•  

    SPLEEN

     

    L’hiver s’étale comme une tache grise

    L’hiver s’étire et grignote le printemps

    Les bourgeons frissonnent sous la bise

    Les feuilles au chaud prennent leur temps

    Et la ville est nue

     

    L’hiver s’étire, l’hiver s’étale

    Les peaux sont grises, les peaux sont pâles

    Une lumière épuisée cherche un passage

    A travers un ciel boursoufflé de nuages

    Et les ombres de la ville sont perdues

     

    Je perds un an aujourd’hui

    Je perds un an chaque année

    Comme je perds mes parapluies

    Sans jamais les retrouver

    Et il pleut sur la ville…

     

    Paul Obraska


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  • L'EAU DES FONTAINES    

    Il  y a des pays    

    Où il n’y a pas de fontaines  

    Des pays sans eau  

    Des pays malheureux  

    Il y a des pays    

    Où il y a de l’eau    

    Mais pas de fontaines    

    Ce sont des pays heureux    

    Mais qui n’ont rien compris

             

    Les fontaines    

    On les entend avant de les voir  

    La chanson joyeuse et familière    

    De l’eau clapotant dans l’eau    

    De l’eau éclaboussant la pierre  

    Un chant de promesse de bonheurs  

    Le bonheur d’apaiser la soif    

    Le bonheur de fraîcheur    

    Le bonheur de pureté

     

    Bien sûr il y a les fontaines royales    

    Avec leurs jets d’eau domestiquée  

    De l’eau qui fait des ronds  

    De l’eau qui fait le beau    

    De l’eau qui fait la roue    

    Pour se faire bien voir    

    Mais elle n’est pas à boire

     

    Les petites fontaines sont bien plus belles  

    Au milieu d’une place nue    

    Avec leur chant de chanterelle  

    Coulée de fraîcheur têtue    

    Sur la pierre douce arrondie par l’usure    

    Quelques herbes en houppes    

    Et un peu de mousse au mur    

    Dans ses mains en coupe    

    Pour exaucer une prière    

    On recueille l’eau claire    

    Que l’on boit goulûment    

    Sans retenue bruyamment  

    En serrant les doigts pour éviter les pertes    

    Le visage mouillé de fraîcheur  

    Le menton humide le sourire éclos    

    Sur une place déserte  

    Ecrasée de chaleur    

    Où les maisons volets clos    

    Abritent les dormeurs

     

         

    Paul Obraska


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  • Les vieux racontaient aux jeunes de leur voix flûtée,

    Qu’un horrible fléau, dans les temps anciens,

    Avait ravagé des pays, détruit des peuples entiers,

    Et installé chez tous la terreur du prochain.

     

    Les jeunes écoutaient par respect pour les aînés,

    Mais on sait que les vieux manquent parfois de raison,

    Pour les gens sensés un tel fléau ne pouvait exister,

    Et ils retournaient sans souci à leurs occupations.

     

    On parla du fléau dans des contrées lointaines.

    On ne crut pas les voyageurs malgré leur émotion,

    Leurs récits furent pris pour des calembredaines,

    Et chacun continua en paix ses occupations.

     

    Aux marges du pays apparut le fléau.

    Les sandéfauts pensèrent échapper à ses méfaits,

    Le mal ne toucherait sans doute que les anormaux,

    Et les sandéfauts s’écartèrent des contrefaits.

     

    Le mal envahit brutalement le pays,

    Durcissant les coeurs et brûlant les cerveaux,

    Il détruisit sans égard, les pauvres et les nantis,

    Et jusqu’à l’âme des gens normaux.

     

    Paul Obraska


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  •  

    Les hommes sèment pour leur pardon

    Des pierres gravées de noms disparus,

    Des noms sans tombe ou des tombes sans nom

    De morts inconnus.

     

    Les hommes sèment dans le temps

    Des plaques sur les murs des rues,

    Sur les façades des places publiques,

    Des listes de tués sur des monuments

    Appelés à la mort par ordre alphabétique,

    Des mémoriaux où les noms tournent par milliers,

    Sans corps, dans le néant,

    Jusqu’à donner la nausée.

     

    Les hommes sèment dans les champs

    Des noms dans les cimetières militaires,

    Alignés en ordre par les survivants

    Sur des tombes uniformes à l’infini.

    Une armée en rangs serrés dans la terre,

    Corps disciplinés dans la mort comme dans la vie.

     

    Vaines semailles sans moisson.

     

    La mémoire des massacres passés

    N’empêche pas les massacres à venir,

    La mémoire en pierre des assassinés

    N’empêche pas les hommes de mourir,

    Pour des causes inutiles,

    Pour des causes futiles,

     

    Ou d’être exterminés sans raison

     

    Paul Obraska


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  • LES VOIX

     

    Te souviens-tu des voix

    Qui sortaient des boîtes de bois

    Vibrantes de menaces ou d’espoir

    Portées par les ondes chaque soir

     

    Te souviens-tu de cette voix

    Vociférant des imprécations

    De la foule en fureur à l’unisson

    Qui nous glaçaient d’effroi

     

    Te souviens-tu de cette voix

    Chevrotante du vieillard prêcheur

    Qui allait fournir aux prédateurs

    Les rabatteurs pour leurs proies

     

    Te souviens-tu de cette voix

    Fragile franchissant la Manche

    Si faible qu’il fallait que l’on se penche

    Pour entendre la boîte de bois

     

    Te souviens-tu de cette voix

    Qui annonçait que loin, là-bas

    Dans les plaines blanches et glacées

    Naissait l’espoir de la liberté

     

     

     

    Paul Obraska

     

     

     


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  •  

    LA LETTRE ANONYME

     

    Elle fut écrite dans les temps anciens

    Servant de preuve dans un livre sacré

    On ignore le nom du délateur écrivain

    Un ermite du désert ou un mari trompé

     

    Elle accusait la femme du premier des péchés

    De la honte d’avoir été chassés du jardin d’Eden

    D’avoir dévoilé le bien et le mal à l’humanité

    A l’origine de l’exil de l’homme et de ses peines

     

    Depuis la femme est en garde à vue

    Sur cette calomnieuse dénonciation

    Par une lettre écrite par un inconnu

     

    Voilà des millénaires qu’elle vit sa punition

    Dans une geôle qu’elle porte parfois sur elle

    Sous les cieux où les lettres restent éternelles


    Paul Obraska


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  •  

    Achats

     

    Les grands magasins craquent

    Leurs vitrines font la manche pour attirer le chaland

    Les gens claquent un fric qu’ils n’ont peut-être pas

    Ils virevoltent au milieu du luxe et des lumières

    Et sortent avec de petits cercueils sous les bras

    Pour enterrer l’année

     

    Travaux

     

    Les piétons le pas prudent passent de trou en trou

    Le long des barrières de bois rayées de vert

    Le long des travailleurs de toutes les couleurs

    Les uns creusent ils sont plutôt noirs

    D’autres regardent ils sont plutôt blancs

    Mais tous ont le gilet jaune et le casque orange

    La terre déshabillée de son béton est nue sous la pluie

    Et les ouvriers bottés pataugent dans la boue

     

    Traversée

     

    Vert – Orange – Rouge – Vert

    Les feux vains sont ridicules

    Les automobiles restent immobiles

    Chenilles de métal collées les unes aux autres

    Un bus bondé barrit tel un éléphant entravé

    Les voitures fument et feulent prêts à bondir

    Les piétons agglutinés hésitent craintifs

    Un pas sur la chaussée au ras du cul du bus

    Dans l’haleine chaude et puante du moteur

    Les piétons s’engouffrent agglutinés

    Dans les fentes laissées par les pare-chocs

    Evitent un bolide rugissant casqué de noir

    Enhardis mais groupés ils passent

    Et se retrouvent sain et sauf sur l’autre trottoir

    Quelle aventure !

     

    Tentatives

     

    Les chauffeurs klaxonnent avec énergie

    Mais les voitures restent inertes

    Seuls les essuie-glace bougent sur place

    Métronomes battant les gouttes en mesure

    Ceux qui attendent un bus se déplacent

    Pour regarder au loin s’il vient

    Et espèrent en regardant le faire venir

    En vain 

     

     

    Paul Obraska


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  •  

    L’âge d’or hollandais

     

    Ces hommes morts depuis si longtemps

    Dans leurs sombres habits du dimanche

    Manches bouffantes et  dentelles blanches  

    Ces femmes le visage serein et leurs belles mains

    Les reflets chatoyants de leurs lourdes robes

    Je les regarde et ils me regardent sans me voir

    De leurs yeux fixes qui jamais ne se dérobent

    Regards d’outre-tombe, regards d’outre-siècles

    Leur intimité déflorée par la foule indiscrète

    Qui défile au pas  devant ces morts immortels

    Aplatis sur la toile pour franchir le temps

     

    Voilà sur un fond obscur une table d’abondance

    Une branche de vigne déverse ses raisins luisants

    Citron ouvert, orange entière, noix fendues

    Corps d’huitres écartelées, châtaignes nues

    Le cœur d’une grenade étale ses grains de sang

    Quelques cerises oblongues prêtes à chuter

    De la nappe vert sombre aux franges dorées

    Un escargot intrus glisse au bord du festin

    Sous une branche aux fleurs flavescentes

    Une carafe sombre reflète une fenêtre éclairée

    Et une mèche à bout rougeoyant serpente

    A cheval sur une pipe blanche au foyer éteint

     

    Et en passant on entre dans leur vie

    Un chat agrippe la nappe garnie de mets

    Pendant que la vieille prie les yeux fermés

    Une lettre d’amour ouverte devant nous

    Une femme à sa toilette retire un bas couleur brique

    Il a marqué le haut du mollet et sa cuisse est levée

    Une mère attentive épouille son enfant à genoux

    Intérieur impeccable, le soleil glisse dans l’entrée

    Un atelier de tailleur, un boulanger et son pain

    Un marché à poissons dont on perçoit l’odeur

    Des paysans attablés, un moine cartes en main

    Et les villageois jouent sur un lac gelé, insouciants

    Avant d’être tous foudroyés par le temps.

     

     

    Paul Obraska


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  • UN AIR DE VACANCES

     

    Des bandes d’enfants défilent dans les gares

    Equipées comme des armées sur le départ

    Petits soldats courbés sous leur sac à dos

    Des pancartes de carton pour drapeaux

     

    Il fait chaud dans Paris sous un ciel voilé

    Dans les rues les femmes sont déshabillées

    Les seins se préparent à aller sur la plage

    A demi découverts sous le voile du corsage

     

    Les cafés obscurs se vident sur les terrasses

    Les serveurs en sueur ramassent les tasses

    Les cyclistes naviguent entre les voitures

    Et les piétons évitent les vélos peu sûrs

     

    Un air de vacances flotte dans l’air pollué

    Ceux qui partiront sont déjà partis en pensée

    Ceux qui ne partent pas deviennent nonchalants

    Et ralentissent leurs pas en se promenant

     

    Dans Paris en juillet sous la chaleur de l’été.


    Paul Obraska


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  • Un jour je partirai d’ici

    J’irai de port en port

    J’irai de pays en pays

    J’irai de visage en visage

    J’irai de corps en corps

    Et au bout du voyage

    Là-bas au bout de la terre

    Je te rencontrerai

    Enfin

    Toi que j’ai quittée

    Et je t’épouserai



    Paul Obraska


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