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    Anniversaire

    Chagall « Anniversaire »

    Lorsqu’il se réveilla ce matin-là, il vit venir un ange, un peu maladroit, ses grandes ailes le gênant pour marcher (non, ce n’était pas un albatros) et arrivé, cahin-caha,  au pied de son lit, la créature céleste lui proposa une nouvelle tranche de vie.

    Il répondit que la précédente ne lui avait pas déplu et qu’il ne cracherait pas dessus. L’ange approuva de ses ailes, car les gens n’étaient pas toujours contents de ce qu’ils avaient eu et il devait parfois remporter sa tranche au ciel quand les gens trouvaient leur vie amère.

    Et l’ange découpa soigneusement dans le gâteau d’anniversaire une tranche de vie pour un an.

    Le voyant faire, il demanda timidement s’il ne pouvait pas en couper davantage. Mais l’ange répondit qu’être trop gourmand ne serait pas sage, qu’il fallait se contenter de ce qui était donné et le savourer lentement pour ne pas avaler de travers, un accident est si vite arrivé et il serait dommage de ne pas terminer la tranche de vie de l’année.

    Sur ces paroles, l’ange mit une bougie de plus sur le gâteau entamé et plus à l’aise dans l’air que sur le sol, s’envola en lui souhaitant un bon anniversaire.


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  • Il était une fois, il y a fort longtemps, au temps des rois mérovingiens qui n’en fichaient pas lourd, un moine du nom de Fiacre d’origine irlandaise qui, accusé de sorcellerie,  fut convoqué par son évêque. En attendant l’entretien, le moine s’assit sur une grosse pierre devant l’église et il y resta plusieurs jours. Innocenté et échappant ainsi au cul-de-basse-fosse, il put enfin rejoindre son ermitage. Mais la pierre qu’il avait honorée de ses fesses devint miraculeuse : il suffisait de s’asseoir dessus et de prier pour guérir de ses hémorroïdes qui devint le « mal de saint Fiacre » et saint Fiacre fut promu au rang de patron protecteur de la proctologie (il est également celui des jardiniers).

    Le village de Saint-Fiacre-en-Brie, où il repose, devint un lieu de pèlerinage pour les malades souffrant de maladies proctologiques et on dit dans les annales que le roi Louis XIII s’y rendit.

    Au XVIIe siècle, un loueur de voitures attelées avec cocher installé à Paris en face d’un hôtel à l’enseigne du saint donna son nom à ses voitures.

    La moralité de cette légende est double :

    D’abord, ne restez pas trop longtemps le siège sur une pierre pour ne pas avoir à redouter de vous asseoir.

    Ensuite, si vous faites un long trajet en voiture (sans cocher pour les gens normaux), arrêtez-vous toutes les deux heures pour lever votre siège du siège et vous reposer[1], c’est le fondement d’une bonne conduite.



    [1] Je n’ai aucun conflit d’intérêt avec la Prévention Routière.


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  • Il y avait sur les hauteurs de l’Olympe une divinité que les humains respectaient au point d’y sacrifier  tout ce qu’ils possédaient et même parfois leur vie. Rien ne se faisait sans son aval, tout était fait pour la respecter. Les mécréants qui osaient douter de sa bienfaisance et pensaient que tous les sacrifices que l’on déposait à ses pieds ne provoquaient en retour que peu de bienfaits, étaient foudroyés sur le champ par les dévots.

    Ce Dieu tout puissant s’appelait Marché. Il avait  deux filles : Concurrence, la fanfaronne, dont on attendait monts et merveilles et Finance l’évaporée qui passait son temps dans des îles paradisiaques. Marché avait également un fils, Monopole, dont il était fier car il avait bien réussi dans le monde. On disait que Concurrence et Monopole ne s’entendaient pas, en réalité le frère et la sœur s’écrivaient en secret et Marché, paternel, fermait les yeux.

    Marché n’était pas contre les écarts, lui-même descendait parfois sur terre en parachute doré pour se farcir quelques humains, hommes et femmes sans distinction, car il était licencieux, mais il leur faisait croire que c’était pour leur bien, pour les protéger du redoutable Protectionnisme qui ne chercherait qu’à les enfermer.

    Marché avait ses prêtres qui lui étaient tout acquis, quoi qu’il fasse, il n’était pas ingrat envers eux et les récompensait de leur fidélité en leur laissant prendre une part des offrandes que les crédules déposaient à ses pieds dans les temples des banques.

    Mais les hommes depuis longtemps ne croient plus aux divinités de l’Olympe. Ce sont des fables que l’on raconte pour faire peur aux enfants.


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  • Un jour, un travailleur social déroba le Sens de la Vie. Il le cherchait depuis longtemps car les gens lui demandaient souvent de le montrer. Or il le trouva par hasard, caché entre les pages d’un livre de philosophie (les philosophes s’intéressent beaucoup au Sens de la Vie), qu’un très vieux monsieur, en descendant à la station Père-Lachaise, avait oublié sur une banquette lacérée de la rame de métro.

    Possédant enfin le Sens de la Vie, pour gagner du temps, il mourût.

    En tant que travailleur social il avait acquis le droit syndical d’aller au Paradis. Mais là, le Patron fit des difficultés : n’avait-il pas commis un larcin ? Alors on le fit attendre dans le Purgatoire, qui n’est qu’un long couloir avec des chaises pliantes, pendant que l’On se penchait sur son cas, comme dans toute administration.

    Mais le travailleur social avait emporté dans son sac à dos ce qu’il avait dérobé dans le métro et qu’on lui avait laissé par mégarde (comme quoi, quoi qu’on dise, personne n’est parfait) et pendant qu’il attendait, sur terre, la Vie n’avait plus de Sens. Si certains continuaient dans le bon Sens, à naître avant de mourir, d’autres mourraient avant de naître. Lorsque le Patron s’aperçut que des nouveau-nés sortaient des tombeaux (ce qui, avouons-le, n’est pas très sensé), Il déboula dans le couloir, prit le sac à dos (orné de la tête barbue de Che Guevara) et le vida sur terre.

    Depuis les Hommes continuent à chercher en vain le Sens de la Vie, en se faisant beaucoup d’illusions,  car il y a de fortes chances qu’il soit tombé dans les profondeurs des mers.  


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    Il était une fois un petit roi qui se prenait pour le nombril du monde. Il faisait la leçon aux autres rois et leur donnait des conseils. Il donnait même des conseils à l’Empereur.

    Or l’Empereur ne savait pas très bien qui était ce petit roi plein de suffisance. Il demanda donc à son chambellan de lui montrer le pays où ce petit roi si entreprenant régnait sans partage. En le voyant l’Empereur s’exclama : « Mais son peuple est dans la rue, c’est sans doute pour l’acclamer ! » « Non sire » répondit le chambellan « C’est pour le huer ». Ah ! fit l’Empereur et il ajouta, après un instant de réflexion, car c’était un Empereur qui réfléchissait avant d’agir : « Vous me direz tout ce qu’il fait, afin de faire le contraire ».

    Le petit roi, à qui on rapporta ces propos, se rengorgea et dit à son entourage en bombant le torse : « Vous voyez bien que l’Empereur suit mes conseils ! »


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  • Dans la cour de récréation deux gamines se disputaient : l’une au visage aigu et aux cheveux longs, l’autre aux cheveux courts, le visage aussi rond qu’une bille. Elles se querellaient à propos d’une agate rose qu’elles prétendaient chacune avoir gagnée et chacune accusait l’autre de lui avoir volée. Les gamins qui les entouraient les encourageaient à tenir tête et espéraient qu’elles finiraient par en venir aux mains, une fois les deux gamines à terre, ils comptaient bien retrouver l’agate rose et ramasser les billes abandonnées.

    Dans un coin de la cour, un petit gamin se haussait sur la pointe des pieds pour ne rien perdre du combat et ricanait en tenant l’agate rose bien serrée dans sa main.


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  • Il y a des bourses pour les actions des entreprises. Il y a des salles de vente pour les objets d’art. Il y a le top 50 pour les chansons. Il y a la liste des meilleures ventes pour les livres et bien d’autres classements, mais rien pour la valeur marchande des émotions et des actions humaines.

    Il est urgent de combler cette lacune et je propose la création d’une salle des ventes où l’on pourrait vendre aux enchères de l’humain et en établir ainsi la valeur commerciale. Donnons quelques exemples pour montrer la pertinence de cette proposition :

    Personne ne sait ce que peut rapporter les images de parents ayant perdu leur enfant dont la cotation devrait être majorée par la présence de larmes sur les visages. Les images de guerre ou de catastrophes se vendent dans le monde entier, mais l’estimation de leur valeur devrait tenir compte du nombre de cadavres visibles et de leur état.

    Vous voyez qu’il est impératif d’établir une cotation sérieuse alors que ce domaine d’activité est manifestement déréglementé et livré au hasard. Les commissaires-priseurs seront là pour vérifier l’authenticité des images, s’en montrer garant et repérer les faussaires qui risquent de proposer à la vente de fausses images de malheurs, comme celles de faux charniers ou de fausses opérations militaires.

    Comme toujours c’est la rareté qui conduira à monter les prix.  La multiplication d’un type d’images provoquera sa dévalorisation, comme celles de chômeurs en détresse qui n’ont plus guère de valeur marchande, ou celles des miséreux dormant dans des cartons devenues d’une grande banalité et que l’on a de ce fait sorties du marché.


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  • Vers - 980
    David qui n'avait jamais fauté
    Lança en hâte
    La première pierre sur le front avancé
    De Goliath

    - 212
    Alors qu'Archimède prenait son bain de siège
    Charlotte Corday par erreur l'assassina
    En poussant le poignard de haut en bas
    Pendant que le savant pris au piège
    Criait de bas en haut : eurêka !

    450
    Le cheval enfin débarrassé de son cavalier
    Sur le champ de bataille cherchait à brouter
    Mais Attila le roi des Huns était passé par-là
    Et l'herbe ne repoussait pas

    778
    Roland serré dans son col de Roncevaux
    Ne pouvait pas souffler dans l'olifant
    Et appeler à la rescousse son tonton
    Pour décrocher de ses basques les Vascons

    1252
    Pendant l'inquisition
    Le pape qui autorisa la question
    Avait pour nom Innocent
    Goebbels n'aurait pas fait mieux en son temps

    1637
    La nuit Descartes à la fenêtre
    Refusait de se coucher
    Pour ne pas cesser de penser
    Afin de ne pas disparaître

    1658
    On a surpris Pascal
    Qui sans quitter son Port-Royal
    Prenait clandestinement des paris
    Mais parier sur Dieu comme sur un cheval
    Priva les parieurs du Paradis

    1815
    Le général sans armée et sans cheval
    La main dans son gilet pare-balles
    Paraissait plus petit et moins malin
    Mais en vie dans son île au lointain

    2007
    Aujourd'hui
    Un orage a éclaté sur Paris
    C'est fou ce que le tonnerre fait de bruit
    Et on se sent petit petit petit petit si petit


    Paul Obraska


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