• 53. Propos sur les essais en médecine

    La chasse au hasard

    « La médecine basée sur les preuves » domine la pratique médicale depuis la fin du XXe siècle. Elle n’apporte aucune preuve véritable puisqu’elle n’est basée que sur des données statistiques, mais elle a introduit du sérieux dans l’évaluation des traitements. Contente d’elle-même, elle semble dédaigner tout le passé médical, toutes les innovations, toutes les trouvailles qui ont émaillées les siècles derniers puisqu’elles n’ont pas été évaluées selon les critères actuels : tirage au sort des groupes de patients à comparer (randomisation[1]), comparaison avec un placebo ou un autre traitement (contrôle[2]), ignorance de la part du malade et du médecin du traitement pris (double aveugle ou double insu) et calculs évaluant la part du hasard dans les résultats. Cette évaluation repose en particulier sur le calcul de l’indice dénommé « p ». Cette petite lettre est la plus respectée et la plus redoutée des médecins. Plus elle est petite plus elle donne de satisfaction à ceux qui l’on déterminée. Plus elle est grande plus elle déçoit et rend vains les longues heures de travail, le sacrifice des loisirs et la séparation des couples.

                                                                                    

    Essayer sur la multitude ce qu’on l’on doit prescrire à une personne

    Les essais sont désignés par des acronymes qui leur assurent, lorsqu’ils sont bien trouvés, une partie de leur succès. L’essentiel des conférences médicales consiste à exposer les résultats des essais, en général réalisés par d’autres. Les plus savants sont ceux qui connaissent le plus d’essais et les débats consistent à échanger des acronymes.

    Le nombre de patients nécessaire pour démontrer qu’un traitement est efficace ou plus efficace qu’un autre doit être important et plus il est important plus l’étude est onéreuse. Heureusement, les laboratoires pharmaceutiques assurent un mécénat providentiel qui n’a, bien sûr, rien à voir avec le fait qu’ils sont les fabricants des traitements testés et que les essais sont obligatoires pour obtenir une autorisation de mise sur le marché. Il serait de ce fait peu courtois de médiatiser un essai défavorable. Lorsqu’une étude donne des résultats non conformes à ce que l’on attend d’elle ou en contradiction avec la vérité du moment, on y cherche des biais permettant de l’expliquer. Cette recherche peut être moins attentive lorsque les résultats sont satisfaisants

    Des médecins plus astucieux se consacrent à la méta-analyse, compilation des résultats de plusieurs essais ayant le même objectif. Elle a pour intérêt de disposer gratuitement d’une population très importante. Cette méthode sédentaire consiste à utiliser le travail des autres pour en publier un soi-même.

                                                                                    

    L’individu n’est pas soluble dans la multitude

    Les populations testées ne sont pas toujours représentatives de celle concernée par la pratique médicale.  Les sujets qui ont la discourtoisie de pas vouloir y entrer et ceux qui ne possèdent pas les critères choisis pour l’étude sont exclus, notamment ceux dont les pathologies sont multiples, consultants habituels des cabinets médicaux. Quant aux heureux élus, certains seront comptabilisés dans un groupe tout en prenant le traitement du groupe comparé (intention de traiter[3]). On ne s’étonnera donc pas de trouver dans la littérature médicale des essais dont les résultats sont contradictoires, ce qui laisse le prescripteur perplexe et le patient averti dubitatif[4].

    Les statistiques se livrent à des calculs théoriques sur un échantillon souvent peu représentatif dont on tire des recommandations pour les soins d’individus isolés faisant partie d’une population différente.

     

    Changer la mort

    Dans les essais thérapeutiques concernant les maladies qui risquent d’être mortelles, il arrive que le traitement diminue faiblement le nombre de morts provoqués par la maladie que l’on traite, mais le nombre de malades à traiter pour obtenir ce résultat est souvent important. Il arrive aussi que l’on meure moins de la maladie traitée, mais sans modifier le nombre de  décès à l’arrivée. Dans ce cas l’intervention médicale n’a changé que la façon de mourir.

     

    Voir également la « Chronique médicale » n° 14 : « L’homme est un animal comme un autre »



    [1] C’est un anglicisme, c’est à dire une locution empruntée à l’anglo-américain et que l’on ne rend jamais.

    [2] Contrôle est le nom donné au groupe de patients qui ne prennent pas le traitement que l’on suppose efficace afin de savoir s’ils deviennent ainsi plus malades que ceux qui le prennent

    [3] Le traitement est définitivement alloué à un groupe afin que les différents groupes comparés conservent l’homogénéité de départ issue du tirage au sort

    [4] Les aléas du traitement hormonal substitutif de la ménopause illustrent bien les études contradictoires. Pourvu de toutes les vertus dans les premières études, les dernières ne lui donnent comme intérêt que la disparition des bouffées de chaleur et lui imputent quelques vices. 

    La différence entre les populations testées et les patients de la pratique médicale (ce que les médecins de bon sens appellent « la vraie vie ») est illustrée par des constatations faites au Canada en 2004. Une étude (acronyme : RALES) avait montré le bénéfice que pouvaient tirer des insuffisants cardiaques de la prescription d’un diurétique : la spironolactone. Ce médicament entraîne chez certains une augmentation du taux de potassium dans le sang : l’hyperkaliémie. Après la publication de cet essai, on a assisté à une vague d’hyperkaliémies dangereuses dans l’Ontario, entraînant de nombreuses hospitalisations, alors que l’étude RALES n’en avait montré que peu. Les médecins séduits par les résultats de ce médicament  l’avaient en effet prescrit pour améliorer l’état de patients dont le profil ne correspondait pas toujours à celui choisi dans l’essai démonstratif et sans assurer la même surveillance.

    « Le mort objet commercialDonner un peu de son corps pour la planète »

  • Commentaires

    1
    Jeudi 12 Mars 2009 à 19:45
    Il semble que les méthodes statistiques en recherche médicale souffrent des mêmes biais que les études d'opinion.
    2
    Jeudi 12 Mars 2009 à 20:42

    Bravo! vous avez eu la patience de lire cet article aride. Les Goncourt, je crois, disaient que la statistique était la première des sciences inexactes. Cela vaut aussi bien pour la médecine que pour les études d'opinion.
    Dr WO

    3
    Jeudi 12 Mars 2009 à 20:51
    Et que ce qui est encensé un jour est banni le lendemain ! Il semble que le bons sens ne fait plus recette. Hélas ! Ce que j'adore, ce sont les "protocoles" de soins, plus destinés à "couvrir" le médecin qu'à s'adapter à la pathologie du malade...
    4
    Jeudi 12 Mars 2009 à 22:24
    Remarques pertinentes. Aussi courageuse que Le Huron.
    Dr WO
    5
    Jeudi 12 Mars 2009 à 22:59
    C'est de l'intérêt ET du plaisir.
    6
    Vendredi 13 Mars 2009 à 08:53
    Tant mieux. Ces propos un peu (sic) rébarbatifs ne sont pas très "politiquement corrects".
    Dr WO
    7
    Vendredi 13 Mars 2009 à 10:17
    Ca tombe bien, je ne suis pas "politiquement correcte" !
    8
    Vendredi 13 Mars 2009 à 18:39
    Alors c'est que vous faites marcher vos petites cellules grises.
    Dr WO
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