• RESILLES

     

    Les canaux croisés de Venise cisaillent,

    Comme les résilles de plomb d’un vitrail,

    La ville en multiples fragments colorés.

     

    Le dessin géométrique de la vitrée

    Découpe la vue de Ca’ Rezzonico

    Sur le quai étroit et le ruban du rio.

     

    Les arches des ponts ponctuent le canal,

    Elégantes de briques bordées de blanc.

    Assis sur une marche, un couple d’amants

    Pose dans un cadre de plomb octogonal.

     

    Après avoir attiré d’Orient les richesses,

    Venise attire de partout les amours ;

    Le vœu est de les vivre ici dans l’allégresse

    Ou d’y tenter parfois de les revivre un jour.

     

    Amants, méfiez-vous de cette ville magique :

    Elle surprend, elle charme, elle envoûte.

    L’eau sereine, la beauté nostalgique

    Apaisent l’esprit et lèvent les doutes.

     

    Loin de la sérénissime Venise

    Que deviendront les amours

    Lorsque cessera son emprise ?

    Amants comblés, craignez le retour.

     

     

    Paul Obraska

     


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  • LE MARCHEUR DE VENISE

     

    Devant le pont des soupirs, le marcheur de Venise

    Ne peut que soupirer. Il ne cesse de marcher

    De ruelles en places, de surprises en surprises

    Dans cette ville hors du temps, surgie du passé

     

    Dur à la peine, le marcheur de Venise

    Remplit le temps limité qui lui est imparti

    Il va de musée en musée, d’église en église

    Etourdi, affamé, épuisé mais conquis

     

    Belle et terrible Venise pour le marcheur fatigué

    Il ne s’arrête de marcher que pour naviguer

    Aller d’un quai à un autre et débarquer

    Pour pouvoir à nouveau marcher

     

    Des palais fendillés à chaque coin de rue

    Des palais mouillés le long des canaux

    Le marcheur de Venise n’est jamais repu

    Il va, obstiné, de pont en pont et de rio en rio

     

    L’œil saturé des ocres et roses délavées

    Emporté par la cité-navire chargée de beautés

    La coque alourdie s’enfonçant dans l’eau

    Le marcheur de Venise jure de revenir

    Dans la ville dont le passé présent est l’avenir

     

    Paul Obraska

     



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  • SIESTE

     

    Dans le lit rouge de la gondole chamarrée

    Dort le gondolier

    Bras croisés, coussinet sous les pieds

    Il rêve sous son canotier

     

    L’église tête en bas se mire en douceur

    Dans le canal en exil de la mer lointaine

    L’eau silencieuse respecte le dormeur

    Et son sommeil mérité après sa peine

     

    Le cube couvert de graffiti criards

    Devant la façade austère de l’église

    Ne lui donne-t-il pas des cauchemars ?

     

    Peut-être le gondolier dort-il

    Pour ne pas voir enlaidir sa Venise

    Alors quand se réveillera-t-il ?


    Paul Obraska


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  • GRAND CANAL

     

    De la lagune que les ducs d’Albe gardent

    Les trois pieds plantés comme des échardes

    Le Grand Canal pénètre la Venise béante

    Et embrasse de son S inversé son amante

     

    Il passe entre les haies des palais prolifiques

    Leurs façades aux fenêtres aux allures orientales

    Beaux restes princiers de la République

    Etes-vous bien réels ou décor théâtral ?

     

    Les rives hérissées de pieux d’amarrage

    Des bâtons de guimauve aux rayures colorés

    La gondole rouge et noire de mille ans d’âge

    Le gondolier inchangé coiffé du canotier

     

    Le vaporetto va lentement de station en station

    Les noms chantent leur lot de promesses

    La foule embarquée pressée sur le pont

    Mêle Vénitiens blasés et visiteurs en liesse

     

     

    Paul Obraska

     


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  • LE LION NOSTALGIQUE

     

    Lion ailé de saint Marc perdu dans le ciel

    Tu trônes comme un échassier

    Sur une patte au-dessus des mortels

     

    L’Histoire est passée

     

    Tu es resté, emblème amer

    De l’orgueil d’antan

    Solitaire face à la mer

    Sans les navires conquérants

    Sans le Bucentaure pillé

     

    Les restes éparpillés

     

    Intouchable face aux nuages

    Tu es resté là-haut en héritage

    La queue dressée, la colère feinte

    Tes proies  ne tremblent plus de crainte

     

    Dans les musées

     

    Tes ailes déployées

    Dans un vol immobile

    Tu règnes sur une ville

     

    De palais rongés

     

     

    Paul Obraska

    Canaletto : "Le retour du Bucentaure"

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  • SUBMERSION

     

    Venise ouverte

    Venise baignée

    Venise infiltrée

    Venise recouverte

     

    A marée haute, à la bonne saison,

    Les bottes clapotent dans l’eau

    Sur les dalles de la place San Marco

    Et sur le seuil des maisons.

     

    L’eau, partout, veine la ville de ses canaux

    Et serpente, paresseuse, dans les artères

    Que les ponts circonflexes enjambent d’un saut.

    L’eau, en caressant, rogne les pierres

    Et noircit le pied baigné des façades

    Où s’accrochent des mousses de jade.

     

    A la glissade silencieuse des gondoles,

    Les remous de la rame tournant dans le tolet

    Soulèvent dans l’eau opaque des dépôts aquicoles,

    Une légère odeur de vase s’exhale du marais.

     

    L’eau encercle même les cimetières.

    Encore marins après leur trépas,

    Les morts s’embarquaient pour les îles,

    Vers San Michele et son mur de terre

    Pour un voyage vers l’Au-delà

    A bord d’un navire immobile.

     

    Paul Obraska

     


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  • CIEL ET MER

     

    Un jour le ciel tomba amoureux de la mer

    Ils se regardaient depuis si longtemps

    Le  ciel mit alors son habit bleu clair

    Et la mer s’éclaira en le voyant

     

    Le ciel se mit doucement contre elle

    Ils se touchèrent au loin à l’horizon

    Les bateaux pris entre la mer et le ciel

    Glissaient sans bruit leur cargaison

     

    Le ciel ne plongea pas dans la mer

    Ils avaient tout le temps devant eux

    Ils restèrent ainsi la journée entière

     

    Puis vint la nuit et le ciel se fit nuageux

    Pas de Lune, pas d’étoiles, pas de lumière

    Et on ne sut qui était le ciel qui était la mer

     

     

    Paul Obraska

     


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  •   
    VAGUES

    Un roulement pressé, un son long et clair qui s’étire sur le sable en chuintant.

    Un rythme à deux temps qui se répète depuis l’origine de notre monde, inlassablement.

    Sur ce rythme la mer danse : un pas en avant, un pas en arrière,

    en roulant de la vague parée d’écume, perles d’eau éphémères,

    évanouies dans le sable pour renaître à chaque battement.

    Les galets ronds reposent, érodés, ils attendent d’être emportés dans le tourbillon d’une danse folle, avant de disparaître un jour lointain, petit à petit épuisés par cet incessant va-et-vient.

     

    Envoûté par ce rythme perpétuel et cette danse immobile, l’homme rêve parfois devant la mer d’être son cavalier pour un avenir inconnu.

    Et lorsqu’il s’arrachera à sa contemplation, le chant de la mer le suivra longtemps à l’intérieur des terres, écho des origines et rappel nostalgique des occasions perdues.

     

    Paul Obraska


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  • LE PETIT NUAGE

     

    Un petit nuage tel un flocon blanc

    Naviguait isolé poussé par le vent

    A la queue des grands nuages gris

    Nimbus déchirés chargés de pluie

     

    De même que ses sombres frères

    Le petit nuage était né de la mer

    Mais il avait beau pousser d’en haut

    Il ne versait pas une goutte d’eau

     

    Les autres arrosaient les bois et les prés

    Et du sol surgissaient les fleurs et le blé

    Le petit nuage en voyant ces merveilles

    S’assombrit de ne pouvoir faire pareil

     

    Les autres déversaient sur les monts

    Des myriades silencieuses de flocons

    Et de l’eau sur les déserts craquelés

    Les oasis jaunis et les puits asséchés

     

    Le petit nuage devenu sombre et amer

    Voulait tant se joindre à ses frères

    Que des larmes ourlèrent ses festons

    Et la pluie désirée coula à l’unisson



    Paul Obraska


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  • LES FORMES DE L'EAU XIV

     

    La Citerne Basilique d'Istanbul

    GOUTTES

     

    Il est joli le son de la goutte qui tombe dans l’eau en traçant un rond éphémère

    Elles sont miraculeuses les gouttes humectant enfin la langue rôtie de l’assoiffé

    Elle est attendue la première goutte de pluie tombant dans la poudre du désert

    Elles sont bénéfiques les gouttes qui coulent une à une dans la veine de l’alité

     

    Elle est ridicule la goutte qui pend au nez hésitant à tomber pour de bon

    Elle est fâcheuse la goutte écarlate qui s’étale en rond sur la nappe claire

    Elle est inquiétante la goutte métronomique qui tombe la nuit du plafond

    Elle est menaçante la goutte qui fait déborder la vase poussant à la colère

     

    Elles sont obstinées les gouttes qui taraudent patiemment la roche

    Elles s’infiltrent, elles usent, elles creusent depuis des millénaires

    Elles sculptent, elles piochent

    Elles façonnent la Terre

    Paul Obraska


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