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Prévisions
Raymond Aron parlait de la certitude des prévisions rétrospectives. Prévoir l’avenir à partir du présent, c’est s’exposer aux erreurs, et il est plus sûr de prévoir l’avenir du passé. Quelle que soit la matière, la prévision est un art périlleux mais qui séduit tous les experts. Leurs prévisions remplissent le cimetière des idées.
Les économistes se trompent souvent, ce qui n’est pas étonnant puisqu’ils appliquent doctement des schémas du passé ou du présent à un avenir dont les données ne seront plus les mêmes. A cet égard, l’impeccable raisonnement de Malthus de la fin du XVIIIe siècle sur la dramatique discordance entre la progression géométrique de la population et la progression arithmétique des ressources s’est révélé jusqu’à présent erroné car les données ultérieures à sa prévision se sont modifiées par rapport à celles du XVIIIème. Mais peut-être faut-il attendre pour que les prévisions malthusiennes se réalisent. Quand on prévoit la mort, on a toujours raison, que ce soit celle d’une personne, de la Terre ou du Soleil.
En matière politique ou géopolitique, le cours des évènements surprend souvent. Chateaubriand disait : « Presque toujours, en politique, le résultat est contraire à la prévision ». Les dangers prévus ne sont souvent pas ceux qui apparaissent et contre lesquels on se trouve alors dépourvus pour ne pas les avoir prévus ou les avoir négligés.
Dès qu’apparait un évènement imprévu, les médias se tournent vers des experts qui vont défiler à la queue leu leu sur les ondes et les écrans où ils vont débiter leur savoir, c'est-à-dire du passé, par lequel on leur demande de prédire l’avenir, alors qu’ils n’avaient pas prévu la survenue de l’évènement. Reste que le passé est la seule boule de cristal que nous ayons. Mais l’Histoire ne se répète pas en boucle, elle déraille.
La médecine n’a pas échappé pas aux prévisions erronées. En voici quelques-unes formulées par de grands noms et qui peuvent prêter à sourire, mais il est facile et injuste de juger le passé à partir du présent.
- La circulation est " paradoxale, inutile, fausse, impossible, absurde et nuisible " [1] affirme à Paris, le Doyen Gui Patin lorsque l’Anglais William Harvey publie en 1628, à Francfort, après plus de vingt ans d’observations et d’expérimentations rigoureuses, sa théorie de la circulation.
- « La chirurgie est parvenue au point de n’avoir presque plus rien à acquérir. » déclarait en toute simplicité un chirurgien parisien renommé, Jean Marjolin, en 1836.
- « Eviter la douleur dans les opérations est une chimère qu’il n’est plus permis de poursuivre aujourd’hui » affirmait, en 1839, Alfred Velpeau, surnommé le Prince de la chirurgie, sept ans avant la première opération chirurgicale sous anesthésie générale.
- En 1878, Pasteur recommandait : « Si j’avais l’honneur d’être chirurgien, pénétré comme je le suis des dangers auxquels les exposent les germes des microbes répandus à la surface de tous les objets, particulièrement dans les hôpitaux, non seulement je ne me servirais que d’instruments d’une propreté parfaite, mais après avoir nettoyé mes mains avec le plus grand soin […] je n’emploierais que de la charpie, des bandelettes, des éponges préalablement exposées dans un air porté à la température de 130° à 150°… »
A cela, le professeur Peter, à l’académie de Médecine, répondit la même année : « Ce sont là des curiosités d’histoire naturelle, intéressantes à coup sûr, mais à peu près de nul profit pour la médecine proprement dite, et qui ne valent ni le temps qu’on y passe, ni le bruit qu’on en fait. Après tant de si laborieuses recherches, il n’y aura rien de changé en médecine ; il n’y aura que quelques microbes de plus […] L’excuse de Monsieur Pasteur, c’est d’être un chimiste qui a voulu, inspiré par le désir d’être utile, réformer la médecine à laquelle il est totalement étranger.»[2]
- « Une habile mystification » déclara Lord Kelvin, un des plus grands physiciens de la fin du XIXe siècle, lorsqu’on lui rapporta la découverte en 1895 des rayons X par l ‘Allemand Röntgen.
L’ennui avec les experts c’est qu’ils savent beaucoup de choses, et l’esprit encombré par tout ce qu’ils savent ne leur permet pas toujours d’appréhender ce qu’ils ne savent pas. Ceci les amène souvent à rejeter ce qui ne fait pas partie de leur savoir pour ne pas encombrer davantage leur esprit.
Dessin de Geluck
[1] Cité par Bariéty et Coury, Histoire de la médecine
[2] Cité par J-M Galmiche, Hygiène et médecine
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Commentaires
En dehors de la mort, aucune grande tendance n'est certaine car le calcul des probabilités se fait sur des données incertaines. Regardez les prévisions météo. elles ne dépassent pas quelques jours. Trop de données fluctuantes.
Ceux qui ne se trompent jamais, concernant l'avenir, sont ceux qui, comme Nostradamus et les diseuses de bonne aventure, laissent un large marge d'interprétation à leurs interlocuteurs.
On a beaucoup simplifié la pensée de Malthus et presque toujours jusqu'à la caricature. Au point qu'on en arrive à se demander pourquoi tant de gens se sont appliqués à combattre ses conclusions et à ridiculiser ses travaux s'il s'est à ce point trompé. Pourquoi ne pas le laisser dans l'oubli? Pourquoi périodiquement le sortir de sa tombe pour lui faire un nouveau procès? La plupart de ceux qui le critiquent ne l'ont pas lu et leur science n'est que de seconde main.
Je suis de ceux qui ne connaissent les travaux de Malthus que de seconde main. S'il reste toujours présent, c'est qu'il a (pour moi) fondamentalement raison et d'ailleurs la Chine et l'Inde font du Malthus pour ce qui concerne la démographie. Mais par ailleurs, sa théorie est une bonne illustration d'une prévision qui ne s'est pas concrétisée - pour l'instant - en raison de la modification des données fondamentales. Si bien que l'on observe, malgré la démographie exponentielle, une diminution de la pauvreté et une régression des famines dans le monde par rapport à son époque.
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Coucou Doc,
En vous lisant je me retrouve en plein cours d'économie et de mathématique appliqués. Le calcul des probabilités .... et là je retrouve mes vieilles valeurs de la loi normale qui est l'une des lois de probabilité les plus adaptées pour modéliser des phénomènes naturels issus de plusieurs événements aléatoires.
Effectivement, les prévisions ne sont pas une science exacte, le monde évolue, les données changent ! Par contre les grandes tendances peuvent se calculer.
Bonne soirée mon ami.