• René Magritte « Golconde »

     

    UNE VIE TRANQUILLE

     

    Sur les toits rouges et les murs gris

    Il pleut des hommes dans les rues

    Semblables aux gouttes de pluie

    Gouttes noires toutes vêtues

     

    Vêtues de vestes et pantalons

    Chemises cravates et pardessus

    Et coiffées de chapeaux melon

     

    Une pluie d’hommes allant s’employer

    Certains une serviette serrée sous le bras

    Du travail amené chez soi pour couper

    Les plaintes familiales égrenées au repas

     

    Ils sont ennuyeux comme la pluie

    Leur journée ne les intéresse pas

    Et c’est ainsi que passe leur vie

     

    En descendant ils pensent à la retraite

    Qu’ils préparent soigneusement

    Ils pourront regarder par la fenêtre

    Tomber la pluie mélancoliquement



    Paul Obraska


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  • Gustav Klimt « Les trois âges de la femme »

     

    LE COMPAGNON INFIDELE

     

    Le corps n’en fait qu’à sa caboche

    Il suit son bonhomme de chemin

    Il fut un compagnon proche

    En bonne forme chaque matin

    Et plutôt agréable à fréquenter

     

    Mais il se met peu à peu à s’éloigner

    En faisant trop parler de lui

    On traîne un compagnon étranger

    Qui vient nous gâcher la vie

     

    On le voit chaque jour changer

    Il perd des petits bouts avec les ans

    Des cheveux gris et des dents cariés

    Son habit de peau devient trop grand

    Il fait des plis, tout fripé et taché

     

    Il s’incline un peu pour marcher

    Il craque comme un sarment desséché

    Et il s’en va un jour ou une nuit

    Au moment où on a besoin de lui

     

     


    Paul Obraska



    Gustav Klimt « Dame avec chapeau et fourrure »

     

     


    LA GARCE

     

    Plus je vieillis, plus j’aime la vie.

    Mais la vie est une amante

    Qui vous quitte quand on vieillit.

    Son départ fatal me hante.

     

    Je l’ai prise au berceau.

    Au début la différence d’âge

    Ne se voyait pas trop,

    Je la préservais des orages.

     

    Mais voilà, la vie ne change pas,

    Et moi j’ai peu à peu changé.

    La vie ne connait pas le trépas,

    Le mien est programmé.

     

    Alors la garce va me quitter.

    J’espère qu’elle le fera en douceur,

    Nous avons été ensemble tant d’années.

    Je ne sais pas, elle a tant de froideur.

     

    Volage, elle ira vers d’autres amants,

    Elle les prendra au berceau comme moi,

    Mais ses amants n’auront qu’un temps,

    J’espère que la garce me regrettera.


    Paul Obraska


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  •  

    AINSI VA LA VIE XVIII


    Edward Munch "Anxiété"

    ANXIETE

     

    La foule silencieuse se presse tendue 

    Les visages égarés restent dans l’attente

    Les yeux écarquillés fixés sur l’inconnu

     

    Derrière roulent des vagues menaçantes

    Seuls les éléments morts restent mouvants

    Sous un ciel rouge aux volutes oppressantes

     

    La foule pétrifiée attend l’événement

    Elle a tenté en vain d’oublier sa venue

    Mais tous savent que la chose viendra

    Et ils sont tous là

    Dans leur belle tenue

     

    L’anxiété habite la foule qui attend

    Elle ne la quittera jamais

    Même si rien ne survient pour un temps

    Les hommes sont ainsi faits

     

    Une bête traquée se tapit dans leurs têtes

    Et ils vivent leur vie aux abois

    Même dans le rire des fêtes

    Même dans les plus beaux émois

    Ils restent à chaque instant

    Des poursuivis sans poursuivants

     

     

    Paul Obraska

     


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  • Salvador Dali « Persistance de la mémoire »

     

     

     JOUR DE L’AN

     

    Le premier jour de l’année nouvelle

    l’homme se regarde dans le miroir

    Qu’espère-t-il y voir ?

    Objet glacial impudique et rebelle

    le miroir efface l’illusoire

     

    Encore une année de gagnée

    se dit l’homme pour se consoler

    Encore une année de perdue

    se dit l’homme amer

     

    Gagnée ou perdue ?

    La vie est un jeu à qui gagne perd

     

    Et le temps s’écoule

    sur les montres molles de Dali

    et l’on se noie dans sa houle

    et l’homme se dit

    pourquoi lutter à contre-courant ?

    de toute façon on coule

    emporté par le temps

     

    Alors l’homme tire la langue au miroir

    Qu’importe ce qu’il avait été

    Il chasse son fantôme de la mémoire

    et sans hésiter

    prend son rasoir

    sourit à ses restes

    et commence à se raser

    en savourant les petits gestes

    les petits gestes coutumiers

    les petits gestes modestes

    de la vie

     

     

    Paul Obraska


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  • Vincent Van Gogh « Vieil homme affligé »

     

     

    EVE EST PARTIE

     

    Eve est partie.

    Il craint la venue de la nuit.

    Le couvercle relevé sur le clavier

    Dévoile les touches mortes du piano

    Que personne ne fera plus vibrer.

    Les pétales s’écaillent sur le plancher,

    Plus personne n’apporte leur eau.

     

    Eve est partie.

    Il est échoué, assis le dos courbé,

    La tête dans ses mains devenues inutiles,

    Ressassant des pensées puériles,

    Comme un enfant abandonné.

     

    Eve est partie.

    Il reste incrédule, l’esprit à la dérive.

    Ses yeux humides refusent la clarté,

    Il les protège de la lumière trop vive,

    Ce soir la lune  dans l’obscurité,

    Posera sa pâleur sur son visage immobile.

     

    Dans sa tête les images du passé défilent.

    C’est impossible, mais Eve n’est plus là.

    Dans ce soudain silence, il reste assis.

    Malgré lui, il guette encore ses pas.

    A quoi bon se lever, puisqu’elle est partie.

     

     

    Paul Obraska

     


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  •  

      Edward Munch "La danse de la vie"

     

     

    J’AI DANSE

     

    J’ai dansé avec le hasard

    C’est lui qui mène toujours la danse

    Et je suis ses pas dans le brouillard

     

    J’ai dansé avec la beauté

    Nous avons fait connaissance

    Sa vue m’a toujours enchanté

     

    J’ai dansé avec l’amour

    Corps confondus, déboîtés périlleux

    Chacun mena la danse à son tour

     

    J’ai dansé avec la tendresse

    J’aurais sans doute pu faire mieux

    J’y songe parfois avec tristesse

     

    J’ai dansé avec la joie

    Je m’en souviens en souriant

    Et j’aimerais retrouver ses pas

     

    J’ai dansé avec la croyance

    Avec l’ironie crispée du mécréant

    Je l’ai toujours tenue à distance

     

    J’ai dansé avec le pouvoir

    Sa séduction m’a laissé froid

    Ses passes ont de quoi décevoir

     

    J’ai dansé avec la stupidité

    Toujours satisfaite de soi

    Difficile de lui apprendre à danser

     

    J’ai dansé avec l’injustice

    Impossible de s’en débarrasser

    La voir devant moi est un supplice

     

    J’ai dansé avec la souffrance

    Je l’ai sentie près de moi sans la soulager

    Et sans supporter mon impuissance

     

    J’ai dansé avec la barbarie

    Sa danse folle n’est jamais épuisée

    Son spectacle d’horreur me terrifie

     

    J’ai dansé avec la peur

    La garce ne m’a jamais quitté

    Elle gâche les moments de bonheur

     

    J’ai dansé avec des fantômes

    Mes bras tentent en vain de les entourer

    Je ne serre que le vide dans mes paumes

     

    Paul Obraska


    10 commentaires
  • Marc Chagall "Les amants en bleu"


    SAISONS

     

    Passent les saisons, toujours les mêmes

    Chacune a sa couleur pour ceux qui s'aiment

     

    L'explosion verte du printemps est passée

    Où notre amour a failli se briser

     

    L'incendie jaune de l'été est passé

    Où notre amour s'est illuminé

     

    Les braises rousses de l'automne sont passées

    Où notre amour s'est attisé

     

    Le froid gris de l'hiver est arrivé

    Dans nos cœurs il fait toujours beau

    L'un contre l'autre nous restons serrés

    Pour nous tenir chaud

     

    Passent les saisons, toujours les mêmes

    Chacune a sa couleur pour ceux qui s'aiment


    Paul Obraska 



    Marc Chagall "Les amants en gris"


    TANGO

     

    Un couple clair s'en va dans la nuit

    A pas lents. Le temps importe peu

    L'essentiel est d'être unis

    L'essentiel est d'être deux

     

    Un couple clair s'en va dans la nuit

    Leur histoire confondue

    Des pas de tango le temps d'une vie

    L'un par l'autre soutenu

     

    Depuis longtemps ils suivent la mesure

    Même si les faux pas ne manquent pas

    L'un rattrape l'autre et le rassure

    Chacun ouvre pour l'autre ses bras

     

    Chacun craint pour l'autre que la musique s'arrête

    Eux ne sont pas las de danser ce tango

    Chaque pas ensemble reste une fête

    La danse cessera, ils ne le savent que trop

     

    En attendant, ils dansent toujours unis

    Un couple clair s'en va dans la nuit

    Paul Obraska


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  •  

    AINSI VA LA VIE XIII


    Gustav Klimt "Tête d'un homme couché se supportant lui-même"


    SE SUPPORTER

     

    Ainsi suis-je né

    Ainsi suis-je fais

    Il est trop tard pour protester

    Et se plaindre à qui d'être ainsi fait ?

    Et puis on se console comme on peut

    Ça aurait pu être pire

    Ça aurait pu être mieux

    Alors on prend l'habitude

    On émousse les angles

    On cache les creux

    On joue à être quelqu'un de bien

    Parfois ça marche

    Parfois ça marche pas

    Surtout avec les siens

    Alors il faut se supporter

    Et que les autres vous supportent

    Comme je suis né

    Comme je suis fais

    Et on devient insupportable

    Comme si les autres étaient responsables

    De ce que l'on est

    Et l'on devient vieux

    Avec le temps on finit par s'aimer

    Un peu

    Un peu tard

    Au moment de se quitter


    Paul Obraska


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  • Pierre Bonnard "La pièce du petit déjeuner"

    PETIT DEJEUNER

     

    Plaisir du petit déjeuner

    Dans la lumière d'un jardin

    Devant les offrandes du matin

    Le soleil encore bas derrière les ramées

    Ourle de lumière la dentelure des feuilles

     

    Les oiseaux prudents nous surveillent de l'œil

    Les plus hardis viennent chaparder sous notre nez

    En s'approchant sur leurs pattes graciles par petits bonds

    Pour picorer goulûment les miettes de pain laissées à l'abandon

     

    Brusquement les oiseaux interrompent leur repas

    Et prennent leur vol, effrayés par des voix d'au-delà

    Qui surgissent libérées d'une boîte sur le napperon

    Pour déverser par les ondes sur le seuil du matin

    Un flot ininterrompu de mauvaises nouvelles

     

    C'est ainsi que le monde vide ses poubelles

    Sur la table garnie de fruits et de pain

    Sur la lumière d'un nouveau matin

    Et sur nos pauvres cervelles

    Paul Obraska


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  • William Turner "Lever de soleil sur le château de Norham"


    MATIN

     

    L'homme ouvrit la fenêtre

    Et regarda le matin naître

    Etirer ses bras au loin

    Ce séducteur de matin

    Tenait la terre embrassée

    Enfin sa moitié

    L'homme en fit autant

    Et gloussa doucement

    Il était heureusement surpris

    D'être encore en vie

     

    La nuit était passée

    Et la nuit tout peut arriver

    Il s'était encore une fois

    Sorti de ce mauvais pas

    Ils disent que la nuit c'est du repos

    C'est faux

    Il se passe des tas de choses la nuit

    On est poursuivi

    On tombe dans une chute sans fin

    On cherche des choses en vain

    Les morts surgissent du temps

    Ils ne sont jamais contents

    Ils viennent vous faire des reproches

    Surtout les défunts proches

     

    C'est pire quant le jour est dans la nuit

    C'est bien pire l'insomnie

    On ne peut pas se réveiller

    Soulagé d'avoir rêvé

    Et la douleur se retourne dans le lit

    Fâchée de ne pas être endormie

     

    Il y a tout de même de bonnes choses dans la nuit

    La mort peut arriver sans crier gare

    On peut mourir sans le savoir

    Sans attendre la peur au ventre

    Que la mort frappe et entre

    En déchirant le corps à sa façon

    La nuit on meurt par distraction

    En pensant à autre chose

    C'est une bonne chose

     

    Alors l'homme regarde le matin se lever

    Un matin de plus c'est toujours ça de gagné

    Il se dit qu'il faut en profiter

    Ce sera peut-être le dernier

    Et il va déjeuner

    En murmurant ces deux vers

    De Prévert :

    « Et j'égorge en plein soleil

    Les plus beaux rêves de mes nuits »


    Paul Obraska


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