• Retour vers le passé

    Van-Gogh-gachet.jpgEn prolongement de l’article précédent voici, par ce billet, un petit coup d’œil sur le passé. Ce bref voyage dans l’histoire, par quelques exemples, n’est pas inutile puisqu’une partie de la population, soutenue par la démagogie des autorités, semble considérer que les médecins ne sont plus ce qu’ils étaient, et qu’ils font passer aujourd’hui leurs intérêts avant leur éthique.
    Pendant des siècles, il était convenu que les médecins devaient soigner les pauvres gratuitement et faire payer les riches bourgeois, car pour les aristocrates il fallait espérer leur générosité. Si celle des souverains était souvent grande, « Madame de Coislin soutenait qu'autrefois une personne comme il faut ne se serait jamais avisée de payer son médecin » (Chateaubriand) [1]  .
    Dans le passé certains praticiens eurent tendance à fertiliser largement leur altruisme.
    Les honoraires fabuleux que demandaient certains médecins de l'Antiquité sont parfois le principal motif de leur passage à la postérité, tel Asclépiade de Bithynie, le premier des grands médecins grecs venus s'installer à Rome au premier siècle avant notre ère.
    Un médecin de l'école de médecine de Salerne au XIIe siècle conseillait à ses étudiants une méthode peu orthodoxe pour récupérer des honoraires impayés : « Fais-lui prendre de l'alun à la place de sel dans sa nourriture, ce qui ne manquerait pas de le couvrir d'éruptions » [2]  
    Au XIVe siècle, John of Arderne, le père de la chirurgie anglaise, imagina de demander une certaine somme cash puis la même chaque année de survie du patient. L'inverse d'une rente viagère.
    Ferdinand Sauerbruch, pionnier de la chirurgie thoracique, inventa au début du XXe siècle une chambre pneumatique permettant d'ouvrir un thorax et d'opérer un poumon sans tuer le patient. Chirurgien le plus célèbre d'Europe, ses honoraires étaient pharamineux. A un parent qui lui demandait un rabais, il aurait répondu : « au-dessous de cette somme mes mains tremblent »
    Des cuillers à tirer les bébés et l'argent.
    On pouvait faire fortune en inventant un instrument dont on conservait le secret, ses avantages assurant la clientèle. Ce fût le cas pour les forceps, cuillers à extraire les bébés inventées par William Chamberlain ou son fils aîné Peter, huguenots émigrés de France en Angleterre en 1569. Pendant un siècle leurs descendants formèrent une dynastie d'accoucheurs qui délivrèrent, entre autres, les reines d'Angleterre, en gardant le secret de l'instrument par cupidité. Pour ce faire, ils isolaient la parturiente derrière des rideaux et œuvraient seuls pour que la sage-femme ne voit pas l'instrument et éviter qu'on ne vole leurs cuillers. Evidemment le secret finit par être éventé avant qu'on ne retrouve le forceps des Chamberlain, un temps perdu, dans sa boîte, et dans la maison de famille au début du XIXe siècle. Entre temps le forceps avait été également inventé par le Flamand Johannes Palfyn et par le Français André Levret.
    Retour vers le présent.
    Bien sûr, les sociétés du présent ne sont heureusement pas celles du passé. Les sociétés ont évolué de l’assistance privée très aléatoire, car soumise à la discrétion des individus, à une assistance publique où le médecin a perdu son pouvoir discrétionnaire, ce qui a contribué à lui faire perdre une partie de son prestige. Le savoir et le dévouement (quel que soit le métier) ont moins de prestige que le pouvoir de décider. Si le médecin a perdu de son prestige dans la société, il le récupère au lit du malade où son pouvoir décisionnaire est nécessaire, le fameux « pouvoir médical » qui heurte les bonnes âmes égalitaires mais incompétentes. D’où les mesures et la terminologie qui visent depuis au moins une décennie à le combattre : consentement éclairé, source d’angoisse pour le patient et de protection médico-légale pour le médecin, participation du malade en tant que « partenaire » à la décision médicale, partenariat illusoire en raison de l’asymétrie des partenaires. Tout une série de faux semblants car en dernière analyse c’est au médecin - s’il est digne de l’être - de proposer la solution qui lui parait la meilleure (lorsqu’elle existe) pour son patient et celui-ci a comme seule liberté celle de la refuser, liberté qu’il a toujours eue dans le passé comme dans le présent.
     
    Vincent Van Gogh : « Portrait du Dr Gachet »

    [1]  Mémoires d'outre-tombe
    [2]   Cité par Kenneth Walker, Histoire de la médecine
    « 123. L’altruisme égoïsteL’écu des retraités »

  • Commentaires

    1
    Jeudi 15 Novembre 2012 à 18:24
    Une belle suite à l'article précédent Doc.... Bravo.
    C'est drôle, en fin d'après midi j'ai eu la visite de la personne qui s'occupait du jardin et qui pour un kyste cancéreux sur le cuir chevelu a du subir une exérèse et une greffe...
    Il m'expliquait avoir refusé la chimio préventive qui lui était proposée en raison d'une ablation de la thyroïde il y a quelques années, le lévothyrox étant une contrainte de fatigue supplémentaire à une chimio, ou vice versa.
    Discussion ouverte et éclairée entre cette personne et son toubib, et décision d'effectuer des contrôles tous les deux mois.
    C'est comme cela que je vois la médecine, une discussion ouverte et éclairée entre le médecin et le patient, un dialogue qui souvent se trouve freiné par le titre honorifique de Docteur que j'ai toujours refusé.
    Quand je rencontre mon médecin ou autres spécialistes, j'emploie Monsieur ou Madame selon le cas.
    Bonne soirée Doc.
    2
    Jeudi 15 Novembre 2012 à 18:49

    Eclairer le patient, discuter de la solution à adopter font partie de la base de la médecine, mais patient et malade ne sont pas des partenaires. Ils ne sont pas dans la même position, ils n’ont pas le même savoir, n’ont pas la même angoisse, et ne courent pas les mêmes risques.

    3
    Jeudi 15 Novembre 2012 à 19:14
    Je viens d'apprendre beaucoup de chose, certaines amusantes, d'autres parfaitement ridicules. Remonter dans le temps a donc parfois ses avantages, j'ai beaucoup aimé !
    Nous n'en sommes plus là, et je crois que la grogne actuelle des patients envers leur généralistes vient du fait que ceux-ci sont dans l'obligation trou de la SECU oblige, de restreindre les arrêts maladies. La raison est on ne peut plus égoïste et stupide, croyez-moi Paul, beaucoup de patients en profitait avec par exemple dés "mal de dos imaginaires"!
    Cette méchante mode passera du moins je l'espère, sinon les français véritable moutons de Panurge vont décourager les vocations : chose à laquelle les gouvernements qui ne connaissent rien à rien en ce domaine, participent de plus en plus ! Respectons nos médecins et la médecine, ils le mérite et nous en avons besoin !
    Le praticien très pensif du tableau est remarquablement de circonstances.
    Nettoue
    4
    Jeudi 15 Novembre 2012 à 20:50

    J'ai l'impression que tôt ou tard, la médecine libérale telle que nous la connaissons disparaîtra.

    5
    Evy
    Jeudi 15 Novembre 2012 à 21:24
    Bientôt on ne pourra plus se soigner vue les tarifs bonne soirée bisous evy
    6
    Vendredi 16 Novembre 2012 à 11:10

    Vous trouvez que 23 € pour consulter un médecin généraliste est un tarif prohibitif ?!

    7
    Evy
    Vendredi 16 Novembre 2012 à 14:28
    Non bien sur mais si comme moi on ne peu pas payer les dépassement entre autre entre mon Diabète ma tension et problème de coeur avec en plus beaucoup d'arthrose on m'a opérer des mains mais je comprend très bien les Docteurs bonne journée evy
    8
    Vendredi 16 Novembre 2012 à 16:00
    J'ai connu des médecins comme vous les décrivez. Dans le temps. Aujourd'hui, j'avoue avoir bien du mal à prendre leurs successeurs au sérieux
    Amitiés.
    9
    Vendredi 16 Novembre 2012 à 17:42

    Donc, en principe, ALD. Il vous reste à trouver des médecins secteur 1.

    10
    Vendredi 16 Novembre 2012 à 17:44

    Parce que les gens sont à présent bien informés. Ce qui ne les empêche pas d'enrichir les charlatans.

    11
    Vendredi 16 Novembre 2012 à 18:03
    J'aime quand vous parlez médecine et médecins ! Je crois que j'aurais beaucoup apprécié d'être une de vos patientes... Les quelques médecins que j'ai dû fréquenter ces derniers temps ne m'ont pas vraiment convaincue ! Ceci dit ce n'est pas une raison pour en faire des bandits.
    12
    Vendredi 16 Novembre 2012 à 18:38

    J'ai eu la  chance d'exercer mon métier dans de bonnes conditins. J'ai arrêté lorsque j'ai senti que ces conditions allaient se détériorer.

    13
    Vendredi 16 Novembre 2012 à 18:50
    Il est à la mode de dire pis que pendre des médecins. C'est malsain. Une société est bien malade et ses dirigeants aux abois quand on choisit ses boucs émissaires dans une profession aussi nécessaire et dont les membres sont dans leur immense majorité des gens compétents, honnêtes et respectables.
    14
    Vendredi 16 Novembre 2012 à 19:14

    Je trouve aussi que l'ambiance n'est pas très bonne. Il suffit de se promener un peu sur le net. Opposer les médecins à leurs futurs malades, c'est une plaie qui risque de rester ouverte.

    15
    Vendredi 16 Novembre 2012 à 19:24
    Pourquoi ne pas se scandaliser plutôt des sommes indécentes que rapporte le trafic de drogue?
    16
    Vendredi 16 Novembre 2012 à 19:30

    Parce que la lutte contre le trafic est un échec et avec les salles de "shoot", on l'admet.

    17
    Samedi 17 Novembre 2012 à 09:00
    Les laboratoires pharmaceutiques ne font pas autre chose que Chamberlain. Aujourd'hui, plus besoin de cacher ses trouvailles, on dépose des brevets.

    Je suis d'accord avec l'idée que désigner les médecins comme peu ou prou responsables d'un problème de justice social dans ce pays est d'une injustice et d'une stupidité sans nom !
    C'est vraiment mal les connaitre ou les confondre avec les seuls chirurgiens esthétiques qui font la une des magazines people!
    18
    Samedi 17 Novembre 2012 à 09:19

    Vous avez raison, les brevets aujourd'hui permettent d'exploiter un certain temps une invention. Ce qui est irritant et injuste est, en effet, de jeter l'opprobe sur l'ensemble d'une profession, qui n'a pas grand chose à se repprocher, en l'assimilant à une minorité peu recommandable, mais qui n'existe que parce qu'une clientèle s'adresse à elle.

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