-
Par Dr WO le 20 Mai 2008 à 16:37
William Turner "Lever de soleil sur le château de Norham"
MATINL'homme ouvrit la fenêtre
Et regarda le matin naître
Etirer ses bras au loin
Ce séducteur de matin
Tenait la terre embrassée
Enfin sa moitié
L'homme en fit autant
Et gloussa doucement
Il était heureusement surpris
D'être encore en vie
La nuit était passée
Et la nuit tout peut arriver
Il s'était encore une fois
Sorti de ce mauvais pas
Ils disent que la nuit c'est du repos
C'est faux
Il se passe des tas de choses la nuit
On est poursuivi
On tombe dans une chute sans fin
On cherche des choses en vain
Les morts surgissent du temps
Ils ne sont jamais contents
Ils viennent vous faire des reproches
Surtout les défunts proches
C'est pire quant le jour est dans la nuit
C'est bien pire l'insomnie
On ne peut pas se réveiller
Soulagé d'avoir rêvé
Et la douleur se retourne dans le lit
Fâchée de ne pas être endormie
Il y a tout de même de bonnes choses dans la nuit
La mort peut arriver sans crier gare
On peut mourir sans le savoir
Sans attendre la peur au ventre
Que la mort frappe et entre
En déchirant le corps à sa façon
La nuit on meurt par distraction
En pensant à autre chose
C'est une bonne chose
Alors l'homme regarde le matin se lever
Un matin de plus c'est toujours ça de gagné
Il se dit qu'il faut en profiter
Ce sera peut-être le dernier
Et il va déjeuner
En murmurant ces deux vers
De Prévert :
« Et j'égorge en plein soleil
Les plus beaux rêves de mes nuits »
Paul Obraska
3 commentaires -
Par Dr WO le 19 Mai 2008 à 10:00
Henry Fuseli "Le cauchemar"
ART DE NUITRicanants, les cauchemars surgissent la nuit
Créatures souterraines soudain libérées
Sarabande bancale dans la tête endormie
De chimères grimaçantes d'images oubliées
Le cerveau dégorge une troupe de tarasques
Et sort de la poussière du grenier à souvenirs
Des tableaux fous et des collages fantasques
Le passé recomposé et les peurs de l'avenir
Le sommeil réveille en nous l'artiste psychopathe
Qui suture de travers les déchirures du passé
En fresques inachevées aux bouts disparates
Théâtre d'épouvante privé pour un seul invité
Œuvres brûlantes la nuit, refroidies au matin
Donnant un goût de cendres au lendemain
Paul Obraska
2 commentaires -
Par Dr WO le 2 Mai 2008 à 12:05
Paul Cezanne "Jeune homme avec un crâne"
CRÂNESur la table trône une boîte crânienne.
La jeunesse est le temps tourmenté
Où un crâne sert de presse-papiers
Pour penser à la mort encore lointaine.
Un crâne dénudé - funeste miroir -
N'orne pas la table des vieillards
Hantés par leur mort prochaine.
Boîte nettoyée par la putréfaction,
Elle avait jadis contenu une cervelle :
Entrelacs serrés de fils à profusion,
Parcourus de bouffées d'étincelles,
Distillant entre eux des sucs subtils,
Pour crisper le corps et accoucher la pensée.
Coquille vidée, devenue inutile,
L'air s'est installé par les trous désertés
A la place d'un savoir patiemment acquis,
D'émotions, de désirs, d'images gravées,
D'un monde imaginaire et de regrets aussi.
Devant le reste dérobé d'un anonyme trépas,
Ton jeune cerveau rêve dans sa boîte crânienne,
La mort te fascine mais les questions sont vaines :
Personne n'y répondra.
Paul Obraska
3 commentaires -
Par Dr WO le 27 Avril 2008 à 10:16
Edouard Vuillard "Deux écoliers, jardins publics"
MERVEILLESBulles de savon transparentes
Globes aux lumières d'arc-en-ciel
Danse d'essaims d'une grâce lente
Soufflés en un fugace carrousel
Kaléidoscope aux mille merveilles
Créations tournantes du hasard
Figures à géométrie sans pareille
Art de l'instant évanoui au regard
Cerf-volant flottant haut dans le vent
Carcasse multicolore avide de liberté
Retenue par la main ferme de l'enfant
Riant au ciel, fier de son autorité
Barbe à papa au toucher de laine
Blancheur fondante dans la bouche
Brandie comme un sceptre de reine
Pour que personne ne la touche
Barbe à papa...Barbe à papa...
Papa...Ai-je appelé quelqu'un par ce nom ?
Rappelle-toi...Voyons...
Je ne m'en souviens pas.
Paul Obraska
LES ENFANTS RÊVENT-ILS ENCORE ?Devant des boîtes de conserve en fer
Rêvent-ils d'une imprenable forteresse ?
Les hautes tours découpées sur un ciel lunaire
Où sont prisonniers un roi et une princesse
Qu'ils délivreront des hordes guerrières
Inventent-ils des monstres inconnus ?
Pour se prouver qu'ils n'ont pas peur
Les monstres seront bien sûr vaincus
Par l'enfant intrépide devenu gladiateur
Rêvent-ils devant un long bout de bois ?
Que par magie ils transformeront en galère
Lancée à la poursuite des méchants aux abois
Qui seront capturés par les enfants corsaires
Leurs rêves sont-ils déjà préfabriqués ?
Par le prêt-à-rêver des adultes commerçants
Par les boîtes électroniques d'images animées
Devant les lutins tout faits virevoltant sur l'écran
Devant des monstres de plastique déjà imaginés
Par des aventures que d'autres ont inventées
Les mêmes pour les enfants du monde entier
Enfin pour les enfants de ceux qui peuvent payer
Partout les boîtes de rêves industriels s'achètent
Pour gaver des enfants capables de tout imaginer
Eux qui ont des rêves pleins la tête
Des rêves à eux qui restent coincés
Par des machines sans vie
Alors laissons-les rêver
Ces petits
En liberté
Paul Obraska
RENTREEEtre l'enfant à la rentrée de l'école
Neige quadrillée des feuilles de cahier
Pouvoir nihiliste des gommes molles
Odeur du papier que personne n'a feuilleté
Pages vierges prêtes pour la défloration
Billes à encre, avortons des plumes d'antan
Savoir enfermé dans les coffres de carton
Boîtes à surprises à défaire lentement
Crayons neufs à tailler rondement
Petits outils pour apprentis savants
Sacs de savoir à porter sur le dos
Plus on est petit plus on les veut gros
Le passé s'efface pour tout recommencer
Promesse de prouesses à venir
Tout est possible, tout est immaculé
Les amitiés perdues sont des souvenirs
Les amitiés futures sont à conquérir
Douce anxiété de la nouvelle année
Paul Obraska
JEU DE TÊTES
Dans la clarté incertaine du crépuscule
Leur tête aussi ronde que le ballon
Un sextuor de petits funambules
Jouent leur partie sur le gazon
Dans l'aquarium vert
Six petits poissons colorés
Sous les trous de lumière
S'amusent à se heurter
Dans l'herbe féconde
Une poignée de fleurs éparpillées
Tiges grimpantes à têtes rondes
Plantes sauvages, fraîchement nées
De loin je vis avec eux
Les rires et les cris
Leur passion du jeu
Leurs courses sans répit
Et dans le miroir
L'enfant que je suis
S'étonne d'y voir
Une tête blanchie
Paul Obraska
3 commentaires -
Par Dr WO le 5 Avril 2008 à 17:18
Vincent Van Gogh "Chaussures"
LES PREMIERS PASQui se souvient de ses premiers pas ?
Les premiers pas sur la Terre
Des pas libres et solitaires
Pour la première fois
Eprouver l'ancestral désir
De vaincre la pesanteur
Etait-ce un plaisir ?
Etait-ce une peur ?
Pas le moindre petit souvenir
De la marche balancée de canard
De l'aventure tentée au hasard
Les bras ouverts pour saisir
Le monde entier devant soi
Qui se souvient de la persévérance
A refaire sans cesse les mêmes pas ?
De cette volonté et de la constance
Que beaucoup ne retrouveront pas
Peut-être les retrouveront-ils
Plus tard au seuil du trépas
Quand ils affronteront le péril
De leurs derniers pas
Paul Obraska
Berthe Morisot "Sur le balcon"
PETITE FILLELe monde est à toi, petite fille
Le monde entier est à tes pieds
Du balcon, les mains sur la grille
Tu le regardes de haut, émerveillée
Tu le vois immense et mystérieux
Des trésors fabuleux à découvrir
De belles fées, des lutins facétieux
Et si l'inconnu te fait un peu frémir
Cette peur elle-même est délicieuse
Tu ne risques rien, ta mère est à côté
Mais elle te regarde un peu soucieuse
Elle voit comme toi ce monde de beautés
Si elle ne croit plus aux fées et aux lutins
Les monstres, eux, existent et sont humains
Paul Obraska
votre commentaire -
Par Dr WO le 25 Mars 2008 à 10:40
Gustav Klimt "Espérance"
ESPERANCELa femme dresse son long corps frêle,
La chevelure rousse comme une crinière de lion
Mange son visage amaigri d'une pâleur mortelle.
Elle nous regarde de ses grands yeux ronds.
Un regard de surprise et de mélancolie,
Elle voit son corps mince et fragile déformé
Par cette protubérance qui sans cesse grossit
Et que son ventre distendu parvient à supporter.
Cet œuf étranger fait partie d'elle-même,
Il se nourrit de son corps malgré son vouloir,
Mais déjà, sans le connaître, elle l'aime.
Sans elle, il ne serait qu'un espoir.
Un corps noir comme un têtard géant
S'enroule autour de la belle dénudée.
Les dorures d'une draperie à ses flancs,
Son pubis roux sur voile céleste étoilé.
Elle se croit seule la femme innocente.
Pourtant, derrière, elle est surveillée
Par des faces d'homme inquiétantes,
Expriment-elles l'envie ou l'hostilité ?
Ces mâles attendent-ils l'enfant à naître ?
Voudront-ils de suite l'emporter ?
Pour en faire un soldat peut-être.
Sur elle, un crâne de squelette est penché.
Que la femme ne se fasse pas d'illusion :
L'enfant qu'elle porte sera peut-être mort-né,
Ou naîtra pour mourir de toute façon.
Paul Obraska
Berthe Morisot "Le berceau"
NAISSANCEDe qui est l'enfant né ?
Peut-être de deux corps
De sexes opposés qui se sont aimés
Ou d'un père à la semence froide déjà mort
Ou d'un père vivant inconnu à la semence vendue
Ou d'un père méconnu qui s'est enfui en semant
Ou d'une mère partie en cachette inconnue
En laissant à d'autres son enfant
Ou du corps prêté d'une mère
A un couple de pères
Où est né l'enfant ?
Dans une femme qui le voulait pour soi
Sur la paillasse d'un laboratoire austère
Dans une matrice saine louée pour neuf mois
Ou dans une matrice retraitée de grand-mère
Que l'on soit voulu ou non
Et qu'importe comment
Il est presque toujours bon
D'être sorti par hasard du néant
Même si on y retourne de toute façon
Paul Obraska
6 commentaires -
Par Dr WO le 11 Mars 2008 à 09:28
Gustav Klimt "Le baiser"DONNE-MOI UN BAISERSous les cubes de béton métalliqueDans le flot des passants solitairesSous le vol circulaire des oiseauxDans les artifices bucoliques des jardinsSous le lambris douteux des bistrotsDans l’euphorie complice du vinSous le halot porcelaine de la luneDans la tiédeur de nos haleinesSous les porches à l’ombre opportuneDans la cage ouverte des escaliersSous les poutres enlacées des garesDans l’attente désœuvrée des départsSous les tresses défaites des bocagesDans l’odeur verte de l’herbe coupéeSous les mèches folles des nuagesDans la blessure ouverte des sillonsSous les larmes glacées des auventsDans la pureté des flocons blancsSous la chaleur lumineuse de l’étéDans la fraîcheur du sable humideSous la traîne aurifère du couchantDans l’écume haletante de la merSous la pluie qui pleure sur ton visageDans les risées du vent volageDonne-moi un baiser
Paul Obraska
René Magritte "Les amoureux"DEREGLEMENT DES SENSIls s’appartiennent les amantsL’un contre l’autre, joue contre jouePas aveugles mais malvoyantsLa tête dans le sac de l’amour fouLa maigre osseuse est élancéeLa dépensière a de l’éléganceLa grosse de la voluptéL’obèse de la prestanceLe violent de la virilitéL’entêté de la constanceEt la séduction excuse l’infidélitéLes amants après avoir été aveuglésSortent du sac et deviennent sourdsIls n’écoutent que ce qu’ils veulent entendreIls n’entendent que les mots d’amourQue les mots consentis, les mots tendresIls n’entendent pas les mots amersLes mots d’ennui, les mots de colèreEt les amants finissent par ne plus s’entendrePar ne plus se voirLeur amour n’a plus de sensIl n’a plus d’espoirEt ils remettent le sac pour l’indifférence
Paul Obraska
3 commentaires -
Par Dr WO le 2 Mars 2008 à 17:47
LA PREMIERE FOISTe souviens-tu de la première fois?La première fois où je t’ai vueEntourée d’inconnusJe ne voyais que toiS’il me semblait te connaître déjàTu ne m’avais pas aperçuPassant anonyme dans la rueNotre rencontre aurait pu s’arrêter làDe loin je t’ai croisée par hasardSans voir l’eau verte de tes yeuxJe t’embrassais du regardEt le vent caressait le blond de tes cheveuxJe rêvais de faire de toi ma compagneJ’ai longtemps gardé ce souvenirPour que le rêve m’accompagneEt que rien ne m’en détourneCe rêve est devenu notre avenirIl est aussi devenu notre passéQuel que soit le côté où je me tourneIl n’y a rien à regretter
Paul Obraska
VISAGEJe vois ton visage dans la ramureJe le porte toujours en moiComme une blessureQui ne guérit pasJe vois ton visageSur celui des femmes croiséesJe me détourne à leur passageSans trahir ma fidélitéObsessionMonde limitéPar un seul horizonPassionBlessure aiméeQue l’on ne peut refermer
Paul Obraska
Félix Vallotton "Misia à sa coiffeuse"
C’EST IMPORTANTSérieuseTu regardes le miroirC’est importantTu brosses tes cilsLa dentelle des yeuxTu mets un peu de brumeAutour du ciel de tes yeuxTu effleures d’un voile clairTon visage offert à la lumièreTu brosses tes cheveuxEn penchant la têteD’un côté puis de l’autrePuis tu me regardesSérieuseComme tu regardais ton miroirEt je dis : « tu es belle »C’est importantAlors tu souris
Paul Obraska
3 commentaires -
Par Dr WO le 26 Février 2008 à 19:00
Klimt " La vierge"
ÊTRE LE PREMIER
Les hommes se donnent bien du mal
Pour être le premier
Et inscrire leur nom dans les annales
Des noms pour la plupart oubliés
Le premier à découvrir une terreDéjà habitée
Pour y planter son drapeau
Et commencer une guerre
Le premier à grimper sur un pic
Pour redescendre aussitôt
Le premier à courir aussi vite
Avant d’être dépassé
Le premier à traverser les mers
Vent debout, vent arrière
A l’endroit, à l’envers
Avant d’être repêché
Il y a ceux qui ne seront jamais premiers
Ni sur terre
Ni sur les mers
Ni dans les cieux
Mais qui exigent de l’être au moins une fois
Pour ces prétentieux
Qui ne tentent aucun exploit
Il y a la vierge à déflorer
On est le premier que l’on peut
Paul Obraska
Joan Miro "La naissance du monde"
BALLONIl arrivera qu’un jour ou une nuit
Je ne sais où, je ne sais comment
Je serai banni de cette vie
Pour retourner au néant
Et le monde ne sera plus
Le monde est fragile, il tient dans le creux de ma main
Je l’aurai retenu comme j’ai pu
En vain
Lorsque ma main s’ouvrira comme une fleur fanée
Le monde s’échappera d’un coup dans le néant
Libéré
Comme le ballon lâché par l’enfant
Mais lui le voit lentement s’éloigner
Il a le temps.
Paul Obraska
Van Gogh "La nuit étoilée, Saint-Rémy"PARTICULES
Quelqu’un regarde-t-il Par les grandes fenêtres étoilées Le sort imbécile Des particules condamnées ? Agitées par un mouvement brownien Maintenues en vie par leur agitation Petites particules au destin incertain Des paires de particules que le hasard mêle Provoquent entre elles de petites collisions D’où naissent des particules nouvelles Attirées de temps en temps par un aimant Elles s’apprêtent aux grandes explosions Et se heurtent en de fols embrasements Laissant derrière elles une fugace lueur Les particules disparaissent dans le néant Par les grandes fenêtres étoilées Quelqu’un aime-t-il voir la douleur Des particules condamnées ?
Paul Obraska
COQUILLAGEC’est un coquillage aux murs nacrés
Spirale de douces courbes érotiques
Comme un pas de vis pour entrer
Dans les profondeurs prolifiques
C’est un coquillage couleur chair
Serti dans un fourreau de dentelle
Pour séduire les futurs locataires
La coquille exposée se fait belle
Et les hommes de passage
Sont invités à monter l’escalier
A ouvrir les valves du coquillage
Mais ils ne doivent pas s’attarder
Pour laisser à d’autres arrivages
Le plaisir triste de le consommer
Paul Obraska
Picabia "Idylle"IL A FALLUQu’il a fallu de miracles, qu’il a fallu de hasards
Pour que ces deux êtres se soient rencontrés
Qu’ils soient réunis, ici, dans un même regard
Qu’ils se touchent et échangent leurs baisers
Il a fallu être tirés à la loterie cellulaire
Il a fallu être nés dans le même temps
Rejetons de générations millénaires
Migrantes depuis la nuit des temps
Leurs ancêtres ont traversé pays et continents
Echappés aux massacres et aux destructions
Ils ont pu laisser une chaîne de descendants
Pour que s’attachent enfin ces deux maillons
Il a fallu que les deux puissent surmonter
Les dangers, les maladies, les accidents
Rester toujours en vie pour se rencontrer
Il a fallu de la chance pour rester vivant
Parmi la multitude sur la Terre immense
Il a fallu se croiser sous les mêmes cieux
L’un aurait pu être retardé, l’autre en avance
Ils furent là au même moment, en un même lieu
Il a fallu se voir
Il a fallu se plaire
Il a fallu oser
Il a fallu s’aimer
C’est improbable
C’est impossible
Cette idylle ne l’ont-ils pas rêvée ?
Paul Obraska
1 commentaire
Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique