• Rencontre improbable

     

    IL  A  FALLU  

      

    Qu’il a fallu de miracles, qu’il a fallu de hasards  

    Pour que ces deux    êtres se soient rencontrés  

    Qu’ils soient  réunis, ici, dans un même regard  

    Qu’ils se touchent  et échangent leurs baisers  

       

    Il a fallu être tirés à la loterie cellulaire  

    Il a fallu être nés dans le même temps  

    Rejetons de générations millénaires  

    Migrantes depuis la nuit des temps  

       

    Leurs ancêtres ont traversé pays et continents  

    Echappés aux massacres et aux destructions  

    Ils ont pu laisser une chaîne de descendants  

    Pour que s’attachent enfin ces deux maillons  

       

    Il a fallu que les deux puissent surmonter  

    Les dangers, les maladies, les accidents  

    Rester toujours en vie pour se rencontrer  

    Il a fallu de la chance pour rester vivant  

       

    Parmi la multitude sur la Terre immense  

    Il a fallu se croiser sous les mêmes cieux  

    L’un aurait pu être retardé, l’autre en avance  

    Ils furent là au même moment, en un même lieu  

       

    Il a fallu se voir  

    Il a fallu se plaire  

    Il a fallu oser  

    Il a fallu s’aimer  

       

    C’est improbable  

    C’est impossible  

    Cette idylle ne l’ont-ils pas rêvée ?  

       

    Paul    Obraska  

       

    Chagall :     « Amants en bleu »  


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  • DSC00248.JPG

     

    LA COMPLAINTE DE LA PENICHE

     

    Près de moi un bateau vient de passer

    Enfilant les ombres humides des ponts

    Chargé jusqu’à la gueule d’une foule ensoleillée

    Les têtes tournantes à l’unisson

     

    Ma carcasse balance à son passage

    Mes chaînes cliquettent attachées au quai

    Je roule mais je reste à terre, bien sage

    C’est pourtant pour naviguer que j’étais fait

     

    On m’a garni de fanfreluches et de pots de fleurs

    Je porte sur mon dos tables et chaises

    Aucun marin à la barre, seulement des serveurs

    Et des voyageurs factices racontant des fadaises

     

    J’ai des fourmis dans ma quille engourdie

    Ma proue oscille tourmentée par des impatiences

    Ma coque se ronge de rester à l’écurie

    Je rêve de naviguer, je rêve de partances

     

    Ah ! Me détacher de ce quai où je suis prisonnier

    Partir sur le fleuve, longer l’histoire pétrifiée de Paris

    Aller plus loin, vers Rouen où fourmillent les clochers

    Au Havre ! Où je me frotterai aux gros navires surpris

     

    Sentir l’eau clapoter et caresser mes flancs

    Voir la Lune dans le fleuve naviguer devant moi

    Voir défiler les berges, aller la proue au vent

    Avoir des marins pour amis, un capitaine pour roi

     

    Et pourquoi pas la mer ? Pourquoi pas l’océan ?

    Plus de berges, plus de limites, que le ciel et l’eau

    Les vagues joueraient de moi comme d’un enfant

    Et me briseraient enfin en mille morceaux

     

    Paul Obraska


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  • chagall87.jpg

     

    C’est un joli cimetière

    Où les tombes bien en rangs

    Comme s’alignent les enfants

    Dans la cour de l’école primaire

    Guettant le signal pour s’éparpiller

    A tous vents en criant leur liberté

     

    Et les morts attendent sagement

    Qu’on vienne un jour les délivrer

    Immobiles sans trop s’impatienter

    L’endroit est joli et ils ont le temps

     

    Ses portes comme des bras écartés

    Ouverts sur le monde des vivants

    Invitent les nouveaux morts à entrer

    A se coucher sans faire de manière

    Les anciens  pousseront leur pierre

    Pour faire une place au nouvel arrivé

     

    Les vivants entrent toujours gênés

    Ils marchent lentement en silence

    Avec respect pour ne pas les réveiller

    Mais ne montrent aucune impatience

    Dans ce joli cimetière pour y rester

     

    Paul Obraska

     

    Marc Chagall « Les portes du cimetière » 1917


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  • manet-tor-ador.jpg

    Manet : « La mort du toréador »

     

    LE DORMEUR DE L’ARENE

     

    C’est une arène ocre bordée d’étables.

    La clameur lentement s’est retirée,

    Comme meurt une vague sur le sable.

    La foule regarde en silence, fascinée.

     

    Le matador allongé sur son échine,

    Tranquille, la tête tournée de côté,

    Une main repose à plat sur sa poitrine,

    Celle qui tenait son épée abandonnée.

     

    Il paraît endormi, il a terminé son rôle,

    La cape au sol comme un drapeau vaincu,

    Une flaque de sang près de son épaule,

     

    Du sang que l’ocre de l’arène a déjà bu.

    Sable sanglant : du jaune et du vermeil,

    Couleurs hispaniques tendues au soleil.

     

    Paul Obraska


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  • Antonello de Messine l'homme qui rit

     

    Un homme disait n’importe quoi

    Il disait qu’il était heureux

    Sans la moindre preuve

    Ça va de soi

    Dire que l’on est heureux !

    Pas étonnant que les gens s’en émeuvent

    L’être peut-être mais le dire !

    Et à des gens qui ne le sont pas

    Ou qui ne parlent que du pire

    Ou sont peut-être heureux

    Mais ne le savent pas

    Ou le cachent bien

    Pour ne pas provoquer le destin

    Montrer que l’on est heureux

    Ce n’est pas malin

    C’est de la méchanceté

    Ça rend les autres un peu malheureux

     

    Alors les gens attendent d’être vengés

    Oh ! Sans se l’avouer

    Ils ne sont pas envieux

    Qu’allez-vous penser !

    Ils guettent seulement l’homme heureux

    Ses yeux rieurs et son sourire

    En espérant le voir s’évanouir

    Ils guettent l’ombre d’une peur

    Ils guettent un petit soupir

    Ils guettent un petit malheur

    Parce que le malheur ça arrive tout le temps

    Alors ils attendent le moment

    Patiemment

    De le plaindre de tout leur cœur

    En écrasant une larme en soupirant

    De bonheur

     

    Paul Obraska

     

    Antonello de Messine : « L’homme qui rit »


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  •  

    Ce matin, le ciel de Paris est gris. Les trottoirs et les chaussées sont noirs, repeints par la pluie. La ville est ensommeillée. Peu de monde dans les rues. L’année s’installe en période digestive. Aux courageux qui passeront par là, je souhaite mes meilleurs vœux pour 2012 et au-delà.

     

     Le premier jour de l’année nouvelle

    l’homme âgé se regarde dans le miroirDali-montre-molle-2.jpg

    Qu’espère-t-il y voir ?

    Objet glacial impudique et rebelle

    le miroir efface l’illusoire

     

    Encore une année de gagnée

    se dit l’homme pour se consoler

    Encore une année de perdue

    se dit l’homme amer

     

    Gagnée ou perdue ?

    La vie est un jeu à qui gagne perd

     

    Et le temps s’écoule

    sur les montres molles de Dali

    et l’on se noie dans sa houle

    et l’homme se dit

    pourquoi lutter à contre-courant ?

    de toute façon on coule

    emporté par le temps

     

    Alors l’homme tire la langue au miroir

    Qu’importe ce qu’il avait été

    Il chasse son fantôme de la mémoire

    et sans hésiter

    prend son rasoir

    sourit à ses restes

    et commence à se raser

    en savourant les petits gestes

    les petits gestes coutumiers

    les petits gestes modestes

    de la vie

     

    Paul Obraska


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  •  

     

    Le divin peintre

     
      

    Nous sommes à l’image du Très-Haut

    Et vice versa.

    Alors comme nous, le Très-Haut se sent parfois morose,

    Lui, en regardant en bas,

    Nous, en regardant en haut.

     

    Un jour, le Très-haut en pensant à autre chose,

    (Il a tellement de choses à penser)

    Mit Son Auguste Doigt dans le ciel d’un bleu profond,

    L’agita distraitement comme on remue son café

    Et fut surpris de créer un céleste tourbillon

    De grosses volutes d’azur attristé.

     

    En voyant ce qu’Il avait créé contre Sa Volonté,

    Il voulut compléter le tableau

    Et demanda à un peintre un peu fou

    De mettre une église dessous.

    Le peintre qui ne vendait aucun tableau,

    Accepta par désespoir cette proposition,

    Mais ne se faisait aucune illusion,

    Le Très-Haut ne s’abaisserait pas à payer son tableau.

    En plus, Il voulait quelque chose de grand et de beau :

    Une basilique ou une cathédrale,

    Et le peintre qui n’en faisait qu’à sa folle tête,

    Fit une église de guingois, toute bancale,

    Avec une modeste paysanne à cornette.

     

    Bien sûr, le Très-Haut n’était pas contre la modestie.

    Un instant décontenancé par le peintre un peu fou,

    Dans Sa Grande Bonté impitoyable, Il ne l’a pas puni.

    Il lui avait déjà tiré l’oreille dans un accès de courroux

    Et le Tout-Puissant ne connaissant pas Sa Puissance,

    Le pavillon de l’oreille était resté dans Sa Divine Main,

    Avant d’échouer dans celle profane d’une prostituée.

    Il y a vraiment des gens qui n’ont pas de chance,

    Même quand on est un peintre divin.

     

    Alors le Très-Haut, dans Sa Grande Bonté

    Permit au peintre un peu fou de se suicider

    Devant une toile inachevée

    Dans un beau champ de blé.

     

    Paul Obraska

     

    Vincent Van Gogh « L’église à Auvers »

    8 commentaires
  • Durer-A.--1516.jpgPour faire un tableau de la vierge et l’enfant

    Il est simple de prendre une belle jeune femme

    Même si elle n’est pas vierge depuis longtemps

    L’important est que son visage exprime son âme

     

    Le plus difficile à trouver est le modèle de l’enfant

    Il doit être sérieux, laid et un peu hydrocéphale

    Avec le visage pénétré d’un adulte pensant

    Et s’il est circoncis ce n’est pas plus mal

     

    Vous voyez qu’un tableau de la vierge et l’enfant

    N’est pas si simple à faire même avec du talent

    Comment trouver un petit enfant qui convienne ?

     

    Les bambins ne sont guère tristes et sont plutôt beaux

    Les hydrocéphales sont soignés dans les hôpitaux

    Hélas ! On ne peut plus peindre à l’ancienne

                                                                                                                                

    Paul Obraska

    Albrecht Dürer


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  • vangogh la nuit

     

     

    LA MAUVAISE EDUCATION

     

    C’est un spectacle muet où les étoiles crépitent

    Et le Cosmos explose dans un silence abyssal.

    Les éclats incandescents roulent comme des pépites

    Dans la noirceur du vide glacial.

    Des confins de l’Univers sans frontières,

    Dans la sidérante immensité sidérale,

    Voyagent leurs éternelles lumières.

     

    Et Dieu dans tout ça ?

    Et le royaume des cieux ?

    Ils sont quelque part. La place ne manque pas.

     

    L’Homme est à l’image de Dieu,

    Dieu est blanc

    Dieu est jaune

    Dieu est noir

    Mais Il n’est pas Femme

    Et Il est barbu.

     

    Aux Cieux, les anges et les vierges sont séparés.

    Le sexe des anges est incertain et la prudence s’impose.

    La volière des vierges s’épuise et doit être préservée,

    Aux suicidés assassins de les consommer.

    Dans l’ennui éternel, le sexe rend moins morose.

     

    Dans l’infini de l’Univers,

    Parmi les myriades de galaxies,

    Dieu ne s’intéresse qu’à la Terre.

    Il écoute chacune des innombrables prières

    Et les appels gratuits qui montent vers lui,

    Il envoie des livres, Il envoie des anges,

    Il a même envoyé Son Fils sur la Terre.

    Les Hommes moins gâtés que pourris,

    L’ont renvoyé, mal en point, en échange.

    Mauvaise éducation.

    Bien que le sacrifice du Fils fût dans Ses intentions,

    Pour les punir, le Père laisse faire le Malin,

    Et S’en lave les mains.

     

    Paul Obraska

     

    Illustration. Van Gogh : « La nuit étoilée, Saint-Rémy »


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  • caravaggio22.jpg

     

    LE GENERAL QUI PERDIT LA TÊTE

     

    Charmante Judith à la peau si blanche

    Au visage si lisse bien qu’un peu dégoûté

    Est-ce bien raisonnable de couper une tranche

    D’un Holopherne séduit par votre beauté

     

    Charmante Judith si innocente

    Décapiter un homme même infâme

    N’est guère un travail de femme

    Les giclées de sang sont si salissantes

     

    Charmante Judith si virginale

    Que de force vous avez déployée

    Pour détacher la tête du général

    Qui même enivré semble hurler

     

    Charmante Judith si volontaire

    Le plus difficile reste à faire

    Les vertèbres sont à peine entamées

    Et la vieille attend tendant son tablier

     

     

    Paul Obraska

     

    Le Caravage « Judith décapitant Holopherne »


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