les musiques enivrantes qu'ils n'ont pas eu le temps de créer. C'est ainsi que devant un ciel étoilé, devant l'orange d'un coucher de soleil, devant l'amour des amants, dans le rire des enfants, en tendant bien l'oreille on entend, venues des nues, des musiques inconnues.
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Par Dr WO le 29 Mars 2017 à 17:45
Vincent Van Gogh : "Résurrection de Lazare"
Je suis dans un sommeil sans rêves
Très profond tel un repos éternel
Et j'entends une voix qui m'appelle
Je connais cette voix qui s'élève
Que dit-elle ? Qu'il faut que je me lève !
Et que je marche ! Et encore quoi !
Moi je ne marche pas
Je suis au frais dans un sommeil de rêve
Je fais le mort et garde les yeux fermés
Je n'ai pas l'intention de me lever
Et subir encore les tracas de la vie
Subir le joug de l'Occupation*
Subir les persécutions
Jamais de la vie !
Paul Obraska
* Romaine
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