• 123. L’altruisme égoïste

    « L'altruisme humain qui n'est pas égoïste est stérile » (Paul Valéry).

    Avant d’aborder les problèmes de fond (et difficiles à résoudre), la ministre de la santé, Marisol Touraine, a considéré comme prioritaire de s’attaquer aux dépassements d’honoraires (promesse électorale) permis par le secteur 2. Ce secteur 2 avait été instauré par Raymond Barre préférant, plutôt que de revaloriser les honoraires de tous les médecins, permettre à ceux qui le choisiraient de pouvoir prendre un tarif au-delà de celui fixé par la convention avec l’assurance maladie, mais en perdant quelques avantages par rapport à ceux qui restaient dans le secteur 1 (dans lequel le tarif conventionnel est respecté, la majorité). Comme je l’ai dit ailleurs, je pense que cette manœuvre faite en premier est maladroite.

     

    D’abord, parce que les dépassements excessifs, qui n’ont aucune justification, ne concernent qu’une petite minorité de patriciens, et il faut ajouter que certains patients sont impressionnés par le montant des honoraires, alors que c'est le plus souvent un piège. La qualité d'un praticien n'est aucunement proportionnelle aux honoraires exigés. D'autres sont capables aujourd'hui de rendre le même service sans gonfler de façon indécente les leurs. Le dépassement d'honoraires nécessite la complicité du patient, souvent fortuné, qui oublie qu'aucun médecin, aucun chirurgien, ne possède de remède miracle ou un savoir-faire que d'autres ne possèdent pas.

     

    Qu’ensuite, en faire une priorité sent la démagogie en suggérant à la population qu’en ce temps de crise, les médecins font passer leurs intérêts avant leur éthique, et en montrant que la gauche a le souci de s’attaquer à ce qu’elle considère comme des privilèges rendant l’accès aux soins inégalitaire.

     

    Enfin, cette mesure, dont l’intérêt est finalement limité, a eu comme conséquence une révolte de beaucoup de médecins qui en ont assez d’être ainsi montré du doigt, alors que si une partie d’entre eux prend des honoraires libres, car leurs actes n’ont pas été revalorisés depuis des années,  d’autres se paupérisent malgré des semaines de 60 heures et subissent une pression administrative qui leur devient intolérable, ce qui les conduit à quitter la médecine libérale. Commencer par se mettre à dos une bonne partie du corps médical  pour pratiquement rien n’était pas très habile.

     

    En ce moment, des médecins et des chirurgiens du secteur 2 (honoraires libres) s’expriment dans les médias, et l’ont fait notamment dans « Rue 89 », déclarations suivies de commentaires peu amènes que j’ai eu la curiosité de lire. J’ai relevé trois réactions du public qui reviennent régulièrement:

     

    D’abord une erreur malhonnête et présente partout, y compris dans les médias, au point de se demander si elle n’est pas volontaire : les médecins n’ont rien à dire car ils sont payés par la sécurité sociale. C’est évidemment faux, les médecins sont payés directement par les patients et ceux-ci ont l’obligation de prendre une assurance, l’assurance maladie (complétée ou non par une mutuelle), pour laquelle ils cotisent ainsi que leurs patrons, et qui leur rembourse totalement ou partiellement les frais engagés. Exception faite pour les patients bénéficiant de la CMU en raison de leurs faibles revenus où la sécurité sociale règle (avec retard et parfois après réclamation) au médecin les honoraires dus. Situation similaire à celle d’une assurance auto où la compagnie, à laquelle vous versez une prime annuelle, vous rembourse en cas ne nécessité les frais de réparation de votre automobile.

     

    Ensuite, l’expression d’un sentiment très humain, celui de l’envie : ces médecins gagnent finalement bien leur vie, en tout cas ils gagnent plus que moi, alors de quoi se plaignent-ils quand il existe tant de pauvres ? Imparable. Il est dommage qu’ils ne crèvent pas de faim.

     

    Enfin, la critique éthique. Le serment d’Hippocrate revient à la pelle : quoi que l’on vous fasse vous devez respecter ce serment et vous taire. L'essentiel de cet engagement est toujours respecté par les médecins, mais je me permets de rappeler que ce fameux serment, que l’on prête surtout par tradition,  date d’environ 2500 ans, donc bien avant l’instauration de la sécurité sociale et que depuis la société a un peu changé. Les commentateurs, très hippocratiques, ne manquent pas de rappeler que les médecins se doivent de soigner gratuitement les indigents. Il fut, en effet, une époque où le médecin  ne faisant pas payer les pauvres, se rattrapait sur les riches, une manière de redistribution, qui est à présent confiée à l’Etat. Même aujourd’hui, je pense qu’aucun médecin ne refuserait de donner ses soins à quelqu’un n’étant pas pris en charge par la société et dans l’incapacité de payer.

     

    Ce serment d’Hippocrate me rappelle un souvenir. Dans ma jeunesse j'ai eu l'occasion de remplacer un de mes patrons hospitaliers qui n’était pas conventionné. Appelé par un médecin généraliste auprès d’une patiente qui vivait sous les toits dans une espèce de grenier, et que j’ai trouvé couchée sur un grabat, après ma consultation, en voyant l’environnement, je n’ai réclamé aucun honoraire. En descendant les escaliers, j’étais plutôt fier d’avoir respecté le serment d’Hippocrate, mais le médecin généraliste qui m’accompagnait me fit remarquer que j’avais eu tort de ne pas prendre d’honoraires, car cette patiente, bien que vivant sous les toits, était en fait très riche. Je m’étais rendu ridicule.

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 14 Novembre 2012 à 17:59
    Entièrement d'accord avec vous! Cette démagogie sur les dépassements d'honoraires est agaçante pour ne pas dire plus.
    2
    Mercredi 14 Novembre 2012 à 18:28
    Cela devient ridicule....!!!! Les dépassements d'honoraires exorbitants sont en effet rares. Je ne sais plus si c'est à vous à qui j'en parlais, mais lors de mon renouvellement de médicaments, je discutais avec mon généraliste qui était hors de lui et très remonté contre la CPAM. Il avait du se déplacer pour constater le décès de l'un de ses patients en situation d'ALD et d'invalidité comme je le suis. Il a donc facturé à la CPAM le prix d'une consultation, et d'un déplacement (46€) et la CPAM lui refusait 3 mois après, le remboursement sous prétexte que le constat de décès est gratuit. Franchement, quand il m'a raconté son histoire, heureusement que j'étais assise.
    Bonne soirée Doc
    ZAZA
    3
    Mercredi 14 Novembre 2012 à 18:30

    Et quand on empêchera les 600 rapaces de prendre des honoraires excessifs, ça changera quoi ?

    4
    Mercredi 14 Novembre 2012 à 18:33

    Le détail qui tue...

    5
    Mercredi 14 Novembre 2012 à 19:07
    Tout cela procède d'un mouvement général, le médecins sont des "riche" et, comme tels, il importe qu'ils soient punis.
    Il appartient aux socialos de donner un peu de barbaque à la vindicte populaire.
    Cela dit, si la Sécu n'était pas le vaste foutoir que nous savons, il serait sans doute possible de rémunérer plus correctement le corps médical.
    Amitiés.
    6
    Mercredi 14 Novembre 2012 à 19:15
    La France est mécontente, avec raison sans doute, mais comme, elle n'est pas encore prête à clouer au pilori les vrais responsables, elle renchérit, sur les idioties avancés par Marisol Touraine.
    Certains spécialistes abusent avec le montant de leurs honoraires, soit, mais personne n'est obligés de les consulter. Ce procès stupide envers nos médecins et spécialistes dévoués me hérissent les poils !
    Bonne soirée Paul
    Nettoue
    7
    Mercredi 14 Novembre 2012 à 19:17

    Sa gestion est probablement calamiteuse. D'autres pays font mieux avec moins.

    8
    Mercredi 14 Novembre 2012 à 19:25

    J'en suis bien d'accord.

    9
    Jeudi 15 Novembre 2012 à 02:29
    Un autre drame dont personne ne parle c'est la privatisation de la CPAM. Ceci dit et je l'ai déjà évoqué je n'ai pas regretté le dépassement d'honoraires de ma récente opération. J'avais le choix de ne pas accepter et quand j'ai reçu les documents mentionnant le paiement par ma caisse (RSI) des honoraires de mon chirurgien, j'ai été attérée...
    J'ajouterai que depuis que je suis à la retraite mon médecin généraliste (qui me suit depuis plus de 30 ans) et qui dépend du secteur 2 ne me demande que 23 euros car il tient compte de la baisse de mon niveau de vie.
    cela aussi il faut le dire.
    10
    Jeudi 15 Novembre 2012 à 18:51

    Bien entendu, rien n'empêche un médecin correct de moduler ses dépassements en fonction de la situation de ses patients.

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