• 7. La médecine est un spectacle

                                                                     

    C’est une évidence. Elle l’était un peu dans le passé, elle l’est beaucoup à présent. La médecine est un spectacle dont les découvertes et les techniques sont le décor, les médecins-vedettes les acteurs et dont nous sommes tous, tôt ou tard, les figurants. C’est le plus vaste théâtre du monde sans jamais de relâche.
     
    Le cirque
    Au Moyen Age et jusqu’au XVIIIe siècle, les tailleurs de vessie pour la pierre, les oculistes pour la cataracte se déplaçaient de ville en ville. Etant donné la fréquence des mauvais résultats, ils avaient intérêt à ne pas faire de vieux os sur place. Un grand nombre de charlatans, pas toujours malhabiles, et les vendeurs d’orviétan et collyres miraculeux sur les foires se mêlaient à eux.
    De tous temps les médecins n’ont jamais hésité à vanter leurs mérites pour attirer la clientèle, parfois en employant tous les moyens publicitaires des charlatans. Un sommet a été atteint au XVIIIe siècle par John Taylor, ophtalmologiste – on disait oculiste - anglais qui allait de ville en ville dans toute l’Europe pour opérer de la cataracte, nobles et bourgeois. Il se faisait annoncer par une campagne de tracts, de crieurs et arrivait dans une calèche bardée d’yeux peints et d’affiches vantant son habileté. Chirurgien habile, il l’était, mais aussi vantard. Il prétendait avoir opéré le roi d’Angleterre et quelques autres, le Pape, et même d’avoir rendu la vue à Jean-Sébastien Bach dans sa 88ème année alors que celui-ci était mort aveugle à 65 ans. De nos jours un tel comportement, en principe interdit par la déontologie et réprimé par l’Ordre, reste courant, notamment par l’intermédiaire de la télévision et des nombreux journaux consacrés à la « santé ».
                                                                                   
    Les fous
    L’asile d’aliénés de Bedlam à Londres et celui de la Salpêtrière à Paris étaient des lieux que l’on visitait pour se divertir. En plein XVIIIème, le siècle des lumières, on s’y rendait avec les enfants pour voir des hommes et des femmes en proie au délire, exhibés dans des cages ou enchaînés. Il a fallu attendre la Révolution Française et Jean-Baptiste Pussin, jeune ouvrier tanneur, hospitalisé à la fin du XVIIIe siècle à Bicêtre, et devenu par la suite surveillant qui, partisan de traiter les malades mentaux par la douceur, convainquit Philippe Pinel, en 1793, et par lui le gouvernement révolutionnaire, d’enlever leurs chaînes, à Bicêtre puis à la Salpêtrière,
                                                                                   
    Les malades
    Sans remonter si loin, il y a quelques décennies, les malades étaient hospitalisés dans de vastes salles communes contenant une cinquantaine de lits, avec au centre une grande table où les infirmières bavardaient en préparant les traitements. Un total manque d’intimité où les malades ne pouvant se lever devaient faire leurs besoins sous le regard des autres, où ils étaient examinés lors de « La visite » du « Patron » devant un cortège d’assistants et d’étudiants. L’interne présentait «  le cas » en parlant du malade devant lui à la troisième personne et en lui tournant le dos. On évoquait parfois l’autopsie attendue pour confirmer le diagnostic en usant d’euphémismes qui ne trompaient personne. On passait rapidement devant un agonisant sommairement isolé par un paravent.
    Les consultations étaient souvent publiques et jeunes étudiants nous avons assisté à des scènes scandaleuses. Dans le service de rhumatologie de l’hôpital Lariboisière, on demanda à une vieille dame de se dévêtir complètement dans un déshabilloir ; ceci étant fait, la porte opposée s’ouvrit et la patiente entièrement nue se retrouva, comme le taureau dans l’arène, au pied des gradins garnis de blouses blanches ; elle s’évanouit, seule issue possible. A l’Hôtel-Dieu, le chef du service de chirurgie fit un toucher rectal à un homme à quatre pattes devant une centaine de jeunes gens, quelques - uns outrés d’y assister.
                                                                           
    Après 1970 les conditions matérielles d’hospitalisation se sont considérablement améliorées de même que le comportement des médecins. Mais paradoxalement c’est aujourd’hui, alors que le droit à la vérité est devenu un dogme, que la situation se détériore à nouveau, notamment dans les services d’urgence. Où est le respect de la dignité et de la liberté pour des hommes et des femmes laissés sur des brancards, dans des couloirs, attendant parfois des heures avant d’être examinés, soulagés et conduits dans un lit décent en raison du manque de personnel et de l’encombrement des services dû à la fermeture excessive et irréfléchie des lits ? Plus le nombre de malades augmente plus on ferme des lits, en partant du principe que supprimer un lit c’est supprimer un malade. En définitive ce principe risque de s’avérer exact. La hantise a toujours été de sortir de l’hôpital, s’y ajoute de plus en plus celle de pouvoir y entrer.
                                                                                   
    Les médecins
    Il y a des médecins préposés à l’interview comme il y en a de garde. Les interviews télévisées les plus spectaculaires sont celles que l’on fait sur le lieu de travail. Blouse blanche et stéthoscope sont souhaitables pour les médecins et la casaque stérile est indispensable pour que les chirurgiens puissent répondre aux questions qu’on leur pose. Quant à l’urgentiste, c’est un médecin largement exploité par la télévision. L’inverse est également vrai
                                                                                    
    Les actes médicaux
    Les actes médicaux eux-mêmes constituent un spectacle de choix.
    Lorsque les autopsies furent permises elles se déroulaient comme un spectacle, « La leçon d’anatomie » de Rembrandt en est un exemple. Les interventions chirurgicales ne manquaient pas de spectateurs directs. A présent les téléspectateurs ont droit à un bout des grandes premières même si ce sont parfois les dernières. Chaque nouveauté est montée en épingle. Il est rare qu’un journal télévisé n’ait pas son scoop médical. Les journaux, les périodiques sont envahis par la médecine, en vantant un jour ses mérites et en se régalant le lendemain de ses insuffisances ou de ses erreurs. Le public est évidemment intéressé, car il est le sujet potentiel du spectacle[1]
    Les médecins participent avec plaisir à cette course médiatique. Combien de traitements mirifiques (notamment contre le sida), basés sur quelques cas et suivis quelque temps ont donné lieu à des déclarations hâtives et à une existence éphémère. Histoire pour les promoteurs de faire enregistrer leur initiative avant l’échec, de parler et de se montrer, préférant ne pas prendre de recul pour mieux sauter dans le bain médiatique.
                                                                                  
    Les maladies
    La maladie est toujours vécue comme individuelle même au milieu d’une épidémie. La souffrance n’est ressentie que par soi et personne n’endure la souffrance de l’autre même atteint d’un mal semblable. Mais l’isolement a fait place au collectif. Les associations de malades se multiplient, leur nombre en France est passé en vingt ans de 100 à 4500 en l’an 2000[2]. Configuration qui confère au malade une personnalité, un statut particulier dans la société[3] à l’origine de possibles revendications, sources de manifestations de rue à l’égal des syndicats, et justifiant de véritables spectacles où l’on expose les malades comme des héros et où s’empressent de figurer généreusement chanteurs et comédiens. Le public est friand de ces spectacles toujours grandioses, attiré par les vedettes et ému par la générosité ambiante.Le caritatif s’épanouit dans la souffrance.


    Documentation réunie avec la collaboration de Jean Waligora


    [1] A titre d’exemple, l’étude WHI sur le traitement hormonal de la ménopause aurait suscité, seulement aux USA, 400 articles et 2500 émissions de radio et de télévision. [2] Selon le Bulletin de l’Ordre des Médecins de mars 2004 [3] On parle de « patient-citoyen »

     

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