• Vincent Van Gogh : "Résurrection de Lazare"

     

    Je suis dans un sommeil sans rêves

    Très profond tel un repos éternel

    Et j'entends une voix qui m'appelle

    Je connais cette voix qui s'élève

     

    Que dit-elle ? Qu'il faut que je me lève !

    Et que je marche ! Et encore quoi !

    Moi je ne marche pas

    Je suis au frais dans un sommeil de rêve

     

    Je fais le mort et garde les yeux fermés

    Je n'ai pas l'intention de me lever

    Et subir encore les tracas de la vie

     

    Subir le joug de l'Occupation*

    Subir les persécutions

    Jamais de la vie !

     

    Paul Obraska

    * Romaine


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  • LA COMPLAINTE DES MEUBLES

    Vincent Van Gogh "Le lit de Van Gogh à Arles"

    Il est temps que l'on se penche

    Sur la souffrance de ces exploités

    A-t-on pensé

    Aux armoires qui baillent de leurs planches

    Mais ne peuvent se coucher

    Aux lits toujours allongés

    Sans pouvoir se redresser

    Aux chaises debout sur quatre pieds

    Et qui ne peuvent jamais s'asseoir

    Et que dire des tiroirs

    Que l'on met sous clé

    Et des tables obligées d'écouter

    Des conversations dérisoires

     

    Comment ne pas comprendre en voyant

    Les bibliothèques obligées de se bourrer

    Leurs entrailles chargées de livres enivrants

    Que personne ne lit ou qu'on a oubliés

    Même rassemblés et lus avec émoi

    Pourquoi portent-elles un tel poids

    Alors qu'elles seront un jour vidées

    Les livres dispersés ou vendus ou jetés

    Lorsque le lecteur sera mort et enterré

     

    Les meubles se plaignent chaque nuit

    Ecoutez leurs craquements

    Ecoutez leurs gémissements

    Qui accompagnent votre insomnie


    Paul Obraska


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  •  

    SE SUPPORTER

    Magritte : "Méditation"

     

    Ainsi suis-je né

    Ainsi suis-je fait

    Il est trop tard pour protester

    Et se plaindre à qui d'être ainsi fait ?

    Et puis on se console comme on peut

    Ça aurait pu être pire

    Ça aurait pu être mieux

    Alors on prend l'habitude

    On émousse les angles

    On cache les creux

    On joue à être quelqu'un de bien

    Parfois ça marche

    Parfois ça marche pas

    Surtout avec les siens

    Alors il faut se supporter

    Et que les autres vous supportent

    Comme je suis né

    Comme je suis fait

    Et on devient insupportable

    Comme si les autres étaient responsables

    De ce que l'on est

    Et l'on devient vieux

    Avec le temps on finit par s'aimer

    Un peu

    Un peu tard

    Au moment de se quitter


    Paul Obraska

     

     

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  •  

    CREPUSCULE



    C’est l’heure où la Terre tourne son ombrelle

    Où l’eau du lac retient la lumière évanouie

    Où les cimes des arbres dentellent le ciel

    Où la masse des bois capte la nuit

     

    C’est l’heure où le silence bruit de bruits inconnus

    Où la pénombre se peuple d’êtres fabuleux

    Où le cri des oiseaux devient éperdu

    Où l’on craint qu’une bête habite chaque creux

     

    C’est l’heure où les fantômes astiquent leurs chaînes

    Où ceux qui nous habitent reprennent vie

    Où ceux qui sont morts réveillent nos peines

     

    C’est l’heure où l’on presse le pas

    Où l’on recherche en vain un abri

    Où l’on espère qu’un autre jour se lèvera.


    Paul Obraska


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    Gustav Klimt « Schubert au piano »

     

    Les belles inaccessibles si proches de lui,

    Perdues dans leurs pensées,

    Suivent la partition à la lueur des bougies.

    Une autre regarde la danse des mains nues

    Sur les touches dociles du clavier

    Où les chants de l’impromptu

    Mêlent leurs cadences.

    Elles frémissent en écoutant les graves gronder,

    Alors que les notes hautes s’élèvent pudiques,

    Retenues par le poids des silences.

    Et la mélodie un instant suspendue

    Reprend mélancolique,

    Comme un amour perdu,

    Pour s’éteindre en douce nostalgie,

    Dans le regret des passions disparues,

    Quand le grondement au loin s’évanouit.

     

    Paul Obraska

     


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    MELODRAME DIVIN

    Robert Campin « La trinité affligée (le trône de Dieu) »



    Dieu sur Son trône Se tient Lui-même dans Ses bras,

    Sa part souffrante comme un pantin inerte

    Que le montreur abandonne à sa perte.

    Un Dieu éternel peut-Il souffrir et mourir ici-bas ?

     

    Si la mort de l’homme est le châtiment de la vie,

    Elle fait partie de la perfection du Seigneur,

    Capable de vivre l’agonie et de mourir en acteur

    Pour Se relever à la fin et être applaudi.

     

    Le Père sur Son trône semble affligé.

    Mais pourquoi en voudrait-Il aux humains ?

    Ne s’est-Il pas envoyé sur terre pour être tué ?

    Les acteurs ont suivi le script de Son dessein.

     

    Pourquoi culpabiliser les hommes ?

    Sans supplice le message serait tombé à plat,

    Sans Golgotha pas de Rome,

    Pas de Christianisme sans croix.

     

    La Bonne Nouvelle a pu se répandre

    Une fois le sang du supplice versé

    Et le Héros revenu de Ses cendres.

    Le mélodrame divin s’est bien terminé.

     

    Paul Obraska

     


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    Salvador Dali "Le Christ de St Jean sur la croix"


    TRANSIT

     

    Qui suis-je ? Homme ou Dieu ?

    Diantre ! Les deux ?

    Où suis-je ? Entre la terre et les cieux,

    En transit, entre les deux.

    Difficile de trouver sa place dans l’univers.

    Où vais-je ? Comme tous : à la recherche du Père.

     

    Alors c’est décidé, je rejoins l’Eternel.

    Son regard pèse sur mes épaules,

    Je suis en route vers le ciel,

    J’ai terminé mon rôle.

     

    De Là-Haut, Il me voit, cloué sur ma croix, revenir.

    Dommage. Mais j’emporte de beaux souvenirs,

    En montant je regarde l’eau refléter les cieux,

    Les villes bruyantes et les déserts silencieux,

    L’argent des montagnes et l’or des plaines,

    Les mortels entre plaisirs et peines.

     

    Je me souviens de la douceur et du charme féminins,

    J’ai regardé vivre les femmes avec des yeux humains,

    Et je me demande si ce n’est pas d’abord l’homme

    Qui, emporté par son désir, a croqué la pomme,

    Et accusé la femme de lui avoir forcé la main.

     

    Enfin quel que soit le coupable, j’ai racheté leurs fautes,

    Mais ils continuent et pour pécher aucun n’hésite,

    Je ne peux pas descendre à chaque fois qu’ils fautent,

    Ne devrais-je pas, mon Père, rester en transit ?

     

     Paul Obraska

     

    C'est le tableau de Dali que je préfère. Lors de la première parution de ce poème en 2008, Souliko, blogueuse et peintre, avait fait ce commentaire : "Ce tableau de Dali est une vraie merveille : dans sa construction (la perspective aérienne est extraordinaire), les couleurs, la technique, le clair-obscur, la paix qui s'en dégage malgré la croix...difficile d'exprimer son ressenti. Reste l'émotion...Dali aurait peint ce tableau d'après un dessin effectué par St Jean de la Croix." Je ne saurais mieux dire.

    J'ajoute que Jésus de Nazareth monte au ciel, non pas ressuscité, mais toujours cloué sur sa croix comme pour montrer à son Père le sacrifice qu'il a du subir, et en quelque sorte lui reprocher de l'avoir abandonné. Reprocher à Dieu cet abandon est d'ailleurs assez paradoxal puisque le Christ serait Dieu, à moins qu'il ne se fasse des reproches à lui-même, ce qui n'est pas exclu.

    Enfin, montrer en même temps la Crucifixion et l'Ascension efface le mystère de ces quarante jours d'errance sur terre entre la résurrection et l'ascension.

     


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    L'ananas et sa houppe florale,

    Sa peau de crocodile végétal

    Aux écailles jaunes noyées de vert,

    Protégeant son cœur solaire

     

    Cerise, bille de pourpre noir

    Pendue en battant solitaire,

    Ou en famille sous leur toit vert.

     

    Goutte lourde de la poire

    Chargée de chair fondante.

    Craquement de la pomme croquante

    Lorsqu'on y plante les dents.

     

    Orange comme un soleil couchant

    Avec ses croissants de lune dedans.

    Sage mandarine sucrée

    Aux quartiers bien rangés.

     

    Pêche à la peau de douceur

    Que du doigt on caresse

    Avant d'en boire le cœur

    Débordant de tendresse.

     

    Figue violine, bourse pendante

    Gonflée de marmelade amarante.

    Kiwi, chair verte si onctueuse

    Dans son enveloppe terreuse.

     

    Généreuse pastèque d'eau gorgée

    Pour la soif des pays asséchés,

    Et melon comme un astre lourd.

     

    Fraise aux grains de beauté,

    Cœur rose, de rouge cerclé.

    Framboise à la peau de velours,

    Délicieux rubis qu'on déguste.

     

    Raisins blancs ou noirs agrippés

    Aux branches de leur petit arbuste

    Dans un rêve mort de vin bachique.

     

    Blonde banane phallique

    S'offrant toute entière,

    Une fois la peau écartelée.

     

    Mûre, framboise noire des roncières,

    Myrtille, petite nuit bleutée,

    Groseille, perle acidulée.

     

    Et toi, modeste abricot

    Déjà confiture autour du noyau

     

    Je vous aime.

    Paul Obraska

    Le Caravage : "Garçon à la corbeille de fruits"


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  • EDUCATION SEXUELLE

    Dis, comment fait-on des bébés ?

     

    De qui est l'enfant né ?

    Souvent de deux corps

    De sexes opposés qui se sont aimés

    Ou d'un père à la semence froide déjà mort

    Ou d'un vivant inconnu à la semence donnée

    Ou d'un père absent qui s'est enfui en semant

    Ou d'une mère qui veut rester ignorée

    En laissant à d'autres son enfant

    Ou du corps prêté d'une mère

                               A un couple de pères                         

    Ou de parents 

     

    Où est né l'enfant ?

    Sur la paillasse d'un laboratoire austère

    Dans une femme qui le voulait pour soi

    Dans une matrice saine louée pour neuf mois

    Ou dans une matrice retraitée de grand-mère 

     

    Tu vois,

    Faire un bébé n’est pas un mystère

     

    Chagall : « Naissance » (à la mode très ancienne)


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  • LA NUIT DE LA DEPORTATION

     

    LE RETOUR DE LA NUIT

     

    Branlant sur leurs membres décharnés

    Les morts étonnés revinrent à la vie

    Sortis du monde de l’obscurité

    Leurs yeux de taupe furent éblouis

    Par les lumières qu’ils avaient oubliées

    Alors ils fermèrent les yeux

    Il n’y avait pas de mots pour traduire leur nuit

    Et ils restèrent silencieux

    Et quand les mots venaient à leur esprit

    Ils mourraient sur leurs langues figées

    Ils couvraient l’encre bleue de leur bras

    Comme s’ils avaient honte d’avoir été torturés

    Ils craignaient que les autres ne les croient pas

    Ils restèrent longtemps silencieux

    Puis ceux qui trouvèrent les mots pour le dire

    Témoignèrent pour les taiseux

    Pour ceux qui enterraient leurs souvenirs

    Et les revivaient dans l’insomnie

    Et d’autres se suicidèrent

    Après leur retour à la vie

    Brûlant le lambeau de lumière

    Qu’ils avaient arraché à la nuit

     

    Paul Obraska         

     

    George Grosz « Heureux d’être de retour » 1943

     


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