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494. Jeux de mots
Bien que médecin, je ne me suis guère intéressé à la psychanalyse. Peut-être, justement, parce que je suis médecin. Je n’ai lu de Freud que « l’introduction à la psychanalyse », « l’interprétation des rêves » et sa biographie par Peter Gay. Vladimir Nabokov avait défini sobrement la psychanalyse comme étant « l’application des vieux mythes grecs sur les parties génitales ». Cette méthode thérapeutique m’a toujours paru basée sur une construction théorique faite d’affirmations sans la moindre preuve, dont une triade tout de même violente comportant une amputation (la castration pour les femmes), un inceste (sur la mère) et un meurtre (sur le père), une mécanique aussi sophistiquée qu’hypothétique tournant autour d’un axe phallique obsessionnel. Comment peut-on affirmer que : « la succion du sein de la mère est le modèle jamais atteint de toute satisfaction sexuelle ultérieure » ! ou que « l’ultime fondement de toutes les inhibitions intellectuelles et des inhibitions au travail semble être l’inhibition de l’onanisme enfantin ». Je sais bien que l’onanisme est manuel, mais de là à inhiber ultérieurement le travail par son inhibition dans l’enfance, il fallait oser. Notons que sous nos climats la répression sexuelle étant devenue moins prégnante qu'à l'époque de Freud, ses schémas explicatifs ne sont-ils pas plus ou moins obsolètes ?
Cependant, il s’agit d’une méthode thérapeutique et le critère de jugement est celui de l’efficacité. Cette thérapeutique est encore largement utilisée en France et âprement défendue par ceux qui la pratiquent malgré les nombreuses attaques qu’elle a subies depuis quelques temps. La cure psychanalytique permet aux gens de faire ce qu’ils aiment : parler d’eux, et en payant d’avoir des personnes plutôt intelligentes pour les écouter. Cette écoute, même à prix d’or, est probablement bénéfique dans des troubles mineurs. La psychanalyse permet à la parole de se libérer et de soulager plus ou moins celui qui parle. Une confession laïque mais payante. Par contre, employer la psychanalyse pour prendre des décisions juridiques ou définitives avec une propension sans mesure à culpabiliser les parents, et notamment la mère, me semble périlleux, comme il est dangereux de négliger les apports de la psychiatrie en faisant de la psychanalyse un monde qui se suffirait à lui-même pour aborder les troubles mentaux.
Tout est dans la parole et dans les mots. A tel point que les psychanalystes finissent parfois par donner aux jeux de mots une signification désarmante. Je mettrais à part les lapsus quand ils révèlent clairement une préoccupation. Le plus beau lapsus révélateur que j’ai pu entendre est celui du Pr Pasteur-Vallery-Radot, un patron en fin de carrière alors qui j’étais tout jeune étudiant, qui, lors d’une présentation de malade, mit le pavillon du stéthoscope sur le dos du patient en disant « allo » au lieu de « respirez » car il attendait un coup de fil important.
Je ne connais pas l’œuvre de Lacan et l’importance de son apport à la psychanalyse dans les années 1960, si ce n’est qu’il a grandement facilité l’accès au titre de psychanalyste en créant sa propre école, ce qui explique pour une part son succès. Je n’ai lu que des extraits, sans bien les comprendre et j’ai été découragé à persévérer lorsque je suis tombé sur cette démonstration citée par Sokal et Bricmont (Impostures intellectuelles, éd. Odile Jacob) : « C’est ainsi que l’organe érectile vient à symboliser la place de la jouissance, non pas en tant que lui- même, ni même en tant qu’image, mais en tant que partie manquante à l’image désirée : c’est pourquoi il est égalable à la racine de -1 de la signification plus haute produite, de la jouissance qu’il restitue par le coefficient de son énoncé à la fonction de manque de signifiant : (-1). ». Mis à part ce type d’élucubration aussi brillante qu’hermétique (mais dégageant tout de même une forte odeur de charlatanisme), Lacan et ses disciples jouaient avec les mots. Pour l’école lacanienne, l’inconscient n’est pas constitué comme pour les freudiens du refoulé sexuel, mais se déchiffrerait par des jeux de mots : « si vous dites à un lacanien : ne me prenez pas au mot, il entend ne me prenez pas pour un homo ». J’ai lu récemment qu’une psychiatre, membre de la cause freudienne, prenant possession de son service avait été scandalisée qu’un pavillon puisse s’appeler « Les peupliers » : « peut plier ! ». Devant le risque de déstructurer les patients par une telle appellation, le pavillon fut rebaptisé « Jacques Lacan ». Je suppose donc que, pour un lacanien, le titre de ce billet "jeu de mots" devrait être entendu comme "jeu de maux".
Source : Certaines citations ont été tirées d’un dossier de l’Express du 8/08/24
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Commentaires
3BernadetteMardi 27 Août à 09:19J'ai failli tomber par terre en lisant votre citation de Lacan. Comment a-t-il pu avoir des disciples en tenant des démonstrations aussi fumeuses ? J'aurais cru le monde médical plus sensé dans son ensemble.
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Mardi 27 Août à 09:54
Je crois que Lacan était un personnage brillant qui faisait avaler n'importe quoi et d'autant plus facilement que les candidats voulant être psychanalystes devaient avoir son aval. Il m'est difficile de porter un jugement sur une personnalité que je n'ai pas connue, mais je crois qu'il se moquait un peu du monde et ses disciples devaient faire semblant de comprendre l'incompréhensible. Ce que j'ai pu lire de lui est un charabia pseudo scientifique complètement abscons.
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4BrindamourMardi 27 Août à 09:495Souris doncMardi 27 Août à 09:59Vladimir Nabokov avait défini sobrement la psychanalyse comme étant « l’application des vieux mythes grecs sur les parties génitales ».
Nabokov a raison : des obsédés sexuels, textuels, obsédés du jeu de mots, des pervers, des satyres.
Pour rien au monde je n'irais consulter un de ces charlatans.
Nabokov, Lolita (go home)
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Mardi 27 Août à 10:11
Il est certain qu'il y a dans la psychanalyse une obsession sexuelle qui est peut-être le reflet des interdictions et des hypocrisies de l'époque de Freud. Faire du sexe une moteur quasiment unique des comportements humains est excessif. Mais il ne faut peut-être pas jeter le bébé avec l'eau du bain. La psychanalyse a apporté quelques éléments dont on peut se servir.
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Mardi 27 Août à 11:03
Les nombreux interdits en matière de sexualité imposés par le Coran aux musulmans et qui entraine nécessairement des frustrations plus profondes que celles liées à l'"hypocrisie de l'époque" (est-ce mieux, maintenant que tous les tabous sans exception sont tombés ?), frustrations qui ne sont pas pour rien dans la violence universellement liées à cette "religion" (non, je prends les devants : ça n'a rien à voir avec la chasteté préconisée par l'église catholique) .
La sexualité refoulée est la base de l'islamisme à tel point qu'elle semble faite pour ça.
C'est bien sûr l'islamophobe complotiste qui parle
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Mardi 27 Août à 11:44
Les trois monothéismes ont des rapports (si j'ose dire) répressifs et malsains vis à vis de la sexualité. Aujourd'hui l'islam obtient incontestablement la médaille d'or de la répression et de la tartufferie avec une injustice mortelle envers les femmes à la fois objets de "perversion" et de désir. Vous posez la question : jusqu'où les tabous doivent-ils tomber ? Quel est le point d'équilibre de la décence ? Et qu'appelle-t-on la décence dans une société libre ? C'est un vaste débat et je n'ai pas la réponse.
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Mardi 27 Août à 12:39
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Mardi 27 Août à 13:34
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6Souris doncMardi 27 Août à 11:48Dans une biographie de Souchon, ultra moderne solitude, y a d'la rumba dans l'air, Valérie Alamo invoque la sérotonine et la dopamine. Dans les états amoureux.
La sérotonine est très active lors des premiers temps de l'amour elle provoque un état obsessionnel...L'amoureux navigue dans une espèce d'ambiance ouatée qui lui donne un air aussi touchant que niais. Dès que la relation est plus avancée, la dopamine prend la place de la sérotonine... cette hormone provoque l'excitation, le désir et donne l'impression de pouvoir soulever des montagnes, dans un seul objectif : être avec la personne aimée.
Sans être médecin, cette explication me semble plus rationnelle que les élucubrations psychanalytiques.
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Mardi 27 Août à 11:59
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"Giscard a perdu. Normal, Qui va à la chasse perd sa place." Gérard Miller ( de mémoire). La citation m'avait fait rire jusqu'à ce que, dans la suite du bouquin, je m'aperçoive que c'était du premier degré.
Les psychanalystes aiment les jeux de mots qu'ils considèrent comme des lapsus volontaires.
PS : ils n'ont peut-être pas tout faux, mais ce qu'ils ont apporté de nouveau a tout naturellement été intégré à la psychologie médicale.
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Mercredi 28 Août à 13:41
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"Confession laïque", dites-vous. La confession catholique, si on choisit très soigneusement l'oreille qui va vous entendre en confession, coûte beaucoup moins cher et est aussi efficace. Je crois me souvenir que les prêtres sont formés à l'écoute. Même à celle des mécréants.
Attention! Il y a des prêtres psychanalystes. A fuir comme la peste.
Des prêtres psychanalystes ? Curieux mélange. Il est vrai que l'Eglise a montré qu'elle connaissait aussi les pulsions.