• SUR UNE MUSIQUE DE DESNOS

     

    Hommes, femmes, enfants entassés dans les trains,

      

    Des wagons à bestiaux pour des êtres humains,

      

    Ça n’existe pas, ça n’existe pas.

      

    Tout un peuple incrédule mené à l’abattoir,

      

    Des couples comme animaux de laboratoire,

      

    Ça n’existe pas, ça n’existe pas.

      

    Des villageois creusant leur fosse commune,

      

    Ensevelis encore vivants, gémissant à la lune,

      

    Ça n’existe pas, ça n’existe pas.

      

    Des humains déjà morts avant de mourir,

      

    Des murailles de cadavres prêts à pourrir,

      

    Ça n’existe pas, ça n’existe pas.

      

    L’Europe constellée d’immondes mouroirs,

      

    Des enfants écrasés comme des cafards,

      

    Ça n’existe pas, ça n’existe pas.

      

    Eh ! Pourquoi pas ?

     

    Paul Obraska


    Desnos 


    Robert Desnos avait écrit un poème gai : LA FOURMI, avant d’être arrêté et

      

    déporté au camp de Térézin et d’y mourir du typhus en 1945, peu de temps

      

    après la libération du camp.

     

    Une fourmi de dix-huit mètres

      

    Avec un chapeau sur la tête,

      

    Ça n’existe pas, ça n’existe pas.

      

    Une fourmi traînant un char

      

    Plein de pingouins et de canards,

      

    Ça n’existe pas, ça n’existe pas.

      

    Une fourmi parlant français,

      

    Parlant latin et javanais,

      

    Ça n’existe pas, ça n’existe pas.

      

    Eh ! Pourquoi pas ?

     

      

    Le lendemain de la mort de Desnos on trouva sur lui des papiers d’après

      

    lesquels  le poète tchécoslovaque A. Kroupa, qui avait reconnu Desnos dont

      

    il avait été l’ami, adapta LE DERNIER POEME écrit dans l’enfer

     

      

    J’ai rêvé tellement fort de toi,

      

    J’ai tellement marché, tellement parlé,

      

    Tellement aimé ton ombre,

      

    Qu’il ne me reste plus rien de toi.

      

    Il me reste d’être l’ombre parmi les ombres

      

    D’être cent fois plus ombre que l’ombre

      

    D’être l’ombre qui viendra et reviendra

      

    dans ta vie ensoleillée.

     


    46 commentaires

  • Dessin de Steinlen, La Feuille n°6 du 21 janvier 1898

     

    FOULES

     

    Foule hystérique dans les cirques électrisés

    Sautant hallucinée, spasmodique et soumise

    Droguée par le rythme et les cris écervelés

    Jubilation grégaire d’une folie admise

     

    Foule morbide fascinée par le sang

    Têtes décrochées pour voir le crime

    La voiture au pas pour voir l’accident

    Fixée sur l’écran constellé de victimes

     

    Foule haineuse, hurlante, bouches ouvertes

    Corps serrés, poings levés, drapeaux brûlés

    Portraits brandis comme amulettes

    Prête à mourir pour des billevesées

     

    Foule meurtrière, criant vengeance

    Pierre, torche ou corde à la main

    Sans besoin de la moindre sentence

    Pour pousser au gibet l’innocent de demain

     

    Foule mécanisée, faite pour la guerre

    Sous le cerveau de quelques-uns

    Mêmes habits, mêmes cimetières

    Gens ordinaires mutés en assassins

     

     

    Paul Obraska

     


    56 commentaires

  • George Grosz « République d’automates » 1920

     

     

    LES AUTOMATES

     

    Le chant métallique des automates s’élève sur le monde

    Plus le monde devient lourd plus leur chant devient fort

    Un chant grinçant,  un chant désaccordé, un chant de mort

    Les automates de toutes les couleurs obéissent aux ondes

     

    Les automates acceptent d’être automates

    Ils sont contents de bouger sans penser

    Des pensées mâchées leur sont données

    Chaque matin dans le vide de leurs boîtes

     

    Ils font tous les mêmes gestes

    Ils font tous les mêmes guerres

    On leur dit de quoi ils doivent être fiers

    On leur dit où est la Peste

     

    Alors ils chantent de plus en plus fort

    Parce qu’ils ont de plus en plus peur

    Les automates chantent en chœur

    Pour oublier qu’ils sont déjà morts

     

     

    Paul Obraska


    16 commentaires
  •   

    MEUTES XV


    Max Beckmann « Nuit » 1918-1919

     

    LA NUIT BARBARE

     

    La nuit avait envahi la terre

    Et les fantômes ont surgi des profondeurs

    Entremêlant leurs restes de chairs

    Assassins, violées et violeurs

    Dans un amas de corps écartelés

    Bourreaux et victimes captives

    Ensemble dans la nuit ensanglantée

    Par delà les frontières, par delà les rives

    Les fantômes sont venus rejouer leur vie

    Revivre l’horreur de leurs cauchemars

    Ce qu’ils ont fait subir, ce qu’ils ont subi

    En sombrant unis dans la nuit barbare

    Paul Obraska


    19 commentaires


  • René Magritte « L'avenir des statues »

     

    PERSUASION

     

    Un homme vaincu

    a forcément tort

    Un homme mort

    est un homme convaincu

    Un convaincu a tort d'être mort

    il ne peut plus dire ses torts au plus fort

     

    Et lorsque s'accumulent les morts pour leur bien

    on les met ensemble dans des fosses communes

    où les hommes se retrouvent enfin

    et que disparaît leur rancune

     

    Plus le vainqueur tue de gens plus il sera décoré

    Et les survivants persécutés persuadés

    feront au tueur de grandioses  statues

    sur les places et dans le vide des rues

     

    Paul Obraska


    8 commentaires


  • George Grosz « L’agitateur » 1928

     


    L’AGITATEUR

     
    L’agitateur remue du vent
    L’agitateur remue du bruit
    L’agitateur remue du sang
    Devant les foules ébahies

     
    Le bonhomme incroyable
    S’agite, menace et vocifère
    Mais les gens raisonnables
    Trouvent ridicule sa colère

     
    lIs ne le croient pas dangereux
    Ce n’est qu’un clown tragique
    Comment prendre au sérieux
    Ce petit pitre pathétique

     
    Et les gens raisonnables impuissants
    Voient l’agitateur agité prendre le pouvoir
    Opprimer, séquestrer et verser le sang
    Puis transformer le monde en mouroir



    Paul Obraska

    10 commentaires
  • L’Europe M’a offert dès le début

    Ses peuples sombrant dans la guerre,

    Dans un grand massacre inattendu

    Pour de misérables talus de terre.

     

    Les soldats creusaient leurs tombes,

    En sortaient tels des spectres pour mourir,

    Les membres amputés par les bombes.

    On fête en Novembre leur souvenir.

     

    (Extrait des « Confessions de Satan » dans MEUTES IV)

     

    Vasily Vereshchagin "L'apothéose de la guerre" 1871



    L’ETERNEL RETOUR

     

    Sur une terre nécropole

    A perte de vue

    Où l’herbe que l’on dit folle

    a disparu

    Où des arbrisseaux rabougris

    Tendent leurs feuilles perdues

    Dans une plaine jaunie

    Habitée d’insectes et de corbeaux

    Leurs sinistres croassements

    Hantent un silence de caveau

    Reste

    Un monticule blanc

    Grimaçant

    Une pyramide trouée

    Où se posent les oiseaux

    Intrigués

    Noirs sur le monticule blanc

    Tas de crânes amoncelés

    Présents nuptiaux des trépassés

    Que la Guerre en passant a laissés

    Pour aller ailleurs, amante cruelle

    Faire sa tournée mortelle

    Où les hommes fidèles

    Attendent depuis toujours

    Tourmentés, son retour

     

     

    Paul Obraska

     


    6 commentaires

  • Salvador Dali "Six images de Lénine sur un piano" 1931


    CROYANCES

     

    Ils ont cru avec leur tête et leurs entrailles,

    Ils ont cru aux chants promis des lendemains,

    Aux sacrifices nécessaires, aux ultimes batailles,

    Ils ont cru leurs livres et leurs discours malins.

     

    On leur a dit que la terre était plate

    Et ils ont répété que la terre n’était pas ronde.

    On leur a dit que la terre n’était plus plate

    Et ils ont répété que la terre était devenue ronde.

     

    Ils avaient foi dans leurs idées,

    Alors qu’importe ce que disait l’adversaire,

    Puisqu’ils avaient raison pourquoi raisonner,

    Les autres le verront lorsqu’ils seront à terre.

     

    Les autres ont dit, pour les mettre dans l’embarras :

    « Mais regardez ce que font vos croyances ! »

    Et ils n’ont pas cru ceux qui ne croyaient pas.

    Ils ne pouvaient pas croire aux apparences.

     

    On ne peut pas se tromper toute une vie,

    On ne peut pas sacrifier une vie entière

    Pour des idées confisquées et trahies,

    Elles étaient justes, ils en restaient fiers.

     

    Alors ils sont morts en croyant toujours

    Ou ont accepté d’être tués par amour.


    Paul Obraska


    8 commentaires
  • Rembrandt "La parabole de l'homme riche"



    VORACE

     

    J'accumule...J'accumule...J'accumule...

    Même quand je dors, pendant mon absence

    J'accumule de l'argent à ne savoir qu'en faire

     

    Il arrive dans mes poches sous toutes ses formes

    Actions, bénéfices, jetons de présence

    Indemnités, primes, salaires

    Ma fortune est énorme

     

    Je n'ai jamais assez de sous

    Je tire de l'argent de partout

    Même si je ne sais qu'en faire

    Mes autos, je ne m'en sers guère

    J'ai bien sûr une voiture de fonction

    Je possède appartements et maisons

    Mais je ne m'y rends que pour recevoir

    Ceux dont je cherche à tirer de l'argent

     

    Du matin jusqu'au soir

    Je consacre tout mon temps

    A grossir mes avoirs dont je n'ai nul besoin

     

    J'ai un pied dans la tombe mais j'accumule toujours

    La Faucheuse n'est pas à vendre et je serai fauché un jour

     

    Je regrette les temps anciens

    Où les morts emportaient leur trésor dans leur tombe

    Je n'aurai sur moi qu'un costume moche

    Et pas un sous en poche

    C'est le comble

     

    Je laisserai aux autres mon énorme pécule

    Ils attendent de me mettre dans la tombe

    J'accumule...J'accumule...j'accumule...


    Paul Obraska 

     

    George Grosz "Eclipse de Soleil"


    LA LOI DU MARCHE

     

    Le général à la table du conseil

    Croisé couronné médaillé

    Ecoute dans le creux de l'oreille

    Le discours tentateur murmuré

    Par un monsieur propre sur lui

    Qui propose pour un prix exorbitant

    Une très merveilleuse panoplie

    De quoi mettre des pays à feu et à sang

    Cacher le soleil d'un écran de flammes

    Et remplacer la nuit par un jour orangé

    Mais le général a des états d'âme

    Il hésite à conclure le marché

     

    Rien à dire sur la marchandise du vendeur

    Et les anonymes sans tête la payeront

    Oh ! Une guerre ne lui fait pas peur

    Puisque ce sont les autres qui la feront

    Le général hésite car il sait compter

    Et il trouve que sa commission

    N'est pas assez élevée


    Paul Obraska


    8 commentaires
  • Engène Beyer "Le massacre des juifs de Strasbourg le 14 février 1349"


    VIOLENCE

     

    J'ai été élevé pour tuer

    Des hommes, bien sûr, pas des bêtes

    J'aime mon métier

    Une tuerie est une fête

     

    Les bêtes tuent pour se nourrir

    Ou pour se défendre

    Moi je tue pour le plaisir

    Ah ! Il ne faut pas être tendre

     

    La tendresse je la laisse aux victimes

    J'aime qu'ils me supplient de les épargner

    Les tuer ce n'est plus un crime

    Je ne fais que nettoyer

     

    J'aime la prière des vieillards

    Faciles à massacrer

    Je poursuis les enfants braillards

    Je tue les femmes après les avoir violées

     

    Je laisse les maisons en flammes

    C'est beau un feu purificateur

    Où brûlent les corps des infâmes

    Et les quelques vivants en pleurs

     

    Et puis on fête entre amis

    Nos exploits de la journée

    On se raconte nos tueries

    Au milieu des rires avinés

     

    A l'église je me rends le lendemain

    Je m'agenouille pour prier

    Pour le salut de mon prochain

    Devant le Juif crucifié

     

    Le prêtre m'absout de mes péchés

    Je suis en règle avec ma conscience

    Demain je pourrais recommencer

    Puisque j'ai fait pénitence


    Paul Obraska


    2 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique