• 88. Médicaments mal traités

    Comment faire avaler la pilule.

    Il est certain que le laboratoire Servier ne s'est pas grandi en voulant maintenir à la vente le Médiator, bien que ses effets secondaires devenaient évidents au fil du temps et que pour l'y maintenir, il a exercé des pressions sur les récalcitrants, s’est servi de son influence au plus haut niveau, en bénéficiant d’une lenteur sidérante des instances de contrôle, alors que ce médicament n’avait guère d’utilité. Si les patients n’en ont pas tiré grand bénéfice, ce n’est pas le cas du laboratoire.

    Avant de devenir un traitement chez l'homme, un produit est d'abord expérimenté chez l'animal pour tester sa toxicité, sa tolérance et ses effets secondaires. Son efficacité et sa tolérance réelle étant jugées chez l'homme dans les phases ultérieures. L'animal choisi est le plus souvent la souris, les valves cardiaques qui assurent le passage unidirectionnel du sang dans les cavités du coeur sont chez elles minuscules et les expérimentateurs sont sans doute passés à côté d'éventuelles lésions provoquées par l'administration du Médiator.

    Mais le laboratoire Servier et les instances de contrôle semblent avoir longtemps « oublié » que ce produit avait une parenté chimique avec l'Isoméride, autre trouvaille du même laboratoire, dont on avait mis en évidence la toxicité pour l'appareil circulatoire et qui avait été retirée du marché dès 1997.

     

    Réveil confus.

    Après une somnolence paisible, la pharmacovigilance s'est réveillée en sursaut et pour tenter d’effacer sa bévue, confondant transparence et efficacité, l’Afssaps vient de publier une liste de médicaments à surveiller « soit parce que les autorités sanitaires ont jugé nécessaire, à titre préventif, de renforcer ce suivi, soit parce que des signaux de risque ont été détectés, justifiant une vigilance accrue ». Liste fourre-tout où figurent des médicaments qui peuvent être obtenus sans ordonnance, ce qui implique une surveillance plutôt lâche, des produits qui ont déjà disparu ou en passe de l’être et même des vaccins. La présence d’un médicament sur cette liste serait pour l’Afssaps une « garantie  pour les patients », étant donné qu’ils sont soumis à « une surveillance particulièrement proactive » [ ?]. Il suffit d’avoir la chance de ne pas être la victime d’un effet secondaire du médicament encore en vente,  avant que l’on soit peut-être amené à le retirer du commerce.

     

    Les revers de la transparence.

     Il est certain que cette liste rendue publique va accroître la méfiance des gens vis-à-vis des médicaments et des vaccins et rendre plus difficile le travail du thérapeute. Les patients se disent, avec bon sens, qu'ils vont peut-être devoir prendre des médicaments dont les experts eux-mêmes se méfient et leur méfiance risque de s’étendre à toute la pharmacopée.

    Il est vrai que les médecins (comme je l’aurais fait) hésiteront à prescrire un médicament figurant sur cette liste et choisiront plutôt, s’ils peuvent en disposer, d’un produit équivalent n’y figurant pas. Cependant, si un médicament a déjà été prescrit et si le patient, inquiet, l’arrête de lui-même, les conséquences de l’arrêt risquent d’être fâcheuses. Il y a des transparences plus nocives que les médications.

     

    Il n’y a pas de médicaments anodins.

    Tous les médicaments peuvent être dangereux, ceux qui sont efficaces, puisqu'ils interviennent à coup sûr dans le fonctionnement de l'organisme, mais aussi, parfois, ceux qui ne le sont pas ou peu comme l'ont montré le Médiator et la toxicité de nombreuses plantes dont le label « naturel » est censé garantir leur innocuité.

    Dans l’estimation de la balance bénéfice/risque, le risque ne manque jamais, il est illusoire de penser le contraire, le tout est dans la proportion « admissible » des effets « indésirables » et de leur gravité potentielle. La notice qui accompagne un médicament est là pour le rappeler.

    Pour ne citer que quelques exemples : la pénicilline, qui a sauvé des millions de personnes, peut aussi tuer. Si la seconde injection chez l'homme avait provoqué, par malchance, un choc anaphylactique, peut-être aurait-il fallu attendre la découverte d'un autre antibiotique. La banale aspirine n'aurait peut-être pas eu une autorisation de mise sur le marché, en raison des hémorragies provoquées si on l’avait administrée au préalable chez la souris selon les protocoles actuels. Il est aussi possible que l'aspirine, dont l'utilité n'est plus à démontrer, ait provoqué plus de morts que le Médiator et ne parlons pas des anticoagulants.

     

    Je n’ai aucun conflit d’intérêt.

    Les médicaments rendent de grands services et sont pour quelque chose dans la prolongation de la durée de la vie. Ce sont les laboratoires privés qui les inventent (je ne crois pas que l’URSS ait créé un seul médicament d’importance en 70 ans), ils doivent donc gagner de l’argent pour exister et en trouver d’autres (il faut dix ans pour sortir une molécule originale et efficace). Il serait ingrat et injuste de ne les considérer que comme des empoisonneurs avides. Les laboratoires peuvent être critiqués et leurs découvertes devraient être contrôlées de façon rigoureuse et indépendante, mais sans eux les médecins seraient impuissants.

    « Grain de sel sur l'enseignementLe plus jeune métier du monde »

  • Commentaires

    1
    Mercredi 2 Février 2011 à 18:30
    Bien sûr, il faut admettre que sans les labos ... etc.
    Mais leur agressivité commerciale dépasse quelquefois les bornes et les relations que Servier a eues avec le pouvoir dans l'affaire du Mediator font peser sur eux une présomption de malhonnêteté structurelle.
    2
    Mercredi 2 Février 2011 à 18:48

    Servier a berné le pouvoir ou du moins les instances de contrôle dont la malhonnêteté (ou l'incompétence) est encore moins pardonnable. L'agressivité commerciale (ne pas oublier que ce sont des sociétés commerciales) ne servirait à rien si leurs cibles n'étaient pas malhonnêtes.

    Dr WO

    3
    Mercredi 2 Février 2011 à 18:56
    Je me demande si les capitalistes de l'industrie pharmaceutique ne seront pas tous tentés à terme de ne produire que des médicaments homéopathiques et phytothérapiques : Les bénéfices y sont beaucoup plus juteux et les risques inexistants.
    4
    Mercredi 2 Février 2011 à 19:15

    Etude de marché à faire, en tenant compte de la diminution progressive de la clientèle.

    Dr WO

    5
    Mercredi 2 Février 2011 à 19:29
    Excellent article !

    Malheureument , la peur est une tres bonne alliée des médias ...
    6
    Mercredi 2 Février 2011 à 19:33

    Et je crois que vous êtes mieux placée que moi pour en juger.

    Dr WO

    7
    Mercredi 2 Février 2011 à 21:49

    Ils le font déjà, même quand ils n'ont pas de grand-mère.

    Dr WO

    8
    Jeudi 3 Février 2011 à 08:08
    J'ai beaucoup aimé l'article et cela apaise, en quelque sorte, ma façon de raisonner... Je me demandais,après la publication de toutes ces listes de "médicaments nocifs"
    comment le généraliste allait s'en tirer... Ne voudrais point être à sa place devant certains patients et pas forcément les plus malades...
    Le profit qui va avec... ces médicaments listés...No comment.
    Bon, comme je le disais ailleurs...
    je vais être absente quelque temps - le regret de ne pas vous lire -même si je ne laisse que peu de commentaires - me tiendra compagnie.
    J'espère ne pas être "obligée" de me déplacer autant que l'année dernière...
    Bonne journée.
    9
    Jeudi 3 Février 2011 à 12:21
    Une très bel article Doc. Un petit lien qui devrait d'intéresser. Bonne journée
    ZAZA
    http://www.oreille-malade.com/2011/02/zypadhera-video-medicament-medecins-doivent-prescrire.html
    10
    Jeudi 3 Février 2011 à 18:11

    Bon courage et éviter les regrets.

    Dr WO

    11
    Jeudi 3 Février 2011 à 18:11

    Merci.

    Dr WO

    12
    leonie
    Lundi 7 Janvier 2013 à 16:09
    Les patients devenant méfiants pourraient se tourner vers les remèdes de grand-mère :)
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