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NOCTURNES
La Lune livide est une enfant sage
Elle a beau se cacher la face
Derrière un voile gris de nuages
Elle est obligée de regarder en face
La grosse Terre bleutée
Sans pouvoir se retourner
Ce n’est pas un spectacle pour les enfants
Mais que voulez-vous, la Terre
C’est sa mère
Et on ne choisit pas ses parents
Un bout de Lune égaré est tombé
Dans une flaque ronde de lumière
Où un homme saoul s’est oublié
Les mains au cou du réverbère
A la pleine Lune ou un autre quartier
Dans un immense coffre-fort de béton
Où les gens avant de se coucher
Entreposent leur avoir à explosions
Un spécimen mâle de l’Humanité
Ouvre avec une lame la combinaison
D’une femme inerte avant de la violer
Un père à petits pas prudents
Sans faire craquer les lames du plancher
Se glisse dans le silence de l’appartement
Regarde avec amour sa fille endormie
Qu’un rayon de Lune caresse en passant
Dans la petite chambre aux murs fleuris
Et se penche sur la belle enfant offerte
La braguette ouverte
Dans un bois bétonné ou une rue déserte
Des files de filles aux fesses découvertes
Se penchent sur les vitres entr’ouvertes
Au clair de Lune les couples se concertent
Pour choisir entre sexe et bouche experte
Avant de se fermer une bouche de métro
A vomi sur le sol un paquet-cadeau
Une grande boîte entourée de papier
Avec dedans un homme marron glacé
Une femme crie au secours dans la nuit
La Lune écoute monter les cris de terreur
Les gens agacés tournent dans leur lit
Tout de même, il est plus de 22 heures !
Une femme dans une chambre à coucher
Regarde le point rouge fixe de la télé
Et les chiffres bleus des heures défiler
L’époux couché bouge à ses côtés
Son gros ventre monte et descend
Il s’étouffe parfois dans ses ronflements
Et la femme pense dans son insomnie
Qu’il est bon d’avoir de la compagnie
La bouffe roule vers les garde-manger
Le malade garde l’espoir d’être guéri
Le médecin de garde ne peut rien pour lui
Le gardien de la paix n’est pas apaisé
Le voleur se garde de la Lune et s’enfuit
Le gardien de nuit n’a plus rien à garder
Un balayeur noir a envie de pisser
Combien de corps encore à enjamber ?
Il voit en passant les lunes dénudées
Le responsable municipal de la propreté
Arrivera-t-il à temps pour se soulager ?
Dans les beaux quartiers de Paris
Dans un petit local noir surpeuplé
Les gens ne dorment pas, ils crient
Plus fort que le tintamarre syncopé
Ils s’agitent, ils boivent, ils suent
Mains frôleuses et sexe à l’affût
Ils fument et se croisent aux vécés
Après avoir été longtemps enfermés
Ils s’expulsent au petit matin
Nauséeux, fripés, fatigués, drogués
Ils s’embrassent et se serrent la main
Encore une fois
Comme la Lune ils vont se coucher
La belle vie, quoi
C’est un bel arbre comme un monument
On s’y abrite de la pluie et du vent
Au clair de la Lune effarée
Une automobile en pièces détachées
Expire son huile et fume à ses pieds
De beaux jeunes gens se sont éclatés
Paul Obraska
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Commentaires
C'est vrai, il faut reconnaitre qu'on est assez loin de l'ambiance des mêmes vues et à écouter de et par Chopin (Frédéric) ! mais c'est tout à fait dans l'air de nos malheureux temps : j'aime beaucoup, même si ça reste réalistement très correct...
Mais bon, il en faut pour tous les dégouts...
Moi, j'y lis une "complainte de Mackie" cuvée 2021
4Souris doncSamedi 30 Octobre 2021 à 16:29Poétiser les faits-divers dont on nous bassine à longueur de JT : un exploit !
Ils n'en sont pas moins déprimants...
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Dimanche 31 Octobre 2021 à 09:47
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Pessimiste et peut-être même un peu déprimé par le monde actuel, vous avez décidé de passer du côté obscur de la poésie. J'ai bien aimé.
Ceux qui n'ont pas apprécié votre poème n'ont pas aimé non plus, je pense, cette belle déclaration d'amour de Baudelaire :
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,
Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons...
Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons...
... Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !
Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.
Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés !
6PanglossSamedi 30 Octobre 2021 à 20:43Le monde tel qu'il se montre ... souvent. Il a aussi une face cachée. Il faut faire son possible pour l'apercevoir.
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C'est vraiment n'importe quoi.