• 1. Le nouveau langage du colloque singulier


    Un nouveau langage est apparu en médecine et dans les lois qui la concernent, fortement inspiré de celui de l’entreprise et introduisant enfin la pratique médicale dans l’économie de marché en dehors de laquelle il n’y a pas de salut. Voici un petit glossaire médico-libéral qui permettra aux attardés de se mettre à la page :
     
    Usager du système de santé désigne en fait tout le monde, puisque dès la naissance on acquiert ce statut, ne serait-ce que par les vaccinations obligatoires. On devient usager du système de santé bien avant d’être abonné à un distributeur de service quelconque. D’après le code civil « L’usager ne peut céder ni louer son droit à un autre », c’est un privilège de naissance dans les heureux pays où ce système existe. Etre un usager plutôt qu’un patient contribue à banaliser la maladie et à en faire un état commun, presque normal.
     
    Consommateur de soins désigne une personne malade ou craignant de l’être. Il était opportun de remplacer le terme malade par consommateur, plus valorisant. La maladie constitue un handicap et introduit une discrimination, alors que consommer des soins c’est comme acheter une marchandise et participer à l’activité économique du pays.
     
    Producteurs de soins. Le médecin en fait partie, mais il n’est pas le seul. Un producteur de soins a la particularité de ne rien produire et élever le médecin au rang de producteur devrait le satisfaire. Formé pour porter secours aux autres, il avait jusqu’à présent une conception romantique de son rôle et devenir enfin un acteur économique est tout de même plus sérieux.
     
    Capital santé. Etre malade ou en bonne santé ne signifie plus grand chose. Nous sommes tous capitalistes. Notre santé constitue un capital. Malheureusement, on ne peut ni l’investir, ni le faire fructifier. Par contre, on peut tenter de le préserver ou de le récupérer. « …le patient est prêt à participer à la décision médicale et à acquérir une certaine autonomie dans la gestion de son capital santé »[1]. Le capital santé, comme tout capital qui dort, s’érode avec le temps, sa particularité est de disparaître avec le capitaliste. Ses descendants n’héritent que du capital génétique qu’ils ne peuvent refuser même lorsqu’il est défaillant.
     
    Propriétaire. Un consommateur de soins est propriétaire de sa maladie (et bien sûr du dossier qui la décrit). Le détenteur de cette propriété cherche à s’en débarrasser au plus vite et à tous prix, jusqu’à rémunérer celui qui l’en débarrassera. Quoi qu’il en soit, la propriété est sacrée et il n’est pas question que le médecin s’en empare comme si elle était sienne et prenne des décisions au nom du propriétaire légitime. Le médecin ne doit pas s’approprier indûment la maladie de son patient et lui retirer cet avantage sans son avis.
     
    Gestion. Ce terme fait fortune dans tous les domaines et il n’y a aucune raison de ne pas l’appliquer à la médecine. On gère un amour, une amitié, un mariage, des enfants…Alors on peut gérer un malade, une maladie, un traitement comme on gère une entreprise.
     
    Co-gestion. Laissons la parole au Dr M. Ducloux, Président du Conseil National de l’Ordre des Médecins[2] : «  le passage du malade passif, dans une relation de bienveillant paternalisme médical, à un patient devenant davantage actif et co-gestionnaire de sa santé ». En bonne logique économique, il aurait du parler de la co-gestion du capital santé. Chacun sait à présent que le médecin et le consommateur de soins sont des partenaires, voire des associés dans la gestion de la maladie, mais seul l’un d’entre eux en est le propriétaire et l’autre fait de son mieux pour l’exproprier en ménageant sa susceptibilité.
     
    Négociation. Il est évident que les partenaires d’une co-gestion sont amenés à négocier. Ils négocient quoi ? Les examens et le traitement dont doit bénéficier l’un d’eux, toujours le même. Et que se passe-t-il si ce dernier les refuse ? Il reste propriétaire de sa maladie. C’est tout.
     
    Prestataire de service. La jurisprudence[3] fait du médecin un prestataire de service comme un autre, soumis aux mêmes obligations vis à vis de son client qu’un assureur, un vendeur ou un banquier. Non seulement le médecin doit dire la vérité, mais il doit aussi prouver qu’il l’a dite et que son patient l’a bien comprise. Dans le contrat qu’il passe avec le consommateur de soins, les petits caractères illisibles qui viseraient à tromper son client sont interdits. La transparence permet au consommateur de soins de se voir tel qu’il est, à lui d’assumer pleinement sa propriété.
     
    C’est beau l’humanisme.
                                                                                                                         

    [1] Philippe Eveillard, La Revue du Praticien / 2004 : 54
    [2] Conférence inaugurale du Médec 2004
    [3] « Celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation ».( Arrêt Hédreul de la Cour de Cassation de 1997)
    2. La médecine est un art »

  • Commentaires

    1
    Mercredi 21 Mai 2008 à 23:47
    Ca fait frémir ...
    2
    Vendredi 23 Mai 2008 à 03:13
    Je suis impardonnable, j'ai oublié de vous dire "amitiés" ... et j'ai même oublié de signer ... Liza
    3
    Samedi 11 Août 2018 à 11:53

    Une modernité" et des "éléments de langage" extrêmement actuels, même s'ils datent de plus de dix ans... Ce qu'on appelle une médecine de pointe (différente de l'acupuncture)?

      • Samedi 11 Août 2018 à 13:11

        Là, vous avez fait très fort en déterrant un des premiers articles de ce blog. C'est tout simplement de l'archéologie.

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :