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    LES FORMES DE L'EAU XIII


     
    Marc Chagall « La famille du pêcheur »

     

    LA FEMME DU PÊCHEUR

     

    Ils sont l’un contre l’autre, mais la femme tourne le dos, l’enfant sur son sein, la bête à ses pieds. Elle est la terre nourricière. L’homme est revenu de la mer, des poissons dans ses mains, après une si longue absence, de retour des horizons infinis, encore à l’écoute du chant des vents marins, plongeant toujours ses filets dans les plis de la mer. Ils sont l’un contre l’autre, pourtant la mer sépare leurs destins, elle permettra peut-être un jour de les réunir avant que leur vie prenne fin. Mais l’homme reviendra sur le rivage voir les vagues perler, écouter le vent, sentir les embruns, regarder l’horizon où pointe le mât des bateaux avant que le ventre lourd de leur pêche n’apparaisse sur les flots. La femme sait que la mer ne le quittera jamais et elle tourne le dos.

    Paul Obraska


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  • CREPUSCULE

     

    C’est l’heure où la Terre tourne son ombrelle

    Où l’eau du lac retient la lumière évanouie

    Où les cimes des arbres dentellent le ciel

    Où la masse des bois capte la nuit

     

    C’est l’heure où le silence bruit de bruits inconnus

    Où la pénombre se peuple d’êtres fabuleux

    Où le cri des oiseaux devient éperdu

    Où l’on craint qu’une bête habite chaque creux

     

    C’est l’heure où les fantômes astiquent leurs chaînes

    Où ceux qui nous habitent reprennent vie

    Où ceux qui sont morts réveillent nos peines

     

    C’est l’heure où l’on presse le pas

    Où l’on recherche en vain un abri

    Où l’on espère qu’un autre jour se lèvera.


    Paul Obraska


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  • D'après une photo parue dans le Point du 2 août 2007
    avec cette légende : "Bravant les courants et les serpents à sonnette, un groupe de clandestins tente la traversée de nuit de la frontière."




    L'EAU DES FRONTIERES

     

    L'eau des frontières

    Est hantée d'êtres humains

    Ils ne sont pas tous marins

    Sur les mers et les rivières

     

    Sur des épaves marines

    Bravant chaque instant le naufrage

    Ou dans l'eau glacée des rivières à la nage

    Un sac poubelle devant, une femme sur l'échine

     

    Les clandestins hantent l'eau des frontières

    Il y aura demain sur l'onde des corps noyés

    Retrouvant les spectres partis les premiers

    Sortis par la mort de la haine ou la misère

     

    Dans le Rio Grande flottent des grappes de têtes

    Consolez-vous clandestins

    C'est à ce jour un Mexicain

    L'un des plus riches de la planète

     

    Dans les barques, dans les soutes des navires

    Consolez-vous clandestins

    Vos dirigeants ne manquent de rien

    Passez l'eau des frontières sans faiblir


    Paul Obraska


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  • SAULE PLEUREUR

     

    Avez-vous vu pleurer un saule pleureur ?

    Il s'épanche penché sur la rivière

    Et laisse tomber ses verts pleurs

    En une cascade trouée de lumière

     

    Il pleure de ses étroites larmes

    Et si l'arbre courbé s'épanche

    Pour ne pas rompre le charme

    Il les garde pendues à ses branches

     

    Le saule nous apprend à retenir nos pleurs

    A trouver l'apaisement au bord des rivières

    A laisser la lumière traverser nos malheurs

    A continuer à vivre enraciné dans la terre


    Paul Obraska 





    RICOCHETS

     

    L'enfant sans ami cherche un galet plat

    Un galet rond aux bords arrondis

    Pas trop gros pour qu'il ne coule pas

    Et pour glisser sur l'eau, pas trop petit

     

    Il découvre le trésor dans des gravas

    A la lumière oblique du soleil écrasé

    Et court vers le lac, pressé de le jeter

     

    Il se met en position, étendant le bras

    Le trésor dans sa main, l'index en crochet

    Au bord du lac embrasé

    Sur l'orangé de l'eau, il lance le galet

     

    La pierre par petits bonds marche sur les eaux

    Un chapelet de gerbes pour un bref instant

    Dix bouquets liquides vont décrescendo

    Mais personne pour voir l'exploit de l'enfant

     

    L'événement provoque un envol d'oiseaux

    Dans l'incendie fidèle du couchant

    Leurs ailes aiguës glissent dans l'éther

    Comme le galet rond avait glissé sur l'eau


    L'enfant triste et solitaire

    Regarde, au-dessus du lac, les oiseaux

    Faire ensemble leurs ricochets sur l'air


    Paul Obraska
     

     

     

     

     


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  • John Sargent "Fontaine chantante en Espagne"

    FONTAINES

     

    Il  y a des pays

    Où il n'y a pas de fontaines

    Des pays sans eau

    Des pays malheureux

    Il y a des pays

    Où il y a de l'eau

    Mais pas de fontaines

    Ce sont des pays heureux

    Mais qui n'ont rien compris

     

    Les fontaines

    On les entend avant de les voir

    La chanson joyeuse et familière

    De l'eau clapotant dans l'eau

    De l'eau éclaboussant la pierre

    Un chant de promesse de bonheurs

    Le bonheur d'apaiser la soif

    Le bonheur de fraîcheur

    Le bonheur de pureté

     

    Bien sûr il y a les fontaines royales

    Avec leurs jets d'eau domestiquée

    De l'eau qui fait des ronds

    De l'eau qui fait le beau

    De l'eau qui fait la roue

    Pour se faire bien voir

    Mais elle n'est pas à boire

     

    Les petites fontaines sont bien plus belles

    Au milieu d'une place nue

    Avec leur chant de chanterelle

    Coulée de fraîcheur têtue

    Sur la pierre douce arrondie par l'usure

    Quelques herbes en houppes

    Et un peu de mousse au mur

    Dans ses mains en coupe

    Pour exaucer une prière

    On recueille l'eau claire

    Que l'on boit goulûment

    Sans retenue bruyamment

    En serrant les doigts pour éviter les pertes

    Le visage mouillé de fraîcheur

    Le menton humide le sourire éclos

    Sur une place déserte

    Ecrasée de chaleur

    Où les maisons volets clos

    Abritent les dormeurs

    Paul Obraska


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  • REFLETS

     

    Un château s'est jeté de son haut

    Dans les douves, tête première

    Son corps spectral flotte sur l'eau

    Ballotté par les jeux de lumière

     

    Narcisse aux traits de pierres

    Au bord de son image liquide

    Reflet opalin de sa face altière

    Que la brise couvre de rides

     

    Plus de reines, plus de rois

    Plus de carrosses, plus de chevaux

    Un hélicoptère pour rupins tournoie

     

    Le présent n'est plus aux fastes royaux

    L'hôtel accueille ses clients fortunés

    Nostalgique, un château s'est noyé


    Paul Obraska


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    LE SILENCE DE LA PROIE

     

    Lac rond suspendu dans les cimes

    Comme un œil froid au milieu des monts

    Miracle horizontal au bord des abîmes

    Aux reflets changeants de caméléon

     

    Lumières glaciales glissant sur l'eau

    Ciel sans nuage, roc et neiges mêlés

    Au-dessus, le vol prédateur d'un oiseau

    Dans le silence des cimes enneigées

     

    Un homme cherche une proie dans l'eau

    Sorti du lac transparent, un poisson palpite

    La bouche sans cri accroché à l'hameçon

    Sous la ligne courbée, la victime s'agite

     

    Le poisson se noie dans l'air pur des monts

    Les fentes béantes des vaines branchies

    Ne peuvent rien contre la lente agonie

    Proie aphone, elle nous épargne ses cris


    Paul Obraska 

     

     


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    LES FORMES DE L'EAU VI



    TORRENT

     

    Torrent tu sautes de pierres en pierres

    Impatient comme tout jouvenceau

    Ne te presse pas trop de rejoindre la rivière

    Tes eaux ont la couleur de lait du berceau

     

    Celui des neiges vierges des hauteurs

    Celui où l'air bleu a encore sa pureté

    Où les monts ont gardé leur fraîcheur

    Que l'homme n'a pas encore souillée

     

    Rivière ne te presse pas trop vers le fleuve

    Tu serpentes dans les bois et les prés

    Tes eaux claires sont déjà à l'épreuve

    Avec les ventres blancs des poissons crevés

     

    Fleuve ne te presse pas trop d'aller à la mer

    Tes eaux brunes ont déjà triste allure

    Là-bas t'attendent soutes et containers

    Qui verseront les noirs hydrocarbures

     

    Eau du torrent tu ne peux pas remonter le courant

    Tu ne peux pas remonter de la mer à l'embouchure,

    Du fleuve à la rivière et de la rivière au torrent

    Chacun coule dans un sens avec ses souillures


    Paul Obraska


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  • INCENDIE

     

    Là-bas l’incendie déverse sa lumière

    Eclate en cernant d’un fard doré

    Le soleil épanoui en fleur ombellifère


    Le feu étale un fond de teint orangé

    Souligne les ombres noires des toits

    Comme un décor sur le doigt de mer


    Là-haut le ciel a sauvé son bleu roi

    Balafré de deux traits de lumière

    Que deux avions de proie ont laissés


    Fuyant le feu un couple de bateaux

    Chevauche la surface argentée

    En creusant deux rides sur l’eau

     


    Paul Obraska 

     

    Arnold Böcklin "L'île de la Mort"


    L'ÎLE DESOLEE

     

     

    Une silhouette habillée d'un linceul

    Se dresse, rigide, à l'avant de la barque.

    Le passeur à sa tâche rame seul,

    Guidé par le murmure des Parques.

     

    L'île désolée est abordée doucement,

    Un roc abrupt dans la noirceur de l'eau,

    Hérissé de cyprès, seuls êtres vivants,

    Au milieu des murs clairs des caveaux.

     

    Il fait toujours nuit sur ce roc de froideur.

    Le Soleil est occupé à donner la vie,

    Les morts n'ont nul besoin de chaleur.

     

    Pour eux : le blanc, le noir et le silence de la nuit.

    Les hommes inconsolables rêvent d'un ailleurs,

    Qu'il s'agisse d'une île, de l'Enfer ou du Paradis.


    Paul Obraska


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  •  cassatt37.jpg
    Mary Cassat "Deux enfants sur la plage"

     

    SABLE   La main en sablier presse les grains fuyants, Le sable entre les doigts écartés Coule dans un doux chuintement, Aussi fluide que l’eau qui l’a créé.   Avec le sable les enfants bâtissent des châteaux Où leurs rêves deviennent réalité, Jusqu’à la montée prochaine des eaux Où ils seront détruits par la marée.   Dans le minéral pulvérisé par le temps, Les enfants connaissent la sagesse amère De voir leurs rêves ne durer qu’un instant.   Avec la même foi, ils recommenceront demain. Les adultes font comme les enfants,

    Ils ne se lassent pas de construire en vain.

    Paul Obraska

    vallotton19a.jpg
    Félix Vallotton "Sur la plage"
     

    SUR LA PLAGE   Solitaires sur la plage glacée Sous un soleil froid Trois ombres sont assises habillées Elles ne se baignent pas Elles ne pourront plus se baigner   Elles regardent la mer couleur de boue La larme à l’œil Et la mer les regarde de ses bulles irisées La vague à l’âme   L’écume froufroute sur le rivage En rejetant par hoquets Des bouteilles gondolées sans message Des boulettes noires par paquets Des sacs gonflés en plastique Des consommables consommés Des préservatifs pathétiques De tristes oiseaux mazoutés De petits poissons ventre à l’air Et des ratons laveurs débordés Echappés d’un recueil de Prévert Jeté à la mer

    Sans pitié

    Paul Obraska

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