• De nombreux produits « médicaux » sont en vente sur internet fabriqués on ne sait où et on ne sait par qui, ne faisant l’objet d’aucun contrôle sanitaire, on ne sait pas ce qu’ils contiennent.

    Il en est ainsi d’un produit dénommé ANABOL TABLETS, dont le fabriquant serait situé en Thaïlande et qui prétend contenir un anabolisant : la méthandienone, mais d’après l’Afssaps (à l’origine d’une alerte), l’analyse de ce produit indique qu’il n’en contient pas. Par contre, il contiendrait de la sibutramine dont la consommation est à présent interdite en France en raison de ses effets cardio-vasculaires nocifs (élévation de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque). Cet exemple montre qu’il est stupide et dangereux d’acheter des médicaments par internet.

    L’industrie pharmaceutique s’inquiète à juste titre de la contrefaçon, mais on se demande si la raison en est uniquement humanitaire. C’est en tout cas cet argument qui a conduit fin novembre le Parlement européen à adopter en première lecture une proposition de directive permettant notamment à l’industrie pharmaceutique d’informer directement les patients sur les médicaments soumis à prescription.

    On peut douter que cette information faite par l’industrie pharmaceutique sera fiable, indépendante, objective, non promotionnelle et comparative. En toute logique, ce type d’information devrait être réservé aux professionnels de santé et aux autorités sanitaires nationales et non aux marchands qui vendent les produits en question.

    La publicité directe aux consommateurs de médicaments délivrés uniquement sur ordonnance a été interdite en Europe depuis 1992. La Mutualité française redoute que cette proposition « organise, de fait, la dérégulation de la communication des laboratoires pharmaceutiques vers les grand public […] et que la frontière entre la publicité et l’information reste floue ». On ne saurait mieux dire. Aux USA, la libéralisation des règles sur l’information a eu pour effet d’augmenter les dépenses, sans aucun intérêt sanitaire.

    Ce projet de directive (qui doit être soumis au vote du conseil de l’Union) est en chantier depuis 2008. On doit saluer ici l’efficacité des groupes de pression dont l’action est cependant facilitée par l’union de 27 pays sur lesquels ils peuvent agir d’un seul coup pour assurer leurs intérêts.

    Les industries pharmaceutique et agro-alimentaire  ne sont évidemment pas les seules à profiter du système et de la sensibilité marchande des responsables européens. C’est ainsi que pour répondre aux exigences de Bruxelles, il a été récemment introduite dans le projet de loi de Finances rectificative une disposition visant à supprimer les restrictions à l’achat de tabac à l’étranger.

    Les instances européennes ont le souci de la concurrence (dont on attend toujours l’impact sur les prix) et de la libre circulation des marchandises, même si elles sont un peu empoisonnées, lorsque leur commerce rapporte et que leur nocivité n’est ni immédiate, ni trop visible, ni facile à démontrer.

    La Vérité aveugle et oblige parfois la Liberté à fermer les yeux.


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  • La consultation du médecin généraliste sera royalement augmentée de 1€ le 1/1/11 et passera donc de 22 à 23 €, ce que les médecins attendaient depuis longtemps.

    Mais on assiste depuis quelques semaines à un véritable festival de propositions pour modifier le mode de rémunération des médecins.

     

    Les sénateurs, à la suite d'un amendement du rapporteur général (UMP) du plan de financement de la sécurité sociale, ont inclus la rémunération des médecins à la performance dans le champ de la convention dans le PLFSS pour 2011. "Ces engagements peuvent porter sur la prescription, la participation à des actions de dépistage, de prévention la prise en charge de patients atteints de pathologies chroniques [ce que les médecins font déjà], des actions destinées à favoriser la continuité et la coordination des soins ainsi que toute action d'amélioration des pratiques [dans le champ de laquelle – cela va sans le dire – seront incluses les « bonnes » prescriptions sur le plan financier ], de formation et d'information des professionnels. La contrepartie financière est fonction de l'atteinte des objectifs par le professionnel de santé" [les  caisses étant les seuls juges en la matière. Rappelons que l'objectif principal d’un médecin est de mettre tout en œuvre pour soigner le mieux possible son patient]. Autrement dit, généraliser le CAPI (« contrat d’amélioration des pratiques individuelles », mode qui n’a pas été encore évalué depuis son introduction) aujourd'hui possible que sur la base de contrats souscrits individuellement par les médecins et qui s’accompagne d’une rémunération annuelle supplémentaire qui devrait donc logiquement disparaître en cas de généralisation ou être étendue à tous les médecins (ce qui est moins probable).

     

    Chargée par Nicolas Sarkozy d’une mission sur la médecine de proximité, l’ex-ministre de la Santé Elisabeth Hubert préconise une grille de tarification en remplacement du prix unique de la consultation, « le critère de valorisation doit être la difficulté à établir un diagnostic », indique le rapport [diantre ! Il me semblait que « la difficulté à établir un diagnostic » dépendait surtout de la compétence du médecin].

    Les prix pourraient s’échelonner de la moitié du tarif actuel pour un rendez-vous de simple formalité à 70 euros pour « une consultation longue et difficile ».

    A propos du surcoût potentiel pour l’Assurance maladie, déjà en fort déficit, l’ex-ministre fait valoir que les caisses de Sécurité sociale disposent déjà des « profils des médecins et des caractéristiques de leurs pratiques » et peuvent ainsi repérer ceux qui réclameraient des tarifs élevés non justifiés. [Il est évident que le médecin est le seul capable de juger de la difficulté d’une consultation. Il faut donc lui faire confiance, sinon comment jugera-t-on de la difficulté d’une consultation et qui le fera ?]

    Pourquoi faire simple puisqu’on peut faire compliqué. Certes le prix unique a peut-être des défauts, mais les consultations courtes et faciles permettent d’équilibrer, pour la rémunération, les consultations longues et difficiles. Bien sûr, ce rapport ne contient pas seulement le mode de rémunération et d’autres propositions sont peut-être plus intéressantes.

     

    Le rapport du parti socialiste, dirigé par Benoît Hamon, dénonce une médecine libérale qui, « dans son fonctionnement actuel, a vécu ». Il recommande la fin du paiement à l'acte, « qui constitue une incitation au tout curatif [Le prix de la consultation est la même qu’elle soit à visée préventive ou curative, on ne voit donc pas où est l’incitation], à la sélection de patients faciles à prendre en charge [pour ma part, je n’ai jamais vu un médecin sélectionner ainsi ses patients, puisqu’il ne peut refuser ses soins à quiconque] (...) et à l'inflation des dépenses ». Il s'oppose à la liberté d'installation et propose un placement (sic) des jeunes médecins « dans une zone de santé prioritaire pendant deux ou trois ans, à la sortie des études ». Ce projet demande une évolution des modes de rémunération des médecins généralistes à travers la mise en place d'un forfait qui « pourra être différencié en fonction du profil du patient, et d'indicateurs sanitaires et sociaux du territoire » [la multiplication d’actes inutiles est très rare et condamnable, mais le forfait n’incitera pas un médecin à s’épuiser au travail, ce qui augmentera les temps d’attente. La majorité des médecins (66% des inscrits à l’Ordre en 2009) ont d’ailleurs choisi une activité salariée].

     

    On voit que tous ces projets qui visent les rémunérations des médecins vont tous dans le même sens :

    1° Vers leur diminution ou leur stagnation (compte tenu du déficit des comptes, promouvoir leur augmentation serait paradoxal de la part des politiques).

    2° Vers l’augmentation de la pression des caisses et du temps consacré à la paperasse, ce dont les médecins se plaignent déjà.

    3° Vers la multiplication des contrôles imposés à l’Assurance maladie alors qu’il est déjà fait appel à des officines privées pour le contrôle des arrêts de travail. Il est vrai que les médecins las d’être contrôlés pourraient devenir médecins contrôleurs.

    4° Vers une plus grande complexité du système (type « usine à gaz »)

    5° Vers la dévalorisation du médecin généraliste dont certains, dans une grande hypocrisie, prétendent revaloriser le rôle.

    6° Vers une illusion, celle d’espérer faire des économies substantielles en développant le dépistage et la prévention. Leur utilité n’est pas discutable mais leur efficacité économique l’est plus (voir l’article 23. « Propos sur la prévention » du 25 mai 2008). L’un et l’autre ont un coût. La prévention n’est vraiment efficace que pour les maladies infectieuses (ce qui est déjà fait) et pourrait l’être pour les intoxications à condition d’imposer un modèle sanitaire liberticide (prohibition du tabac et de l’alcool comme celle de la drogue). Pour les maladies dégénératives, leur prévention retarde au mieux leur apparition, en allongeant la durée de la vie, ce qui est un bien mais pas une économie.

    7° Vers la mort prochaine de la médecine dite libérale où la liberté est devenue uniquement sémantique.

    Personne n’ose encore parler de fonctionnariser franchement la médecine de ville, car les résultats n’ont guère été probants ailleurs pour les malades.

     

    Ces projets vont rendre la médecine « libérale » de moins en moins attractive (le projet socialiste étant de ce point de vue le plus efficace). Il ne faut pas s’étonner que les nouveaux médecins hésitent à s’installer devant le poids des charges à venir aussi bien financières que psychologiques et lors de la dernière promotion, 8,6 % seulement des nouveaux médecins inscrits à l’Ordre ont choisi d’exercer en libéral ! Les médecins remplaçants sont plus de 10 000 en France d'après la dernière enquête de l'Ordre. Pour l'institution, leur augmentation prouve que l'installation en libéral est de plus en plus redoutée par les médecins.

    Mais il se peut qu’un jour les remplaçants aient de moins en moins de monde à remplacer et l’Assurance maladie de moins en moins de monde à contrôler, sinon les 10 165 diplômés de l'Union européenne exerçant aujourd'hui en France. Le nombre des professionnels des pays étrangers ne fera qu’augmenter et ils sont déjà nombreux (et utiles) dans les structures hospitalières.


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  • brouwer10.jpgPour évaluer les intolérances ou les complications possibles provoquées par à un médicament, les troubles observés chez les sujets à qui l'on a prescrit réellement ce médicament sont comparés à ceux constatés chez les sujets à qui a été donné un placebo ayant la même apparence mais aucune activité pharmacologique. Comme est étonnante l'efficacité fréquente d'un placebo, il est également surprenant de constater l'abondance des effets secondaires qu'il peut provoquer. Les effets nocifs possibles retenus pour un médicament sont évidemment ceux qui se révèlent plus fréquents par rapport au placebo.

    Lorsqu'un médecin fait une prescription, il avertit en général de la survenue possible des effets secondaires les plus observés. La notice qui accompagne la boîte se charge d'en ajouter et d'inquiéter davantage le patient.

    Comme ceci ne paraissait pas suffisant, il s'est créé aux Pays-Bas un portail sur internet qui tend à diffuser en Europe et qui a été récemment introduit en langue française (méamédica.fr). Ce site est un forum où les personnes qui suivent un traitement peuvent donner leur avis et une notation en fonction de cinq critères distincts : la satisfaction générale, l'efficacité de la spécialité, les effets secondaires, la gravité des effets secondaires et la facilité d'emploi. Le portail est structuré sur le même modèle que les portails proposant aux internautes de comparer les mérites d’une poussette ou d’un autocuiseur (une à cinq étoiles pour chacun des critères). Le site néerlandais ouvert en 2008  compte 11 000 avis !

    Il est souvent  difficile d'attribuer un trouble à un traitement pris, l'effet placebo est là pour le prouver et les patients auront tendance à signaler sur le forum tous les troubles qu'ils ressentent et ceux qui ne les ressentaient pas risquent fort de les ressentir. Voilà qui illustre la notion de partage. Ce qui est plus ennuyeux est que l'avalanche des effets secondaires  vrais et faux sur le forum peut conduire à l'arrêt préjudiciable d'un traitement.

    Les promoteurs de ce site avertissent tout de même les visiteurs qu'en cas d'effet délétère attribué au médicament, il est conseillé de consulter son médecin (qui sera confronté, le pauvre, à toutes ces informations douteuses) et que les effets d’un médicament peuvent être différents selon la personne qui l’utilise. On ne voit donc pas l'intérêt d'avoir créé un tel portail qui ne peut introduire que confusion et inquiétude, mais qui cadre bien avec la notion d'usager du système de santé plutôt que celle de patient ou de malade se  confiant à son médecin.

     

    Illustration : Adriaen Brouwer "Potion amère"


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  • botero_family.jpgDemain est la journée du diabète[1] et les diabétologues ont le blues.

    La prévalence du diabète croit dans le monde[2], on parle même « d’épidémie » et 90% des diabétiques sont du type 2 en rapport net avec le surpoids[3]. Ce type de diabète touche environ : 1 Américain sur 10, 1 Britannique sur 20 et 1 Français sur 23. Les patients se comptent par millions et le coût de leur prise en charge aussi. En Grande-Bretagne, le coût du diabète, en incluant les complications, est de 1 million de livres (£) par heure !…Et aux USA il a été estimé en 2007 à 174 milliards de dollars en précisant qu'un diabétique pesait 2,3 fois plus sur les dépenses de santé qu'un non-diabétique.

    Bien que les traitements et la prise en charge de ces patients progressent, les médecins constatent leur échec, leur incapacité à enrayer cette « épidémie », « l’épidémiologie du diabète est une humiliation pour la santé publique » (The Lancet). Car les médecins se rendent compte que la médicalisation seule (l’abaissement pharmacologique du glucose dans le sang) a ses limites et même des effets pervers en déresponsabilisant les individus et en excluant les réseaux communautaires, les écoles, les urbanistes, qui ont la capacité potentielle de réduire l'incidence du diabète en intervenant sur ses causes sociales.

    La progression de la maladie est liée au mode vie : sédentarité et type d’alimentation, l’un et l’autre dépendent de l’individu mais aussi de l’environnement. L’activité physique est aussi importante que le mode alimentaire, encore faut-il que les conditions sociales et l’urbanisme la permettent. Pour l’alimentation, les gens sont poussés à manger ce qu’on leur offre, surtout si l’offre est d’un prix abordable.

    Et là on se heurte à des intérêts puissants qui s’occupent à bloquer les initiatives pour lutter contre le diabète.

    Un rapport australien concluait que les mesures les plus efficaces contre l'obésité et donc le diabète, seraient la taxation à 10 % de la « junk food », la suppression de la publicité pour ces produits en direction des enfants et la labellisation des emballages alimentaires selon le système des feux tricolores, vert, orange et rouge. Le 15 juin 2010, Bruxelles a rejeté précisément cette signalétique sur les emballages, « après un intense lobbying des multinationales de l'alimentaire ».

    La télévision française (et sans doute les autres télévisions), à côté des yaourts pour maigrir qui ne font que maigrir les femmes déjà minces, on ne cesse de vanter les produits qui font grossir comme les hamburgers les plus longs, les plus gros, les plus riches avec, pour calmer la conscience de l’Etat[4], un ridicule filet au bas du gigantesque hamburger pour inviter le spectateur à suivre quelques conseils d’hygiène de vie dont il finit par se moquer, surtout s’il s’agit d’un enfant occupé à saliver.

     

    Illustration : Botero : « Une famille »



    [1] Nous conseillons aux associations s’occupant d’autres maladies – et elles sont nombreuses – de retenir un jour de l’année, le nombre de jours n’étant pas extensible et leur disponibilité se réduisant de plus en plus.

    [2] A noter que sur 285 millions de diabétiques dans le monde, plus de 200 millions vivent aujourd'hui dans des pays à niveau de ressource faible ou intermédiaire.

    [3] Tous les obèses ne sont pas diabétiques : il y a en France 9 millions d’obèses et 2 millions 500000 diabétiques

    [4] La conscience de l’Etat est une pure supposition.


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  • Dans un billet du 4/09/10 : « Devine qui vient prendre le café ?» (catégorie : « Casse-pipes »), j’avais parlé des officines para-patronales qui fournissent des médecins pour effectuer, à l'initiative de l'employeur, des contre-visites auprès de salariés en arrêt de travail et pouvant conduire à la suspension des indemnités journalières par le contrôle médical (Un texte du JO du 26/08/2010 en a fixé les délais de mise en œuvre).

    Cette disposition implique que l’employeur (ce qui ne surprend pas) et la sécurité sociale ne font aucune confiance dans la décision prise par le médecin du patient.

    Ils n’ont pas toujours tort d’être méfiants, les personnes qui cherchent à profiter du système ne sont pas rares et il est parfois difficile à un médecin traitant de refuser un arrêt de travail par compassion ou par faiblesse et il dépend de sa clientèle (on dit maintenant patientèle, terme politiquement plus correct, mais qui masque la réalité).

    La sécurité sociale a toujours effectué des contrôles  et c’est son rôle de les faire puisque c’est elle (c'est-à-dire la collectivité) qui verse les indemnités. On peut peut-être douter de l’objectivité d’un médecin payé par l’employeur du salarié, mais restait alors l’avis possible du médecin-conseil de la sécurité sociale en cas de litige.

    Or un accord d’intéressement a été signé entre la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) et ses praticiens-conseils. Portant sur le volume d’évolution des dépenses d’indemnités journalières, l’accord ouvre la voie à un intéressement financier des médecins-conseils en fonction de l’atteinte des objectifs fixés.

    Début octobre, le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) avait vivement réagi sur son site, considérant que cet accord « pourrait jeter le trouble parmi les salariés sur l’indépendance des médecins-conseils dans l’appréciation médicale des arrêts de travail qu’ils reçoivent, tout comme dans leurs conclusion à propos des suites données aux contrôles patronaux […] La déontologie médicale limite les prescriptions et les actes des médecins à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins. Ce cadre justifie l’activité des médecins-conseils sans qu’il soit besoin de lui associer une rémunération particulière […] De même on peut également contester au regard de l’indépendance des médecins-conseils dans leur activité de contrôle des praticiens, qu’un objectif quantitatif de pénalités financières de 900 millions d’euros avec un socle de performance (sic) de 700 millions d’euros leur soit fixé ».

    Sur le plan déontologique, je n’ai rien à ajouter aux déclarations du Conseil de l’Ordre, sinon que la santé n’a pas de prix mais qu’elle coûte cher et qu’elle sera gérée de plus en plus comme une entreprise. On ne voit pas aujourd’hui – avec regret – comment il est possible de la gérer autrement si l’on ne veut pas l’abandonner entièrement aux assurances privées.

    J’ose espérer que les médecins-conseils, qui ont choisi d’exercer la médecine après de longues études plutôt que d’autres métiers moins pénibles et plus lucratifs,  feront passer leur déontologie avant leur intérêt, en sachant, en outre, qu’une décision médicalement erronée risque de se retourner contre eux en cas d’accident.

     

    Goya : "Autoportrait avec le docteur Arrieta"

    goya75.jpg

     


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  • La déshumanisation de la médecine vient de connaitre un progrès décisif : la télémédecine (tous les actes « réalisés à distance au moyen d’un dispositif utilisant les technologies de l’information et de la communication ») a maintenant un cadre juridique officiel. La télémédecine peut prendre plusieurs aspects dont certains sont d’une grande utilité et ne déshumanise la médecine en aucune façon, comme la téléassistance qui intervient dans le cadre de l’aide médicale urgente ou de sa régulation, la télésurveillance d’un patient connu, surtout s’il est porteur d’un appareillage nécessitant un contrôle régulier ou la télé-expertise, c'est-à-dire l’appel à d’autres confrères pour l’interprétation de données.

    Là où la déshumanisation apparait c’est dans la téléconsultation, mode d’exercice devenu officiel après un contrat passé avec l’agence régionale de santé  qui sera sans doute lié « aux spécificités de l’offre de soins dans le territoire considéré ». Bien sûr, la téléconsultation peut être une solution bancale à la désertification médicale de certaines régions du territoire et peut convenir également lorsque le patient est connu d’un praticien et que celui-ci l’a déjà examiné et le suit pour une pathologie déterminée avec pour seul risque de contagion celui d’un virus informatique.

    Mais faire un diagnostic et prescrire un traitement sans avoir jamais vu et examiné le patient me laisse perplexe, même si le simple interrogatoire conduit au diagnostic dans beaucoup de cas. Voilà un singulier colloque singulier. Que devient le contact humain, l’aspect psychologique de la consultation, les confidences, le charisme du médecin pour rassurer et prescrire, puisque l’on sait que la façon de prescrire a autant d’importance que la prescription elle-même. Et que deviennent tout simplement les découvertes de l’examen : maladie inattendue ou contre-indication à une prescription. La téléconsultation me semble présenter des dangers pour le patient. La consultation à distance risque de se solder (si le médecin est prudent) par la prescription d’examens complémentaires, notamment d’imagerie, qui viendront remplacer l’examen du médecin, mais ne va-t-on pas alors assister à une débauche onéreuse d’explorations qu’un simple examen physique aurait permis d’éviter ?

    La déshumanisation de la médecine est en marche. Des consultations de psychiatrie ont déjà été préconisées par ordinateur. Plusieurs hôpitaux américains ont depuis quelques années adopté un « robot de garde », baptisé RP-7, qui permet aux petits établissements d’offrir une prise en charge aux victimes d’accident vasculaire cérébral. Je suppose que ce robot bienveillant est sollicité par l’entourage car une conversation entre un robot et un aphasique serait surréaliste, à moins que l’on demande à l’hémiplégique, s’il n’est pas sourd, de tapez 1, de tapez 2 etc… de sa main valide. Aux Baléares, depuis 2006, le programme Telestroke s’adresse à la même pathologie avec un certain succès semble-t-il.

    Bienvenue dans le meilleur des mondes.

    ordinateur.jpg

     

     


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  • Pissenlit.jpgDans le projet de révision des lois de bioéthique, il est prévu la possibilité de levée l’anonymat des donneurs de gamètes. A leur majorité, les enfants nés d’un don de gamètes auront un droit d’accès aux « données non identifiantes » : certaines données médicales (sans doute obsolètes), taille du donneur (intéressant), origine géographique (l’ethnie peut-être) et niveau socioprofessionnel (qui risque fort de s’être modifié avec le temps… Plus de 18 ans !). En outre, en cas d’accord du donneur ou de la donneuse, il sera même possible de connaître son identité. Mais dans le cas contraire, avec un peu de persévérance, il peut s’avérer possible à partir de ces données fragmentaires de retrouver un parent biologique, héritant ainsi d’un enfant non désiré et qui peut lui réclamer d’assumer un devoir parental (surtout si le parent familial a disparu).

    Cette disposition risque de diminuer encore le nombre de donneurs (en baisse constante). Les Cecos seraient assaillis de coups de téléphone de donneurs inquiets et réticents. Roselyne Bachelot veut pour sa part croire que cette mesure permettra une « responsabilisation des dons » et rappelle qu’elle s’inscrit dans un « mouvement général en Europe ». J’avoue ne pas savoir ce qu’elle entend par responsabilisation. Responsables de quoi ? Assumer un éventuel rôle parental ? Mais justement, ce n’est pas le but du don. Le donneur ne transmet que des gamètes dont un couple aura éventuellement besoin et n’est pas responsable de l’avenir des gamètes donnés, comme il n’est pas responsable des gamètes perdus (et il s’en perd des tonnes chaque jour). Le vrai parent est celui qui élève l’enfant et qui risque ainsi d’être dépossédé de son rôle et rejeté dans l’ombre alors que, lui, a désiré l’enfant. Les familles concernées ne sont d’ailleurs guère enthousiasmées par cette disposition.

    A vrai dire les requêtes pour connaître son origine biologique seraient très marginales. Pourquoi cette quête d’un parent fantôme et peut-être idéalisé ? Insatisfaction du parent familial et espérance d’un parent plus valorisant ? Recherche des racines (la généalogie est très à la mode). Les déceptions risquent d’être grandes.

    Pour donner satisfaction à une « minorité bruyante » et médiatisée, cette disposition prévue risque de faire plus de mal que de bien (je peux cependant me tromper). Mais que peut-on faire contre un « mouvement général » ?


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  • Poussin-sabines.jpg

    Nicolas Poussin : « L’enlèvement des Sabines »

     

    Le 7 août 2010 à 6 heures du matin une jeune fille de 19 ans est violée à plusieurs reprises dans le RER E par un individu qui s’enfuit sans omettre auparavant de dérober le portable de sa victime. La police judiciaire du Val-de-Marne arrête le violeur quelques jours plus tard, il est connu des services de police pour des faits similaires, il reconnait le viol avant d'être déféré au parquet de Créteil. Il ressortira libre. Le ministère public a fait appel de la décision (j’ignore la suite de l’affaire).

    Le 5 septembre 2010, dans le nord, un individu condamné à 10 ans de prison pour viol en 2006, en liberté conditionnelle depuis 2009 (après avoir effectué la moitié de sa peine), viole et assassine une femme de 29 ans qu’il avait séquestrée. Il reconnait les faits. Il suivait sans faille les obligations médico-judiciaires imposées.

     

    Le crime sexuel a-t-il une solution médicale ?

    Des criminels sexuels sortent de prison et trop souvent récidivent. Les médias s’indignent parfois du manque de suivi psychiatrique comme s’il existait une solution  médicale : obligation de soins, castration chimique, expertise psychiatrique destinée à évaluer la dangerosité. Lorsqu’il s’agit de  criminels, il ne faut pas trop se faire d’illusions sur ce que la médecine peut apporter.

    Selon un rapport adopté en juin 2010 par l’Académie de médecine, il est difficile d’évaluer scientifiquement l’efficacité des thérapeutiques antihormonales (volontariat, absence de placebo) comme est difficile à évaluer la psychothérapie qui les accompagne. Les auteurs se référent néanmoins à une méta-analyse de 2008 ayant intégré 80 études portant sur plus de 22 000 sujets (!), qui conclue que les traitements hormonaux et la psychothérapie abaissent le taux de récidive  que de 25%. Quant à la prévision de la dangerosité, elle laisse à désirer, peut-être pourra-t-on l’améliorer dans l’avenir.

     

    On voit que les criminels sexuels, quelle que soit la prise en charge (actuelle), récidivent dans les ¾ des cas (d’après cette méta-analyse)  et s’il n’y a pas de solution médicale, c’est peut-être qu’il n’y a pas de maladie. La pulsion de viol provient d’un instinct primitif et bestial que les règles de la société, l’éducation et l’éthique personnelle ont permis de faire disparaître pour la majorité. Cet instinct primitif risque de réapparaître pour une minorité si l’occasion se présente. La  conduite de la soldatesque en campagne est là pour le montrer. Dans les conflits africains le viol fait partie des armes de guerre, et en 2010 au Congo les viols se comptent par dizaines, les membres du GIA algérien violaient au nom d’Allah et surtout par frustration, à travers l’histoire toutes les conquêtes se soldaient par son contingent de viols, rejoignant ainsi le rapt des femmes dans les tribus primitives ou les peuples anciens.

     

    Se dégager des règles de la société n’est pas une maladie mais une attitude dangereuse pour les autres, comme est dangereux le voleur qui n’hésite pas à tuer. Les psychiatres me diront peut-être que c’est cette pulsion de viol, le passage à l’acte, et la perversité qui l’accompagne souvent qui est pathologique. Mais la brutalité et la perversité sortent du cadre de la médecine. La pulsion de viol plus ou moins atrophiée est dans chaque homme et le passage à l’acte dépend de l’attitude asociale d’un individu et pour certains des circonstances. Il est à noter que les soldats qui ont commis des viols ont été parfois sanctionnés (dans les armées qui ne les encouragent pas) mais jamais pris en charge médicalement, du moins à ma connaissance.

     

    Voir également"En avoir ou pas"


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  • CerveauEn voyant une voiture tourner à droite alors que le clignotant est mis à gauche ou inversement, quel homme n’a pas ricané en marmonnant : « c’est sûrement une femme qui conduit ! ». On pourrait lui rétorquer que s’il a perdu ses clefs, sa femme les retrouvera avant lui tout en étant capable de faire autre chose en même temps (ce que les hommes font plus difficilement). Il est vrai que le fonctionnement cognitif est différent selon le sexe et de nombreux travaux ont été consacrés à ce sujet jusqu’à aller au niveau moléculaire pour déterminer la part neuronale ou hormonale de cette différence de fonctionnement.

    Une revue générale sur ce sujet a été publiée en 2010 dans le journal « Trends in Neurosciences»[1]. Les auteurs rappellent ces différences. Les hommes ont une meilleure mémoire spatiale avec une vision de type carte géographique alors que les femmes utilisent davantage les repères du paysage comme élément de référence. Les femmes leur sont supérieures quand il s'agit de se rappeler la localisation d'objet et semblent avoir une meilleure mémoire autobiographique notamment pour les événements avec une valeur émotionnelle.

    On sait que l'hippocampe joue un rôle essentiel dans l'encodage de la mémoire et le rappel des informations mnésiques. Les auteurs ont été jusqu’au niveau cellulaire pour expliquer ces différences selon le sexe dans le fonctionnement des réseaux impliqués en mettant en évidence des modifications dans la transcription des gènes et de l'activation de certains facteurs de transcription. Rassurez-vous, si les chercheurs étudient le fonctionnement cognitif chez l'humain, les mécanismes cellulaires et moléculaires sont étudiés chez les animaux comme le rat.

    Ceci est bon à savoir pour un mari qui aurait oublié un anniversaire de mariage, car sa femme, elle, ne l’aura pas oublié en raison de sa meilleure mémoire autobiographique, mais il pourra désormais faire valoir son infériorité biologique dans « l'activation des facteurs de transcription impliqués dans la long term potentiation mettant en jeu les réseaux hippocampiques »... Sans oublier le bouquet de fleurs pour accompagner cette découverte scientifique en faveur de la paix des ménages, en espérant que l’épouse ne répliquera pas qu’elle n’a rien à voir avec une rate auquel cas le mari sera fait comme un rat.



    [1] Mizunoa K et Giesea KP : Towards a molecular understanding of sex differences in memory formation .Trends in Neurosciences. 2010 ; 33 : 285-291 Andreano JM et Cahill L. Sex influences on the neurobiology of learning and memory . Learn. Mem. 2009 ; 16: 248-266. [NB. Je n’ai pas lu l’article lui-même mais son compte-rendu]

     


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  • ChaplinBenoît Hamon, porte-parole du parti socialiste, parlait sur les ondes ce matin de l’aggravation des inégalités en France et de la nécessité de les corriger, en insistant en particulier sur celle de la durée de vie, les ouvriers étant plus défavorisés que les autres. On constate en effet que l’espérance de vie d’un ouvrier est en moyenne inférieure de 7 années à celle d’un cadre supérieur. Mais si le constat existe, la question est de savoir comment un programme politique pourrait réduire cette inégalité.

     

     

    Les travaux effectués par les ouvriers et les manœuvres sont physiquement éprouvants a tel point que lorsqu’ils prennent leur retraite ils ont souvent, d’emblée, des incapacités, qui ne surviendront en moyenne que 9 ans après pour un cadre. A cela s’ajoute le risque des accidents du travail pour lesquels il existe déjà une législation visant à leur prévention. Sur les risques du travail manuel, les politiques, socialistes ou non, auront beau claironner leur volonté, la seule façon de réduire cette inégalité est de transformer les ouvriers en cadres.

     

    L’influence des conditions socio-économiques n’est pas toujours simple à déterminer. Une étude publiée dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences américaine montre que, durant la Grande Dépression qui a frappé les États-Unis en 1929, la longévité des Américains a fait un bond inattendu. Elle est passée de 57 ans en moyenne en 1929 à un peu plus de 63 ans en 1932 alors qu’elle a diminué au cours des périodes de forte expansion économique qui l’ont précédée et suivie. Pour les auteurs de l'étude, cette embellie, alors que la situation économique était mauvaise, en particulier pour les ouvriers, pourrait notamment s'expliquer par une baisse de la consommation d'alcool et de tabac due au chômage ainsi qu'une diminution de la pollution industrielle.

     

    L’alcool et le tabac sont deux fossoyeurs souvent associés et ce sont les agriculteurs et les ouvriers non qualifiés qui sont les plus exposés au risque d’alcoolisation excessive chronique. Les campagnes contre l’alcoolisme et le tabagisme adressées à l’ensemble de la population existent déjà, certes elles peuvent être améliorées, mais devraient-elles viser spécifiquement une catégorie socioprofessionnelle au point de la stigmatiser ? On voit là encore que le discours politique n’est qu’un discours.

     

    Il n’y a – à mon avis – qu’un seul point sur lequel les politiques peuvent agir : c’est l’accessibilité aux soins : en 2004, 10 % des Français déclaraient avoir renoncé à des soins pour un motif financier. En 2008, le chiffre est passé à 11,8 % et le taux augmente à mesure que le revenu diminue, et de façon très nette parmi les faibles revenus (alors que la CMU qui permet de ne rien débourser « couvre » 5 millions de personnes environ). Pour le cancer, on constate aussi que les ouvriers ont un moindre recours au dépistage que les cadres. Mais là on s’attaque plus aux conséquences – et il le faut – qu’aux causes de l’inégalité et celle-ci persistera même si une pleine accessibilité aux soins permettrait sans doute de l’atténuer.

     

     

     


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