• Giovanni Bellini "Portrait d'un condottiere (Giovanni Emo)


    POUVOIR

     

    Admirez mes lèvres pincées, mon visage sévère,

    Mes rides du front, mon regard arrogant,

    Ma fière allure de condotierre !

    Je suis important.

     

    Les autres m'obéissent et j'aime commander,

    Tous me craignent, je suis puissant,

    Je suis cruel, je suis sans pitié !

    Je suis important.

     

    Mais comme vous, je cache des vices,

    J'éructe et je lâche des vents,

    Je défèque et je pisse.

     

    Je ne suis qu'un sac de viscères.

    Je terminerai en poussières.

    Suis-je important ?


    Paul Obraska 


     


      Le Caravage "Narcisse"



    NARCISSE

     

    Narcisse contemple son visage si beau

    Dans la fontaine à l'eau si claire

    Un reflet liquide sans défaut

    Qui ne cesse de lui plaire

     

    Il ne détache plus son regard

    De cet autre si semblable

    Image aimée insaisissable

    Dans l'eau lisse du miroir

     

    Repoussant celles qui l'aiment

    Il dépérit de désespoir

    Seul avec lui-même

    Prisonnier du miroir


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  •  

    PORTRAITS IV

    Robert Campin (1430)

    PORTRAIT DE FEMME

     

     J'aurais aimé être ce peintre inspiré

    Pour caresser de mes pinceaux

    Ton visage par la grâce épuré

    Que montre ce tableau

     

    M'appliquer sur tes lèvres pulpeuses

    M'attarder sur tes yeux rêveurs

    Frôler de couleurs ta peau soyeuse

    Et vouloir retirer ce voile de sœur

     

    Depuis le lointain Moyen Âge

    Cette toile a traversé le temps

    Pour nous offrir l'image

    De tes premiers printemps

     

    Ton corps depuis longtemps a disparu du linceul

    Mais tu vis encore dans la toile du passé

    L'artiste inspiré à lui seul

    T'a donné de l'immortalité


    Paul Obraska 


    Félix Vallotton "Portrait de la femme au chapeau noir"

    LE CHAPEAU

     

     

    Elle avait gardé son chapeau

    Orné d'un ruban rose et blanc

    Elle avait gardé les yeux clos

    En retenant d'une main

    Sa robe négligemment

    Elle avait dévoilé distraitement

    Un sein

    Et recouvert par malice son voisin

    La poitrine découverte couronnée

    De l'ovale d'or d'un fin collier

     

    C'était le chapeau gardé sur la tête

    Qui avait rendu ce sein si nu

    Et les paupières closes qui avaient rendu

    Ce visage si serein, la pose si coquette

    Et la femme offerte si prête


    Paul Obraska


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  • magritte42.jpg
    René Magritte "La géante"

    LA GEANTE
     
    L’homme dans sa vie d’errance
    Rencontra un jour une géante
    La femme inattendue, immense
    A la nudité impressionnante
     
    Le regard de l’homme stupéfait
    Suivit les hautes colonnes galbées
    Qui montaient, montaient, montaient
    Jusqu’au triangle aimé des perditions
    Jusqu’à l’ample nid de l’Humanité
     
    L’homme qui ne cherchait que sa satisfaction
    Posa son regard sur les sphères du désir
    La femme géante leva les bras
    Et lassée poussa un soupir
    En révélant ses appâts
    Comme une invitation
     
    Se voulant dominateur même d’en bas
    L’homme chercha son regard en vain
    La femme détourna les yeux avec ostentation
    Un peu méprisante
    Le regard lointain
     
    La femme n’était pas géante
    C’est l’homme qui était nain

    Paul Obraska
     
    AUX FEMMES
     
    Femmes exposées nues à chaque coin de rue
    Femmes rendues honteuses au corps masqué
    Femmes épousées de force par des inconnus
    Femmes abandonnées une fois engrossées
    Fillettes au sexe mutilé pour ne pas jouir
    Filles coupables d’avoir été violées
    Femmes contaminées sans pouvoir rien dire
    Femmes battues pour une soupe en retard
    Femmes tuées dans des relents d’alcool
    Filles impubères vendues aux vieillards
    Fillettes assassinées après l’école
    Femmes prostituées que l’on met au pas
    Filles esclaves de gens sans parole
    Femmes-bétail juste bonnes à mettre bas
     
    Femmes cachées, forcées, répudiées, vendues
    Femmes, exploitées, prostituées, battues,
    Femmes violées, mutilées, tuées
    Au nom des hommes demeurés
    Au nom des hommes sans nom
    Je vous demande pardon

    Paul Obraska

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  • Brulloff-miroir.jpg  Karl Brulloff "Svetlana devinant son futur"

    MIROIR
     

    Une jeune femme inquiète regarde son image

    Cette image qu’elle aime sans cesse regarder

    Le miroir lui offre encore un beau visage

    Qu’elle ne peut s’empêcher de voir laid et ridé  

    Dans le miroir un étranger me regarde étonné

    Cette face inversée est pourtant la mienne

    Ce n’est pas celle que j’aurais imaginée  

    Et jamais les mêmes traits ne reviennent  

    Le miroir comme une horloge implacable

    Reflète peu à peu de cruelles apparences

    Et même la tristesse de se voir semblable  

    Ceux qui se mirent avec complaisance

    Devraient garder leur image en mémoire

    Et briser sans tarder leurs aimables miroirs

    Paul Obraska



     

    PORTRAITS II


    Manet "La mort du toréador"

     

     LE DORMEUR DE L’ARENE  

    C’est une arène ocre bordée d’étables.

    La clameur lentement s’est retirée,

    Comme meurt une vague sur le sable.

    La foule regarde en silence, fascinée.  

    Le toréador allongé sur son échine,

    Tranquille, la tête tournée de côté,

    Une main repose à plat sur sa poitrine,

    Celle qui tenait son épée abandonnée.  

    Il paraît endormi, il a terminé son rôle,

    La cape au sol comme un drapeau vaincu,

    Une flaque de sang près de son épaule,  

    Du sang que l’ocre de l’arène a déjà bu.

    Sable sanglant, jaune et vermeil

    Comme le drapeau hispanique et le soleil.

    Paul obraska
        polenov-le-conteur.jpg Vasiliy Polenov "Portrait du conteur Nikita Bogdanov"

    LE CONTEUR
     

    Dans le froid de l’hiver et le chaud de l’été

    Le conteur s’en va par les chemins boueux

    Des chiffons couverts de paille aux pieds

    Revêtu de ses hardes déchirées de gueux  

    C’est un roi qui va de village en village

    Reçu avec joie dans chaque chaumière

    Les serfs offrent eau et pain en partage

    Et les animaux la tiédeur des litières  

    C’est un roi sans terres et sans bagages

    Son royaume sans limite est celui des rêves

    A la veillée la flambée éclaire les visages

    Tournés vers le conteur qui parle sans trêve  

    Il allume des étoiles dans les yeux de chacun

    Elles illuminent pour un soir leur vie sacrifiée

    Les contes terminés et quand l’âtre s’éteint

    Les serfs sur leurs paillasses continuent à rêver  

    Demain le roi en guenilles reprendra le chemin

    Dans le froid de l’hiver et le chaud de l’été

    Il ira de village en village le bâton à la main

    Partager son royaume de rêves éveillés

    Paul Obraska


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  •   Caravage-diseuse.jpg
    Le Caravage « La diseuse de bonne aventure »

    DISEUSE
     
    Le jeune homme joueur ou crédule
    Tend les plis de sa paume à la diseuse,
    En espérant qu’elle fera sans scrupule
    Le conte d’une destinée fabuleuse.
     
    La femme attentive ne regarde pas la main
    Mais le visage rêveur de celui qui la tend.
    Veut-il vraiment connaître son destin
    Dont chacun sait l’aboutissement ?
     
    Diseuse, tu peux le faire rêver avant sa mort
    D’amours, de richesses et de gloire,
    Les rêves ne changeront rien à son sort.
     
    Diseuse, raconte-lui de belles histoires,
    Les hommes aiment brûler leur présent
    Pour de chimériques enchantements.
     
    Paul Obraska



     
    velazquez-le-bouffon.jpg
    Velazquez « Le bouffon de Calabazas »

    LE BOUFFON
     
    Le regard triste, le bouffon rit
    Il est là pour amuser la galerie
    Alors il grimace ses pitreries
    Et autour les spectateurs rient
     
    Il aime entendre leurs rires
    Pour lui il n'y a rien de pire
    Que l'absence de sourire
    Sur le visage sec des sires
     
    Car son admirable métier était
    De faire paraître la vie plus gaie
    Aux flatteurs fortunés du palais
    Tourmentés de désirs insatisfaits
     
    Le bouffon est là pour les distraire
    Il joue le fou gai pour leur plaire
    Que ne ferait-il pas pour les satisfaire ?
    Il tiendra son rôle comme le fera Molière
     
    Peut-être qu'une mort grotesque
    Leur paraîtra assez burlesque
    Le comédien y est presque
     
    Encore un petit effort
    Et ils pourront rire de sa mort


    Paul Obraska
     
     

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