-
Par Dr WO le 15 Novembre 2014 à 16:09
Félix Vallotton "Portrait de la femme au chapeau noir"
Elle avait gardé son chapeau
Orné d'un ruban rose et blanc
Elle avait gardé les yeux clos
En retenant d'une main
Sa robe négligemment
Elle avait dévoilé distraitement
Un sein
Et recouvert par malice son voisin
La poitrine découverte couronnée
De l'ovale d'or d'un fin collier
C'était le chapeau gardé sur la tête
Qui avait rendu ce sein si nu
Et les paupières closes qui avaient rendu
Ce visage si serein, la pose si coquette
Et la femme offerte si prête
Paul Obraska8 commentaires
-
Par Dr WO le 9 Novembre 2014 à 11:09
Gustave Caillebotte « Paris : un jour de pluie »Il pleut sur Paris
Les champignons poussent sur les têtes
Les couples se serrent pour être à l’abri
L’ombre des pépins leur fait une voilette
Les pavés glissants font petits miroirs
Les roues éclaboussent les passants
Les flaques dans le creux des trottoirs
Attirent les chaussures des enfants
Les portes cochères servent d’asile
Les fenêtres ont leur verre cathédrale
La chaussée brille de reflets d’huile
Des rayures chutent du ciel lacrymal
Une estompe humide passe sur la ville
Et la nue se teint de jaune pâle
Paul Obraska
8 commentaires
-
Par Dr WO le 9 Octobre 2014 à 09:48
La femme dresse son long corps frêle,
La chevelure rousse comme une crinière de lion
Mange son visage amaigri, d’une pâleur mortelle.
Elle nous regarde de ses grands yeux ronds.
Un regard de surprise et de mélancolie,
Elle voit son corps mince et fragile déformé
Par cette protubérance qui sans cesse grossit
Et que son ventre distendu parvient à supporter.
Cet œuf étranger fait partie d’elle-même,
Il se nourrit de son corps malgré son vouloir,
Mais déjà, sans le connaître, elle l’aime.
Sans elle, il ne serait qu’un espoir.
Un corps noir comme un têtard géant
S’enroule autour de la belle dénudée.
Les dorures d’une draperie à ses flancs,
Son pubis roux sur voile céleste étoilé.
Elle se croit seule la femme innocente.
Pourtant, derrière, elle est surveillée
Par des faces d’homme inquiétantes,
Expriment–elles l’envie ou l’hostilité ?
Ces mâles attendent-ils l’enfant à naître ?
Voudront-ils de suite l’emporter ?
Pour en faire un soldat peut-être.
Sur elle, un crâne de squelette est penché.
Que la femme ne se fasse pas d’illusion :
L’enfant qu’elle porte sera peut-être mort-né,
Ou naîtra pour mourir de toute façon.
Gustav Klimt "Espérance"
Paul Obraska
8 commentaires
-
Par Dr WO le 3 Novembre 2013 à 12:10
Une butte pour montagne
Paris pour plaine
Une vigne pour campagne
Une église pour reine
Des escaliers pour rues
Des marches pour bancs
Des vivants pour statues
Des morts pour talents
Des habitants pour mémoire
Des copistes pour artistes
Des défilés pour boire
Des restaurants pour touristes
Des autos pour carrousel
Un ascenseur pour rails
Des caméras pour bretelles
Des photos pour mitraille
De la pacotille pour Afrique
Des quêteurs pour musiciens
Des rengaines pour musique
Des jouets pour trains
Des pavés pour nos pas
Des ruelles pour nos yeux
Une épaule pour mon bras
Montmartre pour nous deux
Paul Obraska
6 commentaires
-
Par Dr WO le 8 Octobre 2013 à 17:14
Sur la place Emile Goudeau, les arbres entrelacés
Veinent par l’ombre de leurs bras nus et noirs
Le quadrillage bossu des pavés penchés
Que le soleil peint sous leur pochoir.
Les réverbères efflanqués et solitaires,
Eteints le jour, tels des noctambules endormis,
Attendent patiemment que vienne la nuit
Pour nous faire partager leurs lumières.
La place Emile Goudeau, de son perchoir,
S’incline vers les Abbesses par la rue Ravignan.
Sortis des cendres du bateau-lavoir,
Des fantômes qui furent dissidents
Viennent se reposer de leur gloire,
A l’ombre des arbres, sur les bancs.
Peintres et poètes surgissent comme des mirages
Dans le viseur des chasseurs d’images,
Le déclencheur avide de ces lieux légendaires,
Où sont passés Picasso, Gris, Apollinaire,
Braque, Max Jacob, Vlaminck, Modigliani,
Marie Laurencin, Van Dongen ou Dufy…
Ils ont quitté depuis longtemps la place inclinée,
Mais derrière eux un parfum de poésie persiste
Et le promeneur en ces lieux se met à rêver
A l’éclosion magique de ce bouquet d’artistes
Paul Obraska
4 commentaires
-
Par Dr WO le 5 Septembre 2013 à 17:55
Dans le square du poète Rictus, place des Abbesses
Des bouts de langues échappées nues font le mur
Des langues étranges, des langues étrangères
Les unes contre les autres, elles se pressent
Langues ennemies sans armure
Sans barrières, sans frontières
Des hiéroglyphes désordonnés
Eclats blancs d’abécédaire
Des phrases amputées
Des mots solitaires
Peut-être des bêtises
Peut-être des insultes
Peut-être des mots d’amour
Peut-être des mots de haine
Des mots mélangés dans le bleu des carrés
Alignés sur le mur comme des exemples à fusiller
Et le pigeon voyageur au pied du mur regarde l’ouvrage
Tous les messages transportés par-dessus les murs
A travers les pays en paix ou livrés au carnage
De la confusion des mots monte un murmure
Une cacophonie que personne n’entend
Que personne ne comprend
Que personne ne lit
Paul Obraska
(en cliquant sur l'image vous pouvez l'agrandir)
6 commentaires
-
Par Dr WO le 14 Juillet 2013 à 10:35
Jetés comme une brassée de branches mortes
Les rails s'entrelacent avant de mourir à la gare
Luisantes sous la lune qu'un nuage emporte
Les gerbes de métal se fondent dans le noir
Les rectangles de lumière alignés dans la nuit
Défilent à la volée dans un fondu enchaîné
Des visages à peine entrevus s'enfuient
Dans un vieux film aux images saccadées
Le train de nuit s'échappe à travers champs
Dans l'obscurité il suit son chemin de fer
De battement en battement
Il file droit ses roues dans les fers
Le train de nuit emporte sa charge humaine
Course dans le noir dans le cours des jours
Une charge de pensées de joies et de peines
Quitter ceux qu'on aime ou aller aux amours
Le train de nuit transporte des soldats en armes
Le goût amer sur les lèvres du dernier baiser
Des femmes qu'ils ont quittées en larmes
Défilent les villages qu'ils espèrent retrouver
Dans la nuit un train de wagons pour bestiaux
Déporte sa cargaison d'humains prostrés
La clarté des gares éclaire à travers les barreaux
Les faces hagardes et les corps étouffés
Le train de nuit fonce dans le noir assassin
Un aller simple pour un unique voyage
Les voyageurs immobiles s'effacent un à un
Le convoi désert devient paysage
Paul Obraska
13 commentaires
-
Par Dr WO le 2 Juin 2013 à 10:06
ÊTRE LE PREMIER
Les hommes se donnent bien du mal - Pour être le premier - Et inscrire leur nom dans les annales - Des noms pour la plupart oubliés.
Le premier à découvrir une terre - Déjà habitée - Pour y planter son drapeau - Et commencer une guerre.
Le premier à grimper sur un pic - Pour redescendre aussitôt - Le premier à courir aussi vite - Avant d’être dépassé.
Le premier à traverser les mers - Vent debout, vent arrière - A l’endroit, à l’envers - Avant d’être repêché.
Il y a ceux qui ne seront jamais premiers - Ni sur terre - Ni sur les mers - Ni dans les cieux - Mais qui exigent de l’être au moins une fois - Pour ces prétentieux - Qui ne tentent aucun exploit - Il y a la vierge à déflorer - On est le premier que l’on peut.
Paul Obraska
Klimt : "La vierge"
12 commentaires
-
Par Dr WO le 14 Mars 2013 à 14:46
IL A FALLU
Qu’il a fallu de miracles, qu’il a fallu de hasards
Pour que ces deux êtres se soient rencontrés
Qu’ils soient réunis, ici, dans un même regard
Qu’ils se touchent et échangent leurs baisers
Il a fallu être tirés à la loterie cellulaire
Il a fallu être nés dans le même temps
Rejetons de générations millénaires
Migrantes depuis la nuit des temps
Leurs ancêtres ont traversé pays et continents
Echappés aux massacres et aux destructions
Ils ont pu laisser une chaîne de descendants
Pour que s’attachent enfin ces deux maillons
Il a fallu que les deux puissent surmonter
Les dangers, les maladies, les accidents
Rester toujours en vie pour se rencontrer
Il a fallu de la chance pour rester vivant
Parmi la multitude sur la Terre immense
Il a fallu se croiser sous les mêmes cieux
L’un aurait pu être retardé, l’autre en avance
Ils furent là au même moment, en un même lieu
Il a fallu se voir
Il a fallu se plaire
Il a fallu oser
Il a fallu s’aimer
C’est improbable
C’est impossible
Cette idylle ne l’ont-ils pas rêvée ?
Paul Obraska
Chagall : « Amants en bleu »
votre commentaire
-
Par Dr WO le 6 Décembre 2012 à 11:16
LA COMPLAINTE DE LA PENICHE
Près de moi un bateau vient de passer
Enfilant les ombres humides des ponts
Chargé jusqu’à la gueule d’une foule ensoleillée
Les têtes tournantes à l’unisson
Ma carcasse balance à son passage
Mes chaînes cliquettent attachées au quai
Je roule mais je reste à terre, bien sage
C’est pourtant pour naviguer que j’étais fait
On m’a garni de fanfreluches et de pots de fleurs
Je porte sur mon dos tables et chaises
Aucun marin à la barre, seulement des serveurs
Et des voyageurs factices racontant des fadaises
J’ai des fourmis dans ma quille engourdie
Ma proue oscille tourmentée par des impatiences
Ma coque se ronge de rester à l’écurie
Je rêve de naviguer, je rêve de partances
Ah ! Me détacher de ce quai où je suis prisonnier
Partir sur le fleuve, longer l’histoire pétrifiée de Paris
Aller plus loin, vers Rouen où fourmillent les clochers
Au Havre ! Où je me frotterai aux gros navires surpris
Sentir l’eau clapoter et caresser mes flancs
Voir la Lune dans le fleuve naviguer devant moi
Voir défiler les berges, aller la proue au vent
Avoir des marins pour amis, un capitaine pour roi
Et pourquoi pas la mer ? Pourquoi pas l’océan ?
Plus de berges, plus de limites, que le ciel et l’eau
Les vagues joueraient de moi comme d’un enfant
Et me briseraient enfin en mille morceaux
Paul Obraska
10 commentaires
Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique