• La paille pour le grain

    La paille pour grain« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » disait Albert Camus. Je me permettrais d’ajouter que renommer les choses en prétendant mieux les nommer ajoute parfois à la confusion, et est souvent un signe d’impuissance car il est plus facile de renommer que d’agir, et la tendance, surtout en politique, est de faire passer un intitulé pour une action.

     Changer le nom pour que rien ne change en faisant croire que les choses ont changé. Un exemple est la transformation de « Pôle emploi » en « France Travail », une illusion sémantique que l’on veut faire passer pour une réforme radicale.

    On peut aussi faire passer les mots avant la chose, la communication avant la décision. Ainsi on ne sait pas du tout le contour de la loi sur la fin de vie qui sera (peut-être) présentée au parlement, mais une commission est déjà sur pied, présidée par Erlk Orsenna et comprenant neuf personnalités issues du monde littéraire, sociologique et scientifique pour choisir les mots qui devront être utilisés pour rédiger une loi dont on ne connaît pas le contenu.

    En médecine – seule science que je peux me permettre de juger – On aime jouer avec la sémantique en guise de découverte.  Les dénominations en anatomie ont presque toutes été modifiées, effaçant ainsi plusieurs siècles d'histoire de la médecine. C'est sûrement d'un grand intérêt. Cela permet d'avoir une terminologie incompréhensible pour le public qui connaissait plus ou moins les termes anciens. Ceux à l'origine de cette innovation doivent penser qu'ils ont fait progresser la médecine et doivent se prendre pour de grands savants.

    On croule également sous les classifications ou les échelles d’évaluation, elles se succèdent sans apporter grand-chose de plus, sinon de la complexité en prétendant simplifier, et donner un peu de renommée à leurs auteurs.

    Le changement d’unité est heureusement plus rare. J’ai assisté, impuissant, au changement d’unité des mesures biologiques, du gramme au mole, qui a été imposé pour des raisons sûrement très intelligentes, mais dont l’intérêt m’échappe pour la pratique médicale. Vous savez ce que représente un gramme ou un milligramme, je vous mets au défi de vous représenter une mole ou une millimole. Exemple des "réformes" complètement inutiles pour la pratique mais qui la compliquent.

    Cette manie de changer les mots en croyant changer les choses ajoute au malheur du monde, car c’est vouloir faire prendre la paille pour le grain.

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 1er Octobre 2023 à 20:31

    Je dirais même plus : "C'est vouloir faire prendre la balle pour la paille, voire pour le grain". Ou l'art de nous prendre pour des... çons

    (même si "peau de balle" est grammaticalement incorrect)

     

      • Dimanche 1er Octobre 2023 à 20:58

        Il n'y a que de la paille à moudre, puisqu'il n'y a plus de grain.

    2
    Souris donc
    Lundi 2 Octobre 2023 à 09:46

    C'est la thèse que Jérôme Fourquet développe dans son nouveau livre La France d'après (Ed. du Seuil) :

    Cette incapacité à canaliser l'agressivité et la violence renvoie à une moindre maîtrise de la langue française. 

    Les classes populaires, les immigrés, mais pas seulement. Les wokistes, les néo-féministes à la Sandrine Rousseau radotent obstinément le même refrain avec les mêmes mots.

    Les Parisiens ont de la chance : lundi 20 novembre, 20 h. salle Gaveau, Jérôme Fourquet et Jean-Pierre Le Goff dans le cadre des Rencontres du Figaro.

      • Lundi 2 Octobre 2023 à 09:55

        Pour ce qui concerne le radotage, j'avais effleuré le sujet avec un billet récent : "L'intoxication par le mot" dans une vision médicale. Attribuer l'agressivité à une mauvaise maîtrise de la langue est une vision optimiste. Je ne pense pas que ceux que vous citez utilisent mal la langue, ils l'utilisent très bien dans un dessein politique, ce sont les faits qu'ils déforment volontairement.

    3
    Lundi 2 Octobre 2023 à 10:48

    Et l'équipe actuelle Macron en tête est passé maître en la matière !

      • Lundi 2 Octobre 2023 à 11:06

        C'est, en effet, un de leurs péchés.

    4
    Lundi 2 Octobre 2023 à 13:52

    C'est en application de ce principe qu'"En Marche" est devenu "Renaissance". Des "Walking dead" à "Lève-toi et marche" ou vice-versa.

      • Lundi 2 Octobre 2023 à 14:11

        Au commencement était le Verbe, et à la fin aussi.

    5
    Lundi 2 Octobre 2023 à 15:38

    Je souscris totalement à votre analyse et à la belle formule "Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde". 

    Mais ayons à l'esprit que tout principe général peut être retourné par des gens sans scrupule et que certains n'hésiterons pas à illustrer ce principe par les exemples suivants (non exhaustifs) :

    - pourquoi dire gay ou homosexuel alors que pédéraste ou enc**lé désignaient très bien ces gens ?

    - pourquoi dire Africains, Nord-Africains, Juifs ou Asiatiques alors qu'il y a dans la sémantique issue de la colonisation et de l'entre deux-guerre, de si jolis mots pour les désigner ?

      • Lundi 2 Octobre 2023 à 16:56

        D'où l'on peut conclure que nommer, c'est juger. Chacun a ses critères de jugement et les uns pourraient affirmer que leurs critères sont aussi valables que ceux des autres.

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