• En France, Dans la promotion 2008, il n’y a eu que 9 médecins sur 100 qui ont choisi l’exercice libéral, la majorité est devenue salariée et les autres n’ont choisi que de faire des remplacements. Les raisons de cette désaffection sont la difficulté de plus en plus grande de l’exercice libéral (en dehors des spécialités de luxe comme la chirurgie esthétique ou la cosmétologie), la faible rémunération relative et les pressions administratives, les médecins étant plus ou moins rendus responsables du déficit de l’Assurance-Maladie. Autrement dit, les médecins seraient responsables des maladies qu’ils soignent, comme les pompiers allumeraient les incendies qu’ils éteignent  ou comme les policiers provoqueraient les délits qu’ils répriment. Et on montre du doigt quelques rares spécimens de médecins escrocs, de pompiers pyromanes ou de flics ripoux.

    Si à France Télécom on a beaucoup parlé des 23 suicides en 18 mois sur 106000 employés, 60 médecins sur 200000 se sont suicidés pendant la même période sans faire autant de bruit.

    La situation actuelle du corps médical, et notamment celle des médecins généralistes, n’est guère brillante mais les Français, pour l’instant, n’ont pas trop à se plaindre de leur système de santé et pour preuve je retranscris ici le courriel d’une amie qui vit aux Etats-Unis (en conservant le style) :

                                                   

    « Cher Paul,

     

    Je  t’envoie cet e-mail pour partager avec toi ce qui se passe à Charleston avec certains médecins.

    Depuis que  j’habite à Charleston  (dix ans) j’ai toujours gardé le même médecin (médecin de famille) et j’ai  très confiance en lui et il  connait très bien ce qui se passe avec ma santé...

    Figure-toi, Paul, que  la semaine dernière j'ai reçu une lettre de mon  médecin qui expliquait qu’à partir de l’année prochaine, comme il a trop de patients (2.500) il veut en garder seulement 600 pour pouvoir passer plus de temps avec  eux et être de garde 24 heures sur 24 (il plaisante !!!!!). Donc pour garder ses 600 patients, il veut que chaque personne paye  1.500 dollars d’avance pour  rester dans  son groupe !!!

     

    C' est vraiment incroyable !! Ces médecins s’appellent en anglais " les médecins concierges". Il y a quelques années j’avais lu un livre de Robin Cook  (qui était médecin mais il est devenu écrivain et tous ses livres étaient de la science-fiction). Dans ce livre il avait parlé de ce qui va se passer  dans le futur avec les médecins qu'il appelait " les médecins concierges".  Incroyable!! C’est une honte, c’est du vol, c’est du racket. !!!!!

     

    C’est dommage pour moi car  pour le principe même je ne ferai jamais ce pas pour garder mon médecin (que j aime beaucoup d ailleurs!!)

    Et maintenant je dois me trouver un nouveau médecin (de famille). Le problème est que certains médecins ne prennent  pas des nouveaux patients.

     

    C est une tragédie... Et en plus il y  a des millions d’américains qui n’ont pas de

    Sécurité sante du tout…

     

    Dis-moi, Paul, de ce que tu en penses... Et as-tu  entendu  ce terme de " médecins concierges".

     

                               Bonnes fêtes de fin d’année à vous tous.

     

                                          Bisous à tous, Estelle »

     

    Ce que j’en pense ? Et bien que ce médecin récoltera dans un premier temps la somme de 900000 $, qu’il va travailler moins pour gagner plus, que j’aurai du exercer aux USA, que l’on considère de plus en plus le médecin en France comme un simple prestataire de services alors que lui-même ne se considère pas encore comme tel (d’où ses protestations) et qu’aux USA les médecins semblent parfaitement assumer ce rôle et en tirer les conséquences, mais les deux systèmes n’évoluent pas dans le même sens : l’un s’est installé dans le mode libéro-mercantile (bien qu’Obama tente de rétropédaler),  et l’autre vers le mode fonctionnarisé de moins en moins masqué.

    Que le patient soit une marchandise ou un numéro, il est de plus en plus déshumanisé.

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  • En écoutant ce matin France Inter, j’apprends cette triste nouvelle : les gousses d’ail commencent à manquer en Chine. Les Chinois se précipitent pour s’en procurer afin de se protéger contre la grippe A (H1N1).

    Rien d’étonnant, selon des mythes anciens, l’ail a la réputation d’éloigner le mal : il repousse les vampires, les zombies, les sorcières et peut-être le diable lui-même ! Il éloignerait les serpents, écarterait la folie, protégerait du mauvais œil, des influences néfastes et des agressions dangereuses et même des cors au pied.

    Les vertus médicinales de l’ail sont reconnues depuis des millénaires (« Qui a de l'ail dans son jardin n'a pas besoin de médecin » dit le proverbe).  La Bible, Hippocrate, les Egyptiens, les Crétois en parlent. Sir John Harington (portrait), inventeur de la chasse d’eau, déclarait en son temps (XVI/XVII ème) « Parce que l’ail sauve de la mort, n’y renoncez pas, même s’il donne mauvaise haleine », il aurait pu ajouter un autre inconvénient, celui d’être anti-aphrodisiaque.

    L’ail est  riche en silice, soufre, iode, vitamines A, B1, B2, C et on lui attribue de nombreux bienfaits : fortifiant, anticoagulant, hypocholestérolémiant, antibiotique, bactéricide intestinal.

     Récemment, on a attribué à l’ail des vertus dans la prévention et le traitement du cancer. Les mécanismes anticancéreux avancés seraient l’inhibition du stress oxydatif, de la mutagenèse, de la prolifération cellulaire et de l’angiogenèse (formation de vaisseaux sanguins). De plus, cette plante accumule le sélénium qui contrôle les gènes impliqués dans la carcinogenèse. Enfin, l’ail inhiberait la prolifération des lignées cellulaires cancéreuses de la prostate, stimulerait l’apoptose (mort cellulaire) et inhiberait le processus métastatique. De nombreuses études animales et in vitro apportent des éléments pour une relation entre la consommation d’ail et la réduction du risque cancéreux. Chez l’homme, plusieurs études seraient en faveur cette relation, mais à l’heure actuelle elle n’est pas formellement reconnue.

    Des auteurs coréens[1] ont donc tenté d’évaluer la relation entre la consommation d’ail et les risques pour différents types de cancer en identifiant et en analysant de façon rigoureuse 19 études chez l’homme (publiées en anglais et en coréen de 1955 à 2007). Si aucune preuve crédible n’a été retrouvée en faveur de la relation entre la consommation d’ail et les cancers gastrique, du sein, du poumon et de l’endomètre, des preuves très limitées en faveur d’une relation entre la consommation d’ail et la réduction des cancers du colon, de la prostate, de l’œsophage, du larynx, de la cavité buccale, de l’ovaire, et du rein, ont été retrouvées . Mais il serait peut-être excessif de vous précipiter sur les gousses d’ail ou sur les gélules d’ail que l’on trouve dans les officines, pensez à votre entourage et à votre libido.

    Par ailleurs, il est encore trop tôt pour savoir si les Chinois mangeurs d’ail seront moins touchés par la grippe que les autres. Il est peu probable que le virus soit incommodé par l’odeur de l’ail, par contre elle peut entraver les contacts rapprochés entre les Chinois et d’éviter ainsi la contagion.


    [1] Kim JY et Kwon O : Garlic intake and cancer risk: an analysis using the Food and Drug Administration’s evidence-based review system for the scientific evaluation of health claims.
    The American Journal of Clinical Nutrition 2009 ; 89 : 257-264.

     


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  • Après l’examen, le rhabillage est le moment le plus tendu de la consultation. Le patient est dans l’attente inquiète de ce que va dire le médecin et celui-ci, le diagnostic étant posé et si le cas est difficile, se demande ce qu’il va lui dire ou comment le lui dire et ce qu’il doit faire. Il est heureux que le plus souvent le médecin a le bonheur d’annoncer de bonnes nouvelles, car il n’est jamais indifférent, il est sensible aussi bien au soulagement qu’il procure qu’à la crainte qu’il provoque.

     

    Le plus simple serait de dire toute la vérité.

    D’ailleurs dans le commentaire de l’article 35 du Code de Déontologie il est dit : «  On ne ment pas à quelqu’un qui doit être respecté. Mais toute dissimulation ou tout mensonge est exclu…L’intention de tromper, ou dol, est une faute en droit général… ». Mais ce même article admet tout de même des réserves : « … Toutefois dans l’intérêt du malade et pour des raisons légitimes que le praticien apprécie en conscience, un malade peut être tenu dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic graves, sauf dans le cas où l’affection dont il est atteint expose les tiers à un risque de contamination. Un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection… ».

    On voit donc que le médecin peut se poser des questions sur l’attitude à adopter et pour beaucoup la vérité n’est pas si simple à dire. La parole du médecin a un grand retentissement sur le patient et que le médecin lui-même ne prévoit pas toujours, en outre ce qui est dit est parfois mal interprété. Il arrive que le malade n’écoute que ce qu’il veut entendre ou que ce qu’il craint. Je me souviens d’un patient à qui j’avais révélé avec beaucoup de précautions la gravité de son  cas, et qui en partant m’a serré la main en disant : « merci, docteur, de m’avoir rassuré ».

    L’avenir d’une maladie et sa durée ne sont pas toujours prévisibles, ne faut-il préserver au mieux ce qui reste de temps à vivre ? Le malade ayant accès à son dossier, il faut également tenir compte de cette possibilité. Certains s’en tirent par une pirouette en avançant qu’un malade bien informé, n’éprouvera pas le besoin de consulter son dossier. C’est donner un droit en espérant que l’intéressé ne s’en servira pas. Mais la question reste entière dans les cas sérieux sur le degré d’information à donner sur la maladie si l’on veut préserver le malade (mais elle doit être complète sur les examens à subir et le traitement à suivre), encore que la diffusion de l’information médicale laisse peu de zones d’ombre. Le patient donne heureusement plus de poids à la parole du médecin.

                                                                                     

    La vérité c’est plus simple pour qui ?

    «  La vérité c’est plus simple » dit-on. Aphorisme simpliste, base de l’argumentation des partisans de la vérité complète dans tous les cas. Postulat dont on se garde d’énoncer le corollaire : plus simple pour qui ?  Dire l’entière vérité au malade assure une cohérence dans le discours des soignants. Aux questions du patient les différents intervenants auront les mêmes réponses. Lorsque la vérité est dite, il n’y a plus de risque d’impairs, plus de doute et d’incertitude, le pire est à venir. Une simplicité bien commode transférant les préoccupations des soignants vers le malade.

     « La vérité, c’est plus simple ». Mais pour qui ? On peut légitimement se demander si cette franchise n’est pas surtout dans l’intérêt du médecin. Si en transférant le poids de la maladie et de l’anxiété qu’elle génère sur les épaules du malade, il ne s’en libère pas d’autant. Si ce n’est pas sa pratique qui devient plus simple. S’il n’assure pas ainsi avant tout sa protection juridique en cas de conflit. Ce qui semble le cas aux Etats-Unis où ce modèle «  vérité » fonctionnerait bien, les médecins estimant que leurs relations avec les patients et leur famille en ont été améliorées. Le nombre croissant de procès permet d’en douter.

    Le malade attend toujours que le médecin le rassure, tout en exigeant parfois la vérité, prouesse oratoire à laquelle certains renoncent et préfèrent dire la vérité de façon abrupte. Les autres tentent de l’introduire progressivement et en attendant ils sont bien obligés de se servir du mensonge sous une forme ou sous une autre.
    Illustration : Gustav Klimt "La Vérité nue"


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  • La multiplication des cellules

    «  Homme, ne tirez pas le chapeau sur vos yeux, / Donnez au malheur des mots : le chagrin qui ne parle pas / S’insinue au cœur surchargé et fait qu’il se brise. » (Malcom à son ami McDuff à qui on vient d’annoncer le meurtre de sa femme et de ses enfants, Macbeth  A IV s 3)

    Encouragés par Shakespeare, les psychothérapeutes sont partout, plus perspicaces pour les  autres que pour eux-mêmes. Mais peut-être avons-nous plus de psychologues que d’amis.

    Les psychologues sont parfois groupés en cellules et elles doivent se diviser pour se multiplier afin de d’intervenir rapidement dans des lieux imprévisibles pour des motifs non programmés mais dont le point commun est le drame.

    Dès qu’une catastrophe survient (y compris le gain d’un gros lot), dès qu’un présentateur d’une chaîne télévisée l’annonce, il ne manque jamais de conclure sa présentation par « une cellule psychologique a été constituée ». Ceci pour bien montrer que les choses sont prises en main, que rien n’a été négligé et que, somme toute, l’affaire est réglée et que les victimes n’ont plus à se faire du souci : les psychologues les prennent en charge et leur malheur en sera forcément moins douloureux. Ah ! Que l’on aimerait que les choses soient ainsi, mais je crains que la cellule psychologique suit les catastrophes comme le tonnerre suit l’éclair. Du bruit pour rien.[1]

     

    Recrutement dans les maternelles

    Il est vrai que la dépression nous guette. Ce n’est pas étonnant à voir le monde tel qu’il boîte. Mais les enfants à la maternelle qui n’ont qu’une vision assez confuse de ce monde seraient également menacés selon certains psychiatres[2] qui avancent que la dépression – semblable à celle de l'adolescent et de l'adulte -  peut frapper même les bambins et préconisent de dépister cet état dépressif proche du berceau afin de prévenir une aggravation ultérieure (comment ? Par des drogues ?! Par la parole ? Bon courage). Notre vigilance doit donc porter non seulement sur les futurs délinquants en couche-culotte, mais également sur les déprimés accro à leur tétine.

     

    Il faut souligner, pour respecter la vérité historique, que dès 1498, Albrecht Dürer avait montré dans le tableau ci-dessus un enfant Jésus manifestement déprimé, non sans raisons.


    [1] Des études américaines contestent l’utilité et même l’absence de nocivité du « débriefing ». Les Français pensent que leur personnel est mieux formé, mais l’on ignore s’ils en ont démontré l’efficacité (ce qui est d’ailleurs difficile)

    [2] Luby JL et coll. : Preschool depression, homotypic continuity and course over 24 months. Arch Gen Psychiatry 2009; 66-8: 897-905


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  • Vladimir Nabokov disait que la psychanalyse était l’« application des vieux mythes grecs sur les parties génitales » et la libido a fait presque couler autant d’encre que de sperme. « L’avidité libidinale n’a pas de limites, c’est bien le monde que l’homme voudrait pénétrer de son phallus « insolemment » pointé, que la femme voudrait « ingérer » dans son palpitant abysse vaginal… » (G. Zwang, La fonction érotique, éd Robert Laffont).

    Sigmund Freud a tenté de répondre à la question de Stendhal : « Grand Dieu ! Pourquoi suis-je moi ? » (Le Rouge et le Noir). Son goût pour l’archéologie l’a poussé à creuser les profondeurs du psychisme humain jusqu’au couches de l’enfance. Il en est plus ou moins ressorti que les parents sont toujours coupables. La culpabilité est génétiquement un caractère dominant qui se transmet toujours de parents à enfants.

    Le procédé de la psychanalyse consiste sommairement  à dévoiler ses secrets en payant un témoin secourable, qui, lui-même, a dévoilé les siens en rémunérant un autre témoin bienveillant. Cette activité partiellement auto-entretenue, permet de faire circuler l’argent de la façon la plus simple qui soit à la satisfaction de chacun. Un des anciens analysants de Freud, avant de mourir, demanda à sa fille de transmettre à Freud le message suivant : « Dis-lui qu’il est un grand homme, quand bien même il a inventé la psychanalyse »[1]



    Documentation réunie avec la collaboration de Jean Waligora

    [1] Il s’agit de Frink dont l’analyse avait perturbé la vie privée. La phrase est citée par Michael Specter et reproduite dans la biographie de Freud par Peter Gay.


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  • Le médecin menteur exerce sa coupable pratique depuis au moins 2500 ans. Il s’efforce de rassurer son malade sans lui nuire, il s’engage à le prendre en charge, de lui donner les soins les meilleurs en lui dissimulant au besoin la vérité sur la gravité de son état.  Il est effarant que l’on ait pu faire de la médecine de cette façon[1].

    Une condamnation sans appel du paternalisme

    On pense aujourd’hui qu’il est temps que cesse le paternalisme, expression la plus criante du « pouvoir médical », où le malade est considéré comme un sujet affaibli par sa maladie, incapable de décider en raison de son ignorance, et de son manque d’objectivité. Le malade est désormais considéré comme normal, adulte responsable et clairvoyant. Dire le contraire, le tromper par compassion serait indigne, c’est ne pas répondre à sa confiance, c’est le dévaloriser, l’infantiliser. C’est assimiler le médecin à un charlatan. Condamnation sans appel.

                                                                                   

    Une vision d’homme sain

    Mais le malade peut-il être objectif ? Demander au malade d’être objectif sur son propre cas, n’est-ce pas un peu théorique et une vision d’homme sain ? Question stupide. Il est évident que la maladie ne transforme pas le malade. Il n’est pas anxieux, il ne craint pas les examens à subir et les traitements à suivre. Il ne risque pas de déformer les informations qui lui sont fournies. Il n’y a jamais de malentendu malgré le jargon employé par le médecin car il le fait toujours traduire en mots de tous les jours. Le malade reste serein devant un diagnostic de gravité ou une indication chirurgicale, il entend tout et veut  l’entendre. Il comprend tout et décidera en pleine connaissance de cause. 

    Mais pourquoi le praticien s’étonne-t-il qu’après de longues explications qu’il juge claires, le patient  puisse prétendre «  qu’on ne lui dit rien ».

                                                                                     

    « La vérité si je mens »

    Qu’importe ce que dit le médecin puisque le malade a un accès direct à son dossier et à la vérité sans fard. Dans l’avenir il pourra même contrôler le « dossier médical personnel » qui permettra à chaque médecin consulté d’ajouter ses erreurs à celles des autres et au malade, dont ce n’est pas le métier, de l’interpréter à sa manière et de s’angoisser en toute liberté de son contenu

    Les médecins ont parfois du mal à interpréter eux-mêmes un dossier. Dans l’avenir la difficulté sera encore plus grande, mais le malade aura peut-être la bonté leur venir en aide, car il aura non seulement accès à son dossier, mais aussi «  droit à l’oubli ou au retrait », c’est à dire de ne pas faire figurer dans ce dossier  une information qu’il souhaite garder secrète. Cette disposition demandée par les associations de patients permettra éventuellement de retarder un diagnostic ou de permettre une contamination. Le médecin, lui, n’a pas le droit à la vérité. « La vérité si je mens »


    Documentation réunie avec la collaboration de Jean Waligora

    [1] Sur la vérité au patient, rapporté par Jean Deleuze [Revue du Praticien du 30 sept 2005, tome 55 n° 14. (Cirrhose) in « De Gaulle et la médecine » Les empêcheur de penser en rond 1995] :

    Paul Milliez diagnostique chez De Gaulle un anévrisme de l’aorte abdominale en 1955 à l’occasion « d’un malaise grave » [fissuration ?] et lui cache le diagnostic et le pronostic, la survie lui paraissant limitée. A son avis en sachant la vérité il se serait retiré de la vie politique or De Gaulle est mort en 1970 !!! Milliez s’était trompé sur le pronostic. Une vérité nocive pour le patient et sans doute pour la France. [Question personnelle : pourquoi a-t-on a laissé l’anévrisme en place lors de la prostatectomie ultérieure ?]

     


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  • La  confiance semble être indispensable dans les relations entre un patient et son médecin. Cette idée est moins évidente qu’elle ne paraît. La question est de savoir à qui elle est indispensable.

     

    Pour le malade, elle peut être nocive

    Lorsque la médecine est efficace la confiance ou son absence n’a aucune influence sur le résultat du traitement (en dehors de la psychiatrie). La confiance n’est pas indispensable au malade. Elle peut même être nocive si le malade est mal traité par un médecin auquel il se confie et qu’il continue à l’être en raison même de cette confiance. Le paradoxe est que l’absence de guérison renforce souvent le lien entre le malade et son médecin car qui peut mieux connaître le cas que celui qui traite la maladie depuis de nombreuses années sans succès ?

                                                                                     

    Pour le médecin, elle permet de conserver son patient et parfois de le tromper

    Le médecin a besoin de la confiance de son malade s’il veut le conserver comme client. Cette confiance lui est surtout indispensable lorsqu’il est inefficace. Comme disait Napoléon 1er en évoquant son médecin personnel  «  Je ne crois pas à la Médecine mais je crois en Corvisart ».

    C’est lorsque le médecin trompe son malade que la confiance du malade pour son médecin est nécessaire. La confiance permet au médecin impuissant de donner au malade une certaine quiétude de l’esprit

    Plus la confiance d’un malade est grande, moins il exprimera son choix si celui-ci existe. Plus elle est grande, moins le malade sera libre et autonome.

                                                                                      

    Une confiance inutile pour le malade

    Lorsque la confiance est basée sur la vérité totale, le prix en est payé par le malade. Si le médecin masque un pronostic sombre et si le malade l’apprend par ailleurs ou en prend conscience lui-même, il peut en effet lui retirer sa confiance et aller consulter un autre praticien. Le médecin menteur perd son client et le médecin franc conserve le sien. Le malade, lui, n’en tire aucun bénéfice.  Au contraire, le temps pendant lequel il a été trompé lui aura permis de vivre une vie, certes illusoire, mais moins pénible que s’il avait su d’emblée la vérité.

    La confiance du patient serait renforcée lorsque le pire ne lui pas été caché, mais à quoi lui sert-elle dorénavant ? A cela il faut ajouter que les erreurs en matière de diagnostic et de pronostic ne manquent pas, comme celles liées à l’interprétation des biopsies et annoncer une catastrophe qui n’aura pas lieu est plus condamnable que de s’abstenir de l’annoncer.

                                                                                     

    Méfiance

    Paradoxalement les nouvelles règles déontologiques et légales sur le consentement éclairé, le choix « libre mais accompagné », l’énumération préalable à tout acte de toutes les complications possibles, y compris les plus improbables,  ne compensent pas la médiatisation des conflits, le mythe du risque zéro, la dévaluation du statut social du médecin. Désormais le patient se confie en toute méfiance. Mais le praticien le lui rend bien qui désormais garde à l’esprit l’éventualité d’une revendication, d’un procès et doit s’assurer de tous les côtés. Il est à craindre que la relation médecin-malade soit de plus en plus souvent une rencontre entre une méfiance et une méfiance.

    Documentation réunie avec la collaboration de Jean Waligora


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  • Ce billet vient compléter ma chronique médicale n° 48 « La conservation de la matière » sur l’utilisation des excréments en médecine pour lesquels certaines religions ont un goût prononcé. Chacun sait que les hindous vénèrent les vaches. La bouse sert de désinfectant (ce qui est, en quelque sorte, soigner le mal par le mal) et comme l’urine, est utilisée dans les rituels pour purifier les membres des castes inférieures. Les partis nationalistes hindous affirment que l’urine de vache permet de traiter l’obésité, diverses maladies touchant le foie et même le cancer.

    Les partis nationalistes visent les produits étrangers et notamment le Pepsi et le Cola abondamment consommés en Inde. Pour lutter contre cette invasion, pour purifier l’Inde de toute influence étrangère et promouvoir l’hindouité, le mouvement nationaliste hindou vient de trouver la solution : un nouveau soda fabriqué à partir d’urine de vache par le Département de protection de la vache (DPV) et cette boisson bovine en est aux derniers stades de mise au point et devrait être commercialisée fin 2009. Baptisée gau jal en sanskrit, cette “eau de vache” est actuellement testée en laboratoire et sera bientôt lancée et peut-être exportée. Ses promoteurs affirment qu’elle est bonne pour la santé, qu’elle sera bon marché, ne sentira pas l’urine et qu’elle aura bon goût.

    Peut-être que cette boisson se révèlera excellente (après tout, nous ne savons pas toujours ce que nous ingurgitons), mais sans l’avoir goûtée, elle me semble déjà avoir un fort relent de concentré d’intégrisme et de nationalisme.  


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    Un rêve de malade : se passer du médecin
    .

    D’après Hérodote, les babyloniens transportaient leurs malades sur la place du marché. Les passants étaient dans l’obligation d’interroger chacun d’entre eux sur son mal et s’ils avaient souffert du même, ils  devaient lui communiquer le remède qui les avait guéris.

    Médecine collective qui n’a pas entièrement disparu. Il suffit de dîner en ville pour savoir que tout le monde et n’importe qui est médecin amateur et n’hésite pas à donner des conseils au professionnel. « La courtoisie consiste à se laisser expliquer les choses que l’on connaît par ceux qui ne les connaissent pas » (Talleyrand).

     

    Laisser au malade la décision de son traitement est une des meilleures acquisitions de la pratique médicale actuelle…pour le médecin.

    Pour traiter un patient, les médecins ont toujours tenu compte de ses désirs, mais le choix définitif leur incombait. Aujourd’hui on demande aux médecins d’expliquer au malade les aléas et les avantages de chaque traitement et le malade doit prendre seul la décision.

    On dit et on fait semblant de croire que le malade choisit son traitement comme un article dans les rayons d’un grand magasin en suivant quelques conseils de la vendeuse. Le médecin, comme la vendeuse, n’étant là que pour orienter le choix, mais à la limite on pourrait s’en passer. Demander au patient de choisir son traitement est bien commode pour le médecin, il évite ainsi l’épreuve de la décision pour se comporter en simple technicien prestataire de services et c’est pour lui une manière de se défausser de sa responsabilité.

    Pour une maladie donnée, les médecins ont du mal et mettent souvent longtemps à déterminer le traitement le meilleur. C’est plus commode et plus rapide de laisser le malade le déterminer tout seul. Il est le mieux placé pour l’expérimenter.

    Les malades cherchent curieusement le traitement le plus efficace et le moins dangereux. Le médecin aussi. L’affaire est simple lorsqu’ils trouvent le même.

    Des malades hésitants ont l’habileté de demander à leur médecin : « et si c’était vous, que choisiriez-vous ? ». C’est une des questions les plus embarrassantes qu’un malade puisse poser à son médecin. Il évite le plus souvent d’y répondre et apprécie alors l’abandon du paternalisme et le choix laissé au malade.
    2

    Le malade a la liberté de se tromper.

    Le choix du traitement constitue en principe l’expression la plus évidente de la liberté du malade face à sa maladie. Les cas où le traitement peut être théoriquement imposé même contre la volonté du patient sont rares[1]. Un malade peut refuser de se traiter, c’est là où sa liberté s’exprime pleinement, alors que le médecin fait l’impossible pour qu’elle ne s’exprime pas. Lorsque le malade refuse tous les traitements proposés, le médecin se doit de le convaincre mais il n’a pas toujours raison. Dans le passé les malades auraient dû pour la plupart refuser les saignées, répétées parfois jusqu’à ce que mort s’ensuive. Et combien ont été poussés à une intervention chirurgicale parfaitement justifiée qui s’est mal terminée ?

    Si le médecin est parfaitement objectif, sans exprimer sa préférence, on comprend que le patient désorienté et angoissé par la nécessité de prendre une décision ait du mal à choisir. Le prix Nobel d’économie Daniel Kahneman a montré que «  face à un choix en condition d’incertitude (impliquant donc les lois de probabilité), nous n’appliquons pas ces lois de manière rationnelle… On a donc tendance à surpondérer les évènements à faible probabilité et à sous-pondérer les évènements à forte probabilité » [2]. Cette remarque est valable pour le malade qui va surestimer les dangers, refusera peut-être un examen indispensable comportant un risque létal exceptionnel,  ne choisira pas toujours le traitement donnant les meilleurs chances de guérison. C’est sûrement un progrès que d’appliquer un traitement, parce qu’il a été choisi par le malade, mais que le médecin juge moins bon.


    Le malade ne choisit guère.                                                                            

    Comment empêcher un praticien de présenter favorablement le traitement qu’il sait faire et qui en toute honnêteté lui paraît le meilleur ? Si le patient a confiance en son médecin, son opinion personnelle est évidemment déterminante. En ce domaine, une impartialité parfaite de la part du médecin est proche de la lâcheté. Le malade vient à lui pour recevoir des conseils et non pour écouter un cours sur les alternatives possibles.

    En fait dans beaucoup de maladies, il n’y a qu’un seul traitement valable. Lorsqu’il en existe plusieurs, il est rare qu’ils soient totalement équivalents. Contrairement à ce qui est avancé, la possibilité pour un patient de choisir se restreindra dans l’avenir. Les progrès médicaux tendent à affiner les protocoles, à

    démontrer leur validité, à envisager tous les cas et à prévoir les traitements adaptés. Si un patient choisit alors le traitement le moins bon pour lui, c’est  devenu son problème, mais il est permis de le regretter.

     

    Donner au malade la décision entière de son traitement lui permettrait de devenir un acteur des soins selon le statut que l’on veut lui donner. Mais pour cela il faudrait qu’il se les applique lui-même (ce qui est le cas pour certaines maladies chroniques). Il est plus figurant qu’acteur car il n’est pas libre et autonome face à sa maladie, il dépend d’elle et il dépend des autres. La liberté et l’autonomie d’un malade sont celles d’un prisonnier qui va et vient dans sa cellule. Un médecin se doit de ne pas le laisser seul ou de l’en sortir.



    [1] La maladie mentale avec internement sur la demande d’un tiers ou hospitalisation d’office, l’alcoolisme dangereux, la toxicomanie, la maladie vénérienne, un traitement indispensable chez un mineur contre l’avis des parents ou lorsque cet avis est refusé par le mineur.

    [2] Interview à La Recherche juin 2003


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  • L’idée du « consentement éclairé » n’est pas discutable, elle est terrifiante : « toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui leur sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et les conséquences prévisibles en cas de refus ».[1]

    La Loi et le Code de déontologie obligent donc le médecin à obtenir le consentement « éclairé » du patient sans omettre aucune des complications possibles des examens nécessaires au diagnostic et du traitement proposé. Rassurant.

                                                                                    

    Le patient doit bien comprendre à quel point il est menacé

    Révéler le meilleur est un plaisir, révéler le pire est devenu légal. Mis au rang de tout prestataire de service depuis 1997 [2], non seulement le médecin doit dire la vérité, mais il doit aussi prouver qu’il l’a dite et que son patient l’a bien comprise ( !? )[3]. La médecine est une des rares professions capables de prédire  un avenir possible, mais le praticien  s’interdisait auparavant, par humanité, de le révéler s’il était sombre. Le patient peut à présent exiger de le connaître. Il aura l’avantage de vivre pleinement sa maladie avec angoisse, dans la crainte des aléas thérapeutiques, des échecs et des complications possibles de toute intervention ou examen, y compris des plus improbables.« L’usager du système de santé » a le droit, depuis 2002, de souffrir davantage ou de refuser des soins vitaux par crainte de leurs risques annoncés. Rassurant.

                                                                                     

    Plus le patient est éclairé, plus il s’assombrit

    Pour respecter la loi et se mette à l’abri de revendications et procès, le médecin, l’anesthésiste, le chirurgien, l’accoucheur, vont demander au patient de parapher la liste des incidents et catastrophes qui peuvent éventuellement l’atteindre : « la notion, malheureuse et en tout cas trop ambiguë, d’information approximative n’est plus de mise aujourd’hui : c’est une information totale qui est imposée…l’information totale est la règle, le silence ou la dissimulation est l’exception. » « Après tout chacun est libre de préférer un risque zéro plutôt qu’affronter un risque, même marginal, mais bien réel et grave. »[4]. L’ennui est que lorsqu’un malade refuse un examen essentiel ou un traitement dangereux mais salvateur, le risque n’est pas zéro mais peut atteindre 100%. C’est ainsi qu’on informera une mélancolique au comble d’une angoisse insupportable et mortifère que les électrochocs qui doivent la soulager peuvent  la tuer, qu’on avertira  un quasi aveugle que l’opération de la cataracte qui doit lui redonner une vue normale peut le rendre complètement aveugle, que la coloscopie nécessaire au dépistage d’un cancer peut provoquer une péritonite par perforation à opérer dans l’urgence, que toute anesthésie, même courte et pour une opération bénigne, peut entraîner un coma, une infirmité ou la mort. Tout acte médical comporte un risque. On ne s’étonnera pas dans ces conditions que plus le patient est éclairé, plus il s’assombrit.

                                                                                    

    Doit-on toujours révéler ce que l’on croit savoir ?

    Henri de Mondeville, le grand chirurgien du XIVe siècle, faisait remarquer que « Depuis la plus ancienne antiquité les gens ont considéré les chirurgiens comme … des filous de la pire espèce ». Cette mauvaise réputation s’est atténuée à la Renaissance mais les chirurgiens ont gardé jusqu’il y a peu avec les dentistes  celle léguée par leurs ancêtres barbiers et arracheurs de dents d’être d’invétérés menteurs. Et comment ne pas mentir lorsque, avant l’anesthésie et l’asepsie, la moindre opération provoquait une atroce douleur et faisait courir un risque mortel. Naguère il était admis par tous qu’il fallait adoucir la réalité, minimiser les risques, rassurer le malade. Le mensonge était donc généralisé, parfois pour de mauvaises raisons : ignorance, impuissance, mépris.

     Avec les progrès médicaux, la diffusion des connaissances, le mensonge recule et il a le plus souvent aucune raison d’être, mais si le mensonge a eu ses excès, la vérité systématique a les siens. De nos jours le chirurgien est soumis, peut-être encore plus que tout autre, à « l’éthique de la vérité ». Mais toute opération, même la plus simple peut se compliquer. La chose étant dite et connue de tous, ce n’est pas une raison quand, dans les suites d’une intervention chirurgicale, une complication menace ou survient, pour affoler l’opéré et le plonger dans un abîme d’angoisse par un excès d’explications et de prévisions désastreuses. Ce n’est pas une raison pour agrémenter la prescription d’un médicament ou d’un examen de tous leurs effets secondaires possibles dont la plupart sont rarissimes. Ce n’est pas une raison de révéler toujours ce que l’on sait ou ce que l’on croit savoir sur l’avenir de son prochain.


    Documentation réunie avec la collaboration de Jean Waligora.

    [1] Article L1111-2 de la loi du 4 mars 2002

    [2] Arrêt Hédreul de la Cour de Cassation

    [3] D’après une enquête de Murphy SM et coll (Br. J. Surgery 2004), sur 350 malades ayant été opérés en urgence par laparoscopie, près du tiers n’avaient pas vraiment compris ce qu’on leur avait fait, alors que la plupart (9/10) s’estimaient satisfaits des informations fournies par l’équipe soignante.

    [4] Pierre Sargos, conseiller à la Cour de Cassation


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