• Les choses s’expliquent

    Les extraits et décoctions d’écorce, feuilles et sève contenant des précurseurs de l’aspirine ont été utilisés contre les fièvres et les douleurs articulaires depuis l’Antiquité. Au XVIIIe siècle,  le Révérend Edward Stone faisait remarquer que si les saules poussent dans les lieux humides et malsains, justement là où l’on attrape des fièvres et des rhumatismes, ce ne peut être un hasard.

     

    Un remède miraculeux

    Auguste Kékulé disait avoir découvert le cycle du benzène après avoir vu en rêve un serpent se mordant la queue. On peut se demander si comme le rêve,  l’insomnie favorise la pensée créatrice ou l’inverse ? C’est en tous cas pendant une nuit d’insomnie que le jeune chirurgien et physiologiste canadien Fréderick Banting eût l’idée qui conduisit à la découverte de l’insuline. La veille il avait lu un article montrant que l’obstruction des canaux du pancréas provoquait la destruction de la partie digestive de la glande (les acini) en préservant la partie qui fabrique l’hormone (les îlots de Langerhans). Banting en se retournant dans son lit eut une « idée fulgurante », aussitôt notée dans son carnet : « Lier les canaux pancréatiques des chiens. Les maintenir en vie jusqu’à la dégénérescence des acini, laissant les îlots. Essayer d’isoler leur sécrétion interne pour guérir la glycosurie. » (cité par J. Hazard et L.Perlemuter, L’Homme hormonal, éd. Hazan). Et Banting pût enfin s’endormir à deux heures du matin.

    Frederick Grant Banting, Charles Herbert Best, James Richard MacLeod, James Bertram Collip, Marjorie, et Léonard Thomson sont les héros canadiens de l’épopée qui aboutit en 1921 à une des plus grandes découvertes de l’histoire, non seulement de la médecine mais de l’humanité : celle de l’insuline à qui des millions de diabétiques doivent la vie. Marjorie est la première chienne rendue diabétique qui a survécu grâce à des extraits pancréatiques. Léonard, un garçon de 14 ans, est le premier sauvé par l’insuline. Les quatre autres ont tous contribué d’une façon essentielle à la découverte. Seuls Banting et son patron Macleod ont été récompensé par le prix Nobel 1923. Ils en ont partagé le montant avec les deux autres. Aucun n’a pris de brevet. Autre temps, autres mœurs….

     Banting (à droite), Best (à gauche), la chienne (en bas)



    La multiplication miraculeuse des petites pilules

    Aujourd’hui les médicaments se multiplient par miracle et peuvent même précéder les maladies « Rien n’est plus prodigieux que de découvrir des maladies nouvelles qui correspondent aux nouveaux médicaments » (Georges Elgozy[1]). L’offre pharmaceutique étant en expansion continue comment s’étonner de l’augmentation de la demande[2]. Le médecin est noyé par un flot continu de spécialités dont la plupart ne sont que des clones du produit initial et le rôle principal des visiteurs délégués auprès des médecins par les laboratoires est de leur démontrer que ces clones diffèrent les uns des autres.

    Il existe un médicament pour chaque mal et une notice pour chaque médicament comme un avocat accompagne son client. Les médecins ne sont pas en reste, lorsqu’ils modifient les critères de normalité ou discutent même cette notion, et traitent des patients qui ne sont pas encore malades mais qui ont une certaine probabilité de le devenir. Où commence l’abus ? La frontière n’est pas la même pour les gens sains et ceux qui sont malades, qui pensent l’être ou craignent de le devenir. Il est cependant regrettable que l’armoire à pharmacie serve surtout à conserver les médicaments périmés.

    Prescrire était l’acte de la consultation le plus respecté. Il l’est moins depuis que la plume a été remplacée par l’imprimante qui sort une ordonnance préétablie et il ne l’est pas du tout lorsque la prescription est faite sous la dictée du patient.

    Documentation réunie avec la collaboration de Jean Waligora 



    [1] L’Esprit des mots

    [2] En France, la part du PIB consacrée à la consommation de médicaments serait de 2%, chaque Français en aurait pris en moyenne 40 boîtes en 2001. Actuellement le montant global des dépenses publiques de santé représenterait 8,9% du PIB selon Jacques Marseille (le Point du 15/O1/2009).


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  • Un remède servi avec le café et le chocolat

    Jusqu’au XVIIe siècle le seul vrai médicament dont disposaient les médecins était l’opium, probablement  l’unique ingrédient actif de la fameuse thériaque mise au point par le médecin de Néron, Andromaque le Crétois et qui a été utilisée pendant près de deux mille ans !… C’est alors que l’écorce de quina-quina, utilisée par les indiens du Pérou pour traiter la fièvre est importée en Europe par les jésuites espagnols et portugais. D’emblée médicament et appât du gain sont liés, et les jésuites s’en réservent l’exclusivité, ce qui ne contribue pas à leur attirer les sympathies.

    L’Anglais Thomas Sydenham comprend immédiatement l’intérêt du quinquina et en fait une préparation. Un de ses élèves, le pharmacien Robert Talbor émigre à Versailles, à l’époque infestée par le paludisme, pour la vendre chèrement à Louis XIV et aux nobles de la Cour. Bien entendu la Faculté avec son inénarrable doyen, Gui Patin, s’oppose au « remède anglais ». Mais l’efficacité est telle que le Roi l’impose. Madame de Sévigné en fait l’apologie. Racine écrivait à Boileau: " On ne voit à la cour que des gens qui prennent du quinquina et bientôt, à la fin des repas, on commencera à en servir avec le café et le chocolat ».

     L’arbre refusant de pousser en France malgré les efforts d’Albert de Jussieu, guérir des fièvres restait un luxe. Ce n’est qu’en 1820 que les pharmaciens français Joseph Caventou et Pierre Pelletier isolent le principe actif, la quinine, ce qui leur vaudra d’être  baptisés bienfaiteurs de l’humanité avant Pasteur et statufiés en haut du Boulevard Saint-Michel  à Paris. Les statues étaient en bronze, elles ont été fondues lors de la guerre 1939-1945. Pendant une guerre les bienfaiteurs de l’humanité passent logiquement au second plan. Néanmoins au 105 Bd St Michel il existe actuellement une fontaine avec les médaillons des découvreurs et au-dessus une femme alanguie peu voilée qui prétend être une allégorie de la guérison.

    La quinine a permis les conquêtes coloniales, l’essor des Empires européens et les grands travaux comme le percement du canal de Panama. Mais les hématozoaires responsables du paludisme, découverts par le médecin militaire français Charles Laveran, et les moustiques anophèles qui les véhiculent ne se laissent pas faire. Les moustiques deviennent résistants aux insecticides et le parasite réfractaire à la quinine, ses dérivés et autres antipaludéens. Il ne reste plus aux indiens qu’à découvrir un autre médicament efficace. Ils trouveront toujours des intermédiaires pour en profiter.

                                                                                   

    Un remède enivrant

    Le laudanum eût aussi son heure de gloire. C’est une solution alcoolique d’opium inventée par Paracelse au XVIe siècle. Une centaine d’années plus tard, Thomas Sydenham « l’Hippocrate anglais », pour son usage personnel, y ajouta de la cannelle, des clous de girofle, et du vin blanc. Cet excellent élixir qu’il avait concocté pour calmer ses douleurs de goutte et celles provoquées par sa lithiase rénale (dont il devait mourir), eut un succès phénoménal jusqu’au début du XXe siècle, non seulement auprès des médecins qui le prescrivirent pour à peu près tout, mais encore auprès des artistes, écrivains et membres de la haute société qui pouvaient ainsi se droguer et s’imbiber en même temps. Lord Byron, Charles Dickens, Edgar Poë, Modeste Moussorgsky (Portrait) y firent honneur.[1]



    Documentation réunie avec la collaboration de Jean Waligora

    [1] C’est en voulant guérir un morphinomane que Sigmund Freud redécouvrit l’action anesthésiante de la cocaïne. Il l’essaya sur lui-même et devint cocaïnomane. La même mésaventure advint au célèbre chirurgien américain William Halsted.


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  • « L’obsession des remèdes marque la fin d’une civilisation » disait Cioran. L’obsession des remèdes est de tous les temps et ce, quelle que soit la teneur des remèdes

    Potions amères

    Au Moyen Age on croyait aux vertus curatives de drogues prétendument faites avec des animaux extraordinaires, dragon, licorne, phénix. On utilise toujours la poudre d’os fossile de mammouth, pris longtemps pour des restes de dragon, en Chine, où l’animal est sympathique et bénéfique.  « Le dragon a le pouvoir de prendre de nombreuses formes, mais celles-ci sont impénétrables… Ses os, ses dents et sa salive possèdent des vertus médicinales….ses yeux, séchés et  battus dans du miel, forment un liniment efficace contre les cauchemars. », mais «  Le temps a considérablement émoussé le prestige des dragons »[1].  

    Voici quelques médications de la pharmacopée officielle au XVIIe siècle : yeux de crabe, plumes de perdrix, araignées vivantes enrobées de beurre, œufs de fourmi, excréments de chien et même de la poudre de momie égyptienne ou de la lunea faite avec de la poudre d’os de crâne humain…[2]

                                                                                                                                                                    

    Une guerre autour d’un remède

    La découverte du « vin émétique » à base d’antimoine, bénéfique dans certaines maladies digestives, a été attribuée à Basile Valentin,  bénédictin alchimiste d’Ehrfurth, au XVe siècle. Après l’avoir testé sur des porcs, ce bon moine l’essaya sur les frères dont il envoya quelques uns ad patres, d’où le nom. Mais il semble que le père Valentin n’ait jamais existé et que l’antimoine ait été amené plus tôt à Montpellier par les Arabes et utilisé en vertu du principe que puisque l ‘antimoine purifie l’or en alchimie, il doit bien en faire autant du corps. Quoi qu’il en soit ce fût le prétexte pendant une centaine d’années de disputes invraisemblables : « la guerre de l’antimoine ». Le doyen de la Faculté de Paris, Gui Patin parle de « forfanterie arabesque ». On publie des libelles : « L’Antimoine justifié », « L’Antimoine triomphant », « Le rabbat joye de l’Antimoine triomphant »[3] . Louis XIV ayant été guéri de troubles digestifs grâce à l’antimoine, le Parlement s’en mêle et l ‘autorise.



    Documentation réunie avec la collaboration de Jean Waligora

    [1] Jorge Luis Borges (Le livre des êtres imaginaires, éd. Gallimard)

    [2] D’après K. Walker (Histoire de la Médecine)

    [3] Cités par J. Lévy-Valensi dans  Histoire générale de la Médecine…  sous la direction du Pr Laignel-Lavastine

     


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  • Dans les traitements appréciés par les patients le naturel revient au galop. Nature, naturel, mots magiques qui confèrent à un traitement  un caractère d’innocuité, un zeste d’innocence édénique. « Laissez faire la bonne nature », à savoir les microbes, les virus, et toutes les dérèglements naturels de l’organisme. Dire que ce qui est naturel est bon pour la santé parce que naturel est une idée fausse.

    Un postulat de Pythagore

    « Ne mange pas de fèves »   est une des principales règles enseignées par Pythagore qui n’aurait pour rien au monde traversé un champ de cette légumineuse. On s’est interrogé sur les raisons de cette aversion.  Certains  évoquent une croyance des grecs en la présence de l’âme des morts dans la fève. Plus impertinent, Aristote prétend que c’est à cause d’une certaine ressemblance avec le sexe masculin. Et si Pythagore était tout simplement atteint de favisme, une maladie génétique dans laquelle l’ingestion de  fèves[1]  provoque une anémie grave, dont dix pour cent environ des grecs sont atteints ?

    Les vertus végétales

    Les régimes alimentaires garantissant longue vie et bonne santé ont de tous temps séduit. Au début du XIXe siècle, l’Américain Sylvester Graham, inventeur des crackers, surnommé « le persuadeur péristaltique », mena un grand combat pour les régimes végétariens et le pain de son.

    Les vertus des fruits et légumes pour « vieillir en bonne santé »[2] augmentent avec la distance qui les séparent de nos marchands de quatre saisons, qu’il s’agisse des baies du Grand Nord ou des fruits tropicaux.

                                                                                    

    Même les plantes qui ont bonne réputation  peuvent avoir des effets secondaires dangereux : la bourdaine et le séné malmènent l’intestin, l’arnica peut provoquer des dermites et des troubles gastro-intestinaux, l’eucalyptus des nausées et vomissements, la camomille des réactions allergiques, le millepertuis une photosensibilisation, le thym des troubles gastro-intestinaux, le kava a une toxicité hépatique comme le thé vert et l´Aloe Vera (qui entrent dans la composition des suppléments diététiques Herbalife) et l’aristoloche a une toxicité rénale et cancérigène… Si on ne peut plus se fier aux produits naturels...Bien sûr les accidents sont rares comme le sont ceux provoqués par la plupart des médicaments mais dont tolérance et l’efficacité sont testés avec plus de sérieux que pour les produits dits naturels considérés et vantés - par définition - comme non dangereux.

    En 2003, la ministre de la Santé d’Afrique du Sud soutenait que pour lutter contre le sida il était plus sûr d’utiliser de l’ail, de l’huile d’olive et de l’oignon que des anti-rétroviraux (en Afrique du Sud, 20% de la population est séropositive). « Parce que l’ail sauve de la mort, n’y renoncez pas, même s’il donne mauvaise haleine » (Sir John Harington, inventeur de la chasse d’eau).

    Les poisons de la bonne Nature

    En fait, la plupart des poisons viennent de la nature, même si certains d’entre eux sont utiles à la médecine :

    - L'amanite phalloïde est un champignon mortel. Périodiquement un médecin semble avoir trouvé le traitement, veut convaincre ses confrères en l’essayant sur lui et meurt

    - La digitaline est extraite de la digitale dont la fleur ressemble à un dé à coudre. A doses excessives, elle provoque des troubles de la vision des couleurs où les objets peuvent apparaître en vert ou en jaune. On s’est demandé si Van Gogh n’avait pas été influencé par le souvenir d’une intoxication digitalique, sa névrose ayant été traitée par de la digitale. La digitaline n’a sûrement pas guéri Van Gogh de sa névrose mais ses effets iatrogènes ont pu contribuer à son génie.


    - La belladone est une petite cousine de la tomate et de la pomme de terre, dont le fruit ressemble à une cerise noire, qui transformait les belles italiennes en allumeuses aux pupilles dilatées. C’est un véritable Dr Jekyll and Mr Hyde végétal. Du coté Hyde, un poison violent, mortel, l’atropine qui justifie la référence à Atropos, la Parque qui coupe le fil de l’existence. Les Romains l’utilisaient pour empoisonner les réserves de nourritures de leurs ennemis, premier exemple de guerre chimique. Du côté Jekyll les actions thérapeutiques multiples, importantes et toujours actuelles de ses alcaloïdes.


    - Les curares sont des poisons utilisés en anesthésie pour obtenir un relâchement de la musculature abdominale de l’opéré et des nerfs de l’opérateur qui ne supporte pas qu’elle ne soit pas relâchée.

    - La mandragore est une plante avec laquelle on peut faire un médicament narcotique et aphrodisiaque, ce qui est tout de même contradictoire

    La nature secrète bien d’autres poisons, sans parler des drogues qui permettent d’accéder aux enfers artificiels : opium et dérivés, cocaïne, cannabis et bien sûr le tabac.
     


    Documentation réunie avec la collaboration de Jean Waligora

    [1] Variété Vicia faba

    [2] Entretiens de Bichat 2004. Table ronde sur l’intérêt de la papaye fermentée sur notre santé

     


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  • Le héros de cette histoire a vécu à Issoire en Auvergne à la fin du XVe siècle. Je me permets de transcrire ici ses aventures :

    « Ce personnage, d’abord reconnu comme appartenant au sexe féminin avait été incorporé dans un couvent de femmes. Mais aussitôt, la jeune nonne devint la convoitise de toutes ses compagnes qui la courtisaient comme amant. L’autorité ecclésiastique fit une enquête et découvrit que ladite religieuse possédait un organe sexuel masculin. Elle fut considérée comme un homme et, après une sévère pénitence, on l’enferma dans un couvent de Moines noirs appartenant au Cardinal de Bourbon.

    Le nouveau moine était depuis huit à dix mois dans le couvent lorsqu’on s’aperçut que son ventre grossissait. On crut à une hydropisie. Quelque temps après, il accouchait d’un gros bébé !

    Les enquêteurs ecclésiastiques s’étaient toujours trompés. Ce moine était bien réellement une femme, mais une gynandroïde phalloïde.

    On considéra la malheureuse comme un hermaphrodite, horrible suppôt du démon. On la brûla vive et son pauvre enfant avec elle.

    On inscrivit sur sa tombe [en latin] : Homme, femme, moine tout ensemble, quel étonnant prodige de la nature ! »[1]

    Il est regrettable que cette histoire commencée dans une gaîté folâtre où le héros eut la chance de jouer sur tous les registres du plaisir, mais où il fut également le jouet du plaisir des nonnes et des moines, ait eu une fin aussi tragique.



    [1] Ce texte de Lucien Nass est tiré de « Les hermaphrodites devant les tribunaux du Moyen Âge » et figure dans la revue médicale « Aesculape » du siècle dernier. Il a été rapporté par Olivier Castel dans La Revue du Praticien du 30 novembre 2008


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  • Ce sont les affirmations non prouvées qui ont généralement le plus de succès. Il suffit d’avoir foi en elles :

    Acupuncture,  acupressure ( les doigts remplacent les aiguilles), auriculothérapie, aromathérapie,  homéopathie, fleurs de Bach (élixirs floraux), kinésiologie (tests musculaires ), réflexologie, chromopuncture ( piqûres de colorants), sangsues, ostéopathie, aura soma thérapie ( baguettes de cristaux), massage du côlon (sic), gymnastique du cerveau ( !?), fango (boue), fasciathérapie, sels de Schüssler (minéraux) hippothérapie (cheval, sic), marionnettes-thérapie, rebirth ( technique respiratoire), reiki (énergies par massages), sympathicothérapie ( réflexothérapie dans les fosses nasales), musicothérapie, iridologie, analyse des minéraux, des cheveux, oxygénothérapie, massages segmentaires, vedalogie , vital pratique, tantra, énnéagramme…  et la Tribune de Genève du 18 février 2003 qui énumère  ces médecines parallèles  ajoute avec ingénuité : … et tous les charlatans.

    Croire en soi pour être cru

    Le charlatanisme existe dans tous les domaines, même ceux qui exigent  une technicité particulière. Ainsi en Italie, en 2003,  la Fédération nationale de l’ordre des médecins  estimait qu’à côté des 40000 vrais dentistes, exerçaient 45000 imposteurs. Une enquête des inspecteurs sanitaires de la péninsule l’avait confirmé et l’agence Reuters Santé avait précisé à l’époque que parmi ces faux dentistes, 70% étaient des techniciens dentaires, ce qui peut s’expliquer, mais on avait trouvé également : 10% de vendeurs, 8% de policiers, 6% de conducteurs de tram, 4% de plombiers et 2% de soldats ! [1]

    Les imposteurs sont de tous temps, exploitant la crédulité ou le désespoir des gens. Ils promettent la guérison et se vantent de moyens que les médecins n’ont pas. Leur clientèle dépasse les simples d’esprit et les chefs d’état leur ont donné parfois droit de cité. Bernard Shaw lui-même était sensible à ces « médecins parallèles » arguant de la jalousie et de l’esprit réactionnaire des corps constitués. Mais les guérisseurs, rebouteux, et autres médicastres, eux, ne sont pas dupes de leurs boniments et recherchent leur propre guérison auprès des médecins Reste à espérer qu’ils ne tomberont pas sur ceux qui utilisent leurs connaissances pour se conduire en charlatans.

    Mieux vaut un charlatan chanceux qu’un médecin ignorant. 

    La reine Victoria ayant distribué généreusement son gène  hémophile aux familles royales d’Europe, notamment à  son petit-fils, le tsarévitch Alexeï, donna l’occasion au staretz Raspoutine d’exercer ses talents à la veille de la révolution russe. Certains ont suggéré que son efficacité n’était pas due à son pouvoir hypnotique, mais au fait qu’il ait chassé les médecins et arrêté l’aspirine prescrite pour soulager les douleurs de l’enfant, en aggravant les hémorragies, ce que tout le monde ignorait. Il est curieux de constater que près d’un siècle plus tard, c’est encore l’ignorance des médecins qui est la principale cause du drame des hémophiles et du sang contaminé.

    Des histoires à dormir debout

    Comme l’anesthésie générale est tout de même un coma artificiel qui peut se compliquer, parfois gravement, on cherche toujours à en réduire les risques. De là à promouvoir des anesthésies loufoques par acupuncture, hypnose, électricité … il n’y a qu’un pas que certains franchissent souvent sans vergogne. On a vu des journaux télévisés présenter des vaches qui  s’endorment quand on leur met des pinces à linge sur l’échine, des chinois couverts de sueurs se mordre les lèvres pour ne pas crier sous une soi-disant anesthésie par acupuncture et même l’image scandaleuse d’ une appendicectomie avec pour toute insensibilisation une « psychothérapie ».

    Cest le chirurgien anglais James Braid qui, après avoir vu un spectacle de music-hall, inventa le mot « hypnotisme » vers 1840. On doit à Jean Charcot (portrait) d’importantes avancées médicales et pas seulement en neurologie mais on ne le cite que pour ses démonstrations sur l’hypnose faites avec trois patientes « professionnelles » hospitalisées à La Salpêtrière à cette fin. L’hypnotisme revient toujours à la mode de temps en temps pour traiter diverses affections mais pas l’insomnie.

    Les absents n’ont pas toujours tort

    L'homéopathie est basée sur une affirmation gratuite, mais son chiffre d’affaires annuel est en France de plusieurs centaines de millions d’euros. Le médicament considéré comme actif est dilué de telle sorte qu’il ne reste dans la préparation que son fantôme dont on agite les chaînes. Il faut croire aux fantômes pour ne plus être hanté par ses maux après avoir absorbé l’absence de produit. Bien que les principes de ce traitement énoncés en 1796 par l’allemand Christian Samuel Hahnemann  n’aient pas été démontrés jusqu’à présent, les quelques essais auxquels les homéopathes ont bien voulu se prêter seraient en faveur d’une action du médicament homéopathique différente de celle du placebo. Si un placebo s’avère supérieur à un autre, on peut mettre en doute la validité de tous les essais thérapeutiques quel que soit le médicament testé.

     

     

    Documentation réunie avec la collaboration de Jean Waligora



    [1] Rapporté par Le Point du 28 mars 2003


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    Les vertus de l’autorité et de l’observance

    L’effet placebo ressort de la croyance en la médecine. L’effet thérapeutique du placebo est lié à l’attente du malade et pas à son action pharmacologique. Il entre pour 30% environ dans l’efficacité d’un traitement aussi farfelu soit-il. On a constaté que la performance d’un test d’effort est parfois meilleure lorsque le patient est persuadé qu’il prend au préalable un médicament efficace. Dans une étude récente[1] il a été constaté que dans une pathologie aussi sévère que l’insuffisance cardiaque, la réduction de la mortalité était semblable avec le produit actif (- 34%) qu’avec le placebo (- 36%) à la seule condition que la prescription soit bien suivie par le patient.

    Selon une étude récente du JAMA un placebo présenté au prix de 2,50 $ s’est révélé plus efficace qu’un placebo présenté au prix de 0,10 $

    Il est bien connu que la façon de donner compte presque autant que ce qu’on l’on donne. L’autorité du docteur, du professeur a longtemps et souvent été la principale vertu curative d’une prescription.

    On raconte, avec quelques variantes selon le conteur, que le célèbre professeur Dieulafoy, à la fin du XIXe siècle, appelé auprès d’un enfant, conseille à sa mère de lui donner une pomme tous les matins. Au moment où il va monter dans sa voiture, la mère se précipite : « Monsieur le Professeur, aujourd’hui, puis-je lui donner une poire ? »  « Madame, voulez-vous donc le tuer ! »

    Exprimer son autorité est cependant passé de mode. On donne au malade l’illusion qu’il a le choix de son traitement. Rien n’est imposé, c’est à lui de choisir entre la pomme et la poire.

    Rien c’est déjà quelque chose

    La large utilisation du placebo en médecine[2] prouve que rien, c’est déjà quelque chose. Et voilà que l’imagerie fonctionnelle cérébrale montre qu’un médicament contre la douleur  et un placebo cliniquement efficace activent les mêmes zones du cerveau. Autrement dit, que quelque chose ce n’est pas plus que rien ! Alors quand un patient prend un médicament et qu’il se sent bien, il est vain de lui dire que ce médicament ne sert à rien, car il est persuadé qu’il irait moins bien s’il ne le prenait pas. Comme le faisait remarquer JF Revel, on s’aperçoit qu’un remède ne guérit pas que le jour où on trouve celui qui guérit.

     

    Documentation réunie avec la collaboration de Jean Waligora 



    [1] Granger B et Coll : « Adherence to candesartan and placebo and outcomes in chronic heart failure in the CHARM programme : double-blind, randomised, controlled trial” Lancet 2005; 366 : 2005-11

    [2] D’après une enquête de l’institut de Bethesda parue en octobre 2008 (BMJ) la moitié des internistes et rhumatologues américains prescrivent des placebos de façon habituelle


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  • « …avec une tendresse spéciale pour les charlatans sans oublier le vrai médecin qui, au-delà d’un certain seuil de notoriété, passera inévitablement pour un guérisseur d’écrouelles et un « gourou médiatique ».[1]

    Avoir la foi pour guérir n’est pas une idée complètement fausse. Cependant il ne nous semble pas – avec regret - que la foi puisse guérir une maladie organique. La foi peut donner l’illusion de la guérison lorsqu’on se pense malade sans l’être, lorsque la guérison d’une maladie est attribuée à la foi, alors qu’elle disparaît toute seule, sans contester le rôle de la foi dans certains désordres psychiques ou même à l’origine d’une amélioration transitoire dans des maladies organiques. Mais bien entendu le domaine de la foi n’est pas celui de la raison. On peut démonter un miracle mais pas le démontrer.

                                                                                  

    Où le guérisseur rémunère celui qu’il guérit

    Le toucher des écrouelles illustre dans le passé la croyance dans les guérisons miraculeuses. C’était la seule imposition par les rois de France, d’Angleterre et d’Ecosse qui ne leur rapportait rien. Elle leur coûtait même, car chaque malade admis en présence du roi recevait une monnaie d’or, si bien que par mesure d’économie (Louis XIV aurait touché deux à trois mille personnes) on fût amené à réduire la taille des pièces. Le plus souvent les ulcères tuberculeux du cou finissent par se refermer spontanément. Le roi d’Angleterre Guillaume III, qui ne croyait guère en son don miraculeux, aurait murmuré aux scrofuleux qui défilaient : « Que le Seigneur t’accorde une meilleure santé et te donne du bon sens » [2]

                                                                                  

    Les vertus de la prière

    La prière a toujours fait partie de l’arsenal thérapeutique préventif et curatif. Il est donc normal de vouloir juger son efficacité. Au XIXe siècle, le cousin de Darwin, sir Francis Galton, l’eugéniste qui voulait tout mesurer, fit une enquête statistique sur celle-ci, en comparant la mortalité dans les différentes classes sociales. Il en résulta que c’est la famille royale qui avait la plus courte espérance de vie malgré le flot de prières en sa faveur, la reine Victoria exceptée. La sincérité des prières ne semble pas avoir été prise en compte. De nos jours on est plus sérieux et ce sont des études randomisées en double aveugle qui montrent un effet favorable sur les troubles coronariens, l’arthrite rhumatoïde et même le taux de réussite de la fécondation in vitro. Toutefois les auteurs, prudents, se gardent de conclure.

                                                                                    

    Les vertus de la compassion

    Le médecin qui qualifie volontiers de miracle une guérison inespérée due à son traitement reste souvent dubitatif devant une réussite attribuée à l’intervention divine. Pourtant «  Il y a plus de faits vrais que de faits démontrables ». (Gödel).

    Innombrables, spécialisés ou généralistes, les saints guérisseurs ont succédé aux dieux païens thaumaturges et ont leurs équivalents dans toutes les religions. Certains médecins sont tellement dévoués à leurs malades, qu’on les qualifie parfois de saints laïques. Cependant comme les saints religieux, ils sont loin  d’être toujours guérisseurs, bien que certains prétendent que la compassion augmente les défenses immunitaires de l’organisme  en élevant le taux d’immunoglobuline A et donc accroît la durée de vie[3].

                                                                                            

    Comment retrouver son âme

    D’après Saint Thomas d’Aquin le fœtus acquiert son âme quarante jours après la fécondation chez l’homme et quatre-vingt jours chez la femme. Le médecin ne soigne que son support supposé. C’est le domaine du prêtre dont la tâche est plus aisée car il n’est soumis à aucune obligation de résultat. D’où la mode des chamans. Ceux de la république de Touva, au fin fond de la Sibérie, attirent des « spiri-touristes » car ils «  peuvent retrouver l’âme égarée des malades et les soigner »[4].

     

     

    Ducumentation réunie avec la collaboration de Jean Waligora



    [1]  Régis Debray Cours de médiologie générale éd Gallimard, folio 2001

    [2]  Cité par Kenneth Walker, Histoire de la Médecine

    [3] Le Dalaï-Lama et Howard Cutler cités par Pascal Bruckner, L’Euphorie perpétuelle, éd Grasset

    [4] Le Point du 9/05/2003

      


     


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  • Le cadavre numérique

    Si le médecin clinicien s’est aujourd’hui détourné du cadavre avec soulagement et ne se rend plus guère « au rendez-vous des thérapeutes », il n’en est pas de même de la télévision où l’autopsie est devenue une séquence obligée des séries policières avec un cadavre numérique flanqué d’un médecin légiste ricanant, clown blanc dont on attend des plaisanteries de carabin et des grivoiseries morbides. Sans oublier les pièces anatomiques exposées comme des œuvres d’art et les images de cadavres victimes des guerres et des catastrophes, glanées autour du monde, que le public fasciné regarde avec commisération.

                                                                                    

    Le cadavre magasin

    La dépouille est à présent promue au rang de cadavre-magasin à qui on demande de fournir des organes à transplanter, la mort cérébrale étant une mort juridique laissant le corps vivant à la disposition du corps médical.

    Remplacer un organe était une faculté divine. Ganesh à tête d’éléphant sur un corps d’enfant n’est-il pas le dieu de la sagesse ? Le centaure Chiron qui enseigna la médecine aux hommes transplanta le talon d’un cadavre de centaure sur Achille. Au IIIe siècle la greffe légendaire de la jambe d’un noir à un blanc par St Côme et St Damien, maintes fois représentée par les peintres du Moyen Age et de la Renaissance, en font les Saints Patrons des chirurgiens.


    Fra Angelico : greffe d'une jambe (de noir) au diacre Giustiniamo


    Les chirurgiens comme leurs saints savent à présent greffer la plupart des organes. On a plus ou moins résolu le problème de la maintenance de l’organe étranger. Reste celui de la matière première, elle manque et bien des malades doivent attendre longtemps et parfois jusqu’à la mort la greffe salvatrice. Ce marché en pleine expansion n’a pas échappé aux trafiquants qui organisent le commerce d’organes prélevés chez les plus démunis. Les réseaux les plus proches sont en Europe de l’Est et au Moyen Orient. Ils organisent les prélèvements d’organes sur des jeunes gens à bout de ressources pour une somme modeste, revendus trente à soixante fois plus cher aux malades en attente de greffe. Des médecins se prêtent à ce commerce lucratif de morceaux d’êtres humains vivants. De façon officielle, en Chine, les condamnés à mort constituent une matière première de premier choix.

    Les hommes d’affaires piétinent devant les soues où les cochons transgéniques attendent dans une bienheureuse ignorance que leurs organes soient un jour acceptés par l’homme. « Quel admirable animal que le cochon. Il ne lui manque que de savoir faire lui même son boudin. » (Jules Renard). Du divin et de la sainteté aux marchands du temple, c’est toujours la même histoire.

    Prélever à un mort de quoi faire vivre un vivant pourrait être considéré comme un cannibalisme parentéral salvateur. Les greffes d’organes sont évidemment spectaculaires, mais n’est-ce pas un aveu d’impuissance ?  On dépose l’organe malade lorsqu’on n’a pas pu le guérir ou le préserver et l’on pose à la place celui d’un moribond que l’on n’a pas pu sauver, mais que l’on maintient en vie pour l’occasion. Le don d’organe est évidemment nécessaire pour sauver ceux qui sont en attente de transplantation, mais ce n’est pas une raison pour jeter l’opprobre sur ceux qui refusent pour des raisons religieuses ou personnelles qu’ils ne sont pas obligés d’expliquer. Après tout on «  a quand même le droit… de refuser d’avoir affaire avec certaines gens même après sa mort. » (Fruttero et Lucentini) [1]



    Documentation réunie avec la collaboration de Jean Waligora

    [1] La Sauvegarde du sourire, éd arléa 1989.


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  • Le médecin sait à l’évidence qu’il livre un combat d’arrière-garde en retardant si possible la défaite. Il ne peut assurer l’immortalité aux malades dont la famille n’accepte pas le décès même à un âge avancé. Un auteur anglais aurait dit sur son lit de mort : « Je savais bien que nous étions mortels, mais je pensais que l’on aurait fait une exception pour moi ». Chacun pense un peu comme lui. La mort n’est pas prouvée, c’est une constatation statistique avec une très, très haute probabilité et comme le disait V. Jankélévitch « Il n’est jamais nécessaire de mourir ».

    Mais« Les vivants ne peuvent rien apprendre aux morts ; les morts, au contraire, instruisent les vivants » (Chateaubriand)[1].

    Le rendez-vous des thérapeutes est une expression d’autodérision qui n’est plus guère employée par les médecins. L’idée que ceux qui avaient soigné un patient se rendent systématiquement à la morgue (on disait aussi : « aller chez Morgagni ») pour constater l’effet de leur thérapeutique n’a plus cours. L’endroit les rendait modestes mais n’empêchait pas leur curiosité lors de la dissection du cadavre qui leur réservait parfois des surprises. Cette méthode anatomo-clinique inaugurée par l’Italien Morgagni (portrait) au XVIIIe siècle a été suivie par les Français Bichat, Corvisart, Bayle, Laennec, et consistait pour les médecins à confronter les signes cliniques du malade vivant avec l’examen de ses organes après sa mort et vérifier jusqu’à quel point ils s’étaient trompés dans leur diagnostic et leur traitement :

    Pierre-Fidèle Bretonneau illustra à sa manière la méthode anatomo-clinique. Il escaladait les murs des cimetières pour déterrer les enfants morts en ville de la diphtérie et vérifier qu’ils avaient bien les mêmes lésions que ceux morts à l’hôpital. C’était un esprit original à plus d’un titre : bon médecin sans diplôme (il n’était qu’officier de santé et a passé son doctorat en 1814 à l’âge de 36 ans), préférant faire carrière en Touraine plutôt qu’à Paris, épousant, jeune homme, une femme plus âgée que lui d’un quart de siècle, mais rétablissant largement l’équilibre en épousant, presque octogénaire, une jeunesse de 18 ans. Jalousé par ses confrères, bien avant son second mariage.

    Les techniques modernes utilisant la lumière froide des endoscopes, les ultra-sons, les rayons X, la résonance magnétique nucléaire, les isotopes permettent d’avoir de l’intérieur du malade vivant des images précises dépourvues de sang et d’odeur et les thérapeutes actuels ne se rendent que rarement à ce rendez-vous.



    Documentation réunie avec la collaboration de Jean Waligora

    [1] La vie de Rancé, Livre XXVI chap. 9


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