• La charité médiatique

    La charité médiatique

    Après l’apparition d’une nouvelle tribune dans les médias signée par des personnalités (dont l’actrice Binoche qui n’en manque pas une), j’avais envie de faire un billet à propos de ce genre d’action pleine de bons sentiments où se presse un petit monde de privilégiés, et qui ressemble fort à un acte de charité envers ceux qui le sont moins. Mais je suis tombé sur un article de Jean-Marc Proust paru dans Slate et qui dit les choses beaucoup mieux que je ne saurais le dire et avec plus de verve que je ne saurais le faire. Aussi je me suis permis (sans l’accord de l’auteur) de le retranscrire ci-dessous :

    La charité médiatique

    « On n'en a pas un peu assez des tribunes bonne conscience du show-biz ?

    Jean-Marc Proust — 7 mai 2020 à 14h35

    Comme si les morts du Covid-19, le confinement et la crise ne suffisaient pas à notre malheur, un autre châtiment nous est infligé : une tribune dans laquelle des stars nous font la leçon.

    Encore.

    Encore une putain de tribune dégoulinante de bons sentiments nous indiquant la voie à suivre, signée par les pires profiteurs et profiteuses du système que ces gens prétendent dénoncer.

    Régulièrement, stars du cinéma, du théâtre ou du show-biz, créateurs et autres millionnaires croient bon de dispenser au vil peuple leur haute conscience économico-politico-écologico-késaco-sociale pour s'indigner d'injustices – dont ils ne souffrent jamais – ou tracer d'un doigt inspiré les lignes d'un monde meilleur – à condition que le leur ne change pas.

    Nous avons là, parmi les signataires, quelques scientifiques égaré·es. Les pauvres! Espérons qu'on ne les y reprendra plus.

    J'ignore qui rédige ces lignes insipides avant de les soumettre à ses collègues des hautes sphères mais, récurrentes et mièvres, elles ne m'inspirent plus que du dégoût.

    Car cette tribune, comme les précédentes, est une farce perfide, une mascarade minable, une tartufferie dégueulasse.

    Les signataires cachetonnent aux deniers publics depuis des lustres, vivant de la billetterie autant que de subventions. Ces personnes paient, je l'espère, beaucoup d'impôts, peut-être en France.

    Les signataires dénoncent des «inégalités sociales toujours croissantes», et il leur semble «inenvisageable de “revenir à la normale”».

    Ces signataires voyagent en classe business aux quatre coins du monde, fréquentent des hôtels 5 étoiles où on leur offre rarement la plus petite chambre, ont sans doute plusieurs appartements, maisons, voitures et autres accessoires d'un luxe inutile, croulent sous le pognon. Mais quand même, entre deux rasades de champagne, ces inégalités sociales toujours croissantes leur restent en travers de la gorge.

    Tartuffes!

    Parfois, on fait un don à une ONG. Et surtout, on signe des tribunes. C'est important les tribunes, ça éduque le peuple.

    La vie de ces personnalités est une atteinte permanente à l'environnement et à la planète qu'elles entendent protéger. Yann Arthus-Bertrand a sans doute passé plus de temps en hélicoptère dans sa vie que n'importe qui n'en passera dans le métro. Peu importe : il a signé.

    Le collectif de « 200 artistes et scientifiques » se fait une haute idée de l'écologie : « Le consumérisme nous a conduits à nier la vie en elle-même : celle des végétaux, celle des animaux et celle d'un grand nombre d'humains. La pollution, le réchauffement et la destruction des espaces naturels mènent le monde à un point de rupture », écrit-il.

    L'écologie façon show-biz, c'est simple : on voyage en first mais attention, chez soi, au marché Raspail par exemple, on achète des produits bio et puis on demande aux domestiques de trier le verre. Parfois, on fait un don à une ONG. Et surtout, on signe des tribunes. C'est important les tribunes, ça éduque le peuple.

    Mais de là à voyager dans la bétaillère d'un avion, il y a un pas que leurs escarpins Louboutin (oui, Christian Louboutin a signé) ne sauraient franchir. Il est plus simple de donner la leçon aux usagèr·es de la ligne 13 que de s'y aventurer soi-même.

    Au fait, ces signataires cachetonnent aussi à la publicité, non ? Robert De Niro, sans doute devenu un vieillard nécessiteux puisqu'il doit arrondir ses fins de mois en faisant la promo du nouveau modèle Kia (désolé, c'est tombé sur toi, Bob, mais les autres ont le cul aussi merdeux que le tien), a lu et signé ce qui précède.

    Je pouffe.

    Finalement, il faut du talent, bien du talent, pour parvenir à ce niveau de foutage de gueule stratosphérique. Chapeau les artistes !

    N'excluons pas qu'à l'occasion d'un festival ou d'une autre cérémonie aux paillettes dispendieuses, l'une de ces stars ait bouffé du pangolin.

    « La transformation radicale qui s'impose – à tous les niveaux – exige audace et courage. Elle n'aura pas lieu sans un engagement massif et déterminé. À quand les actes ? C'est une question de survie, autant que de dignité et de cohérence »poursuit la fameuse tribune.

    Mesdames et Messieurs qui nous invitez à la dignité et à la cohérence, je ne souhaite pas cette transformation radicale que vous appelez de vos vœux, parce qu'elle vous foutrait à terre. Vous seriez les premièr·es perdant·es de cette transformation radicale.

    Je ne suis pas certain que vous envisagiez, par exemple, de ne plus prendre l'avion qu'une fois tous les deux ans ou de voir vos cachets amputés de 99% pour vous approcher du niveau du SMIC.

    Qu'on rende à la biodiversité l'espace bouffé par le béton de vos diverses résidences secondaires. Le cumul de vos 200 bilans carbone ne doit pas être loin de celui d'une usine Peugeot.

    Aujourd'hui, vous vous bâfrez du système et j'en suis heureux pour vous. Je vous souhaite de tout cœur qu'il en soit de même demain. Continuez à vivre de vos talents et à réjouir votre public.

    Mais restez à votre place. Cette tribune n'est ni digne de votre talent, ni cohérente avec votre mode de vie. Oubliez-la. Réfutez-la. N'en signez plus. Jamais.

    Car s'il y avait une première chose à espérer du monde d'après, ce serait la disparition de ces tribunes myopes, vaines, égocentriques, vulgaires et méprisantes ».

    Illustration : Bernard Buffet

    « Vers le confinement perpétuelCachez ces orifices que je ne saurais voir »

  • Commentaires

    1
    Orage
    Dimanche 10 Mai 2020 à 12:44

    "Parfois on fait un don à une ONG". Et surtout on ne se prive pas de le faire savoir.

      • Dimanche 10 Mai 2020 à 12:47

        Sinon, pourquoi le faire ?

    2
    Dimanche 10 Mai 2020 à 14:27

    Il a oublié le Dr cyrilnuk qui soigne toutes les déprimes de ces gens-là, il a surement signé ce torchon-là.  adjani et deneuve ont fait appel à Macron pour qu'il vienne en aide au monde du spectacle, çà va être encore la fête de nos porte-monaies!

      • Dimanche 10 Mai 2020 à 14:38

        Cyrulnik, le champion de la résilience dont le bon peuple a plus besoin que ces personnalités.

      • Dimanche 10 Mai 2020 à 15:15

        Sauf que le bon peuple ne pourrait pas le payer!

      • Dimanche 10 Mai 2020 à 15:23

        Cyrulnik n'est pas un des signataires parmi les 200 Tartuffe qui ont signé cet appel bouleversant.

    3
    Dimanche 10 Mai 2020 à 17:21

    On pourrait résumer toutes ces polémiques imméritées par un péremptoire et désabusé:

    "Quand le vain peuple ne lève plus son regard humide vers les beautifull people,"

    "Le temps est venu pour eux d'y faire descendre leur bonne et sainte parole."

     

      • Dimanche 10 Mai 2020 à 17:36

        Quel est l'auteur de cette pertinente réflexion ? Néanmoins la plupart des signataires comme Binoche, De Niro ou Madonna n'ont pas besoin de se faire connaître du "vain peuple". Cette démarche, malheureusement trop répétitive, pourrait être aussi interprétée comme un rachat de péchés, une indulgence, non papale, mais populaire en quelque sorte.

      • Dimanche 10 Mai 2020 à 17:51

        Moi...

        Pourquoi ?

        Et je n'ai pas dit qu'il avaient quelque besoin de se faire connaitre, tout au plus suggéré une grosse envie de se faire re-connaitre avant de se faire déconfiner.

         

      • Dimanche 10 Mai 2020 à 18:07

        La réflexion est réellement pertinente. Une piqûre de rappel en quelque sorte.

    4
    Dimanche 10 Mai 2020 à 18:45

    J'approuve également. Au moment où les gens ont peur de voir arriver la crise, le chômage et la baisse de leur pouvoir d'achat, ces "belles personnes" leur expliquent que c'est un problème secondaire face à l'urgence climatique.  Ridicule !

      • Dimanche 10 Mai 2020 à 18:59

        Le qualificatif de "bouffonnerie" a été utilisé. Le terme me parait adéquat.

    5
    Dimanche 10 Mai 2020 à 19:43
    Raboliot

    Eddy Mitchell a fait une chanson sur le charity bizness : lèche-botte blues.

    Il n'y a que la Suisse qu'on n'a pas pu sauver.

    Le parolier était vraiment doué.

      • Dimanche 10 Mai 2020 à 19:51

        Je vais retrouver la chanson.

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    6
    Dimanche 10 Mai 2020 à 20:40

    L'indécence satisfaite.

      • Dimanche 10 Mai 2020 à 20:50

        ...Agressive et méprisante de la part de détenteurs de la seule vérité. Nos penseurs sont dans le milieu du spectacle.

    7
    Kobus van Cleef
    Lundi 18 Mai 2020 à 21:07
    Une fois, j'ai bouffé, non pas du pangolin, mais de la baleine
    En Islande, sur la côte nord, à Akureri ( phonétique, pour la graphie....)
    Pas terrible, je dois reconnaître
    Désormais il faudra l'interdire !
    Non seulement c'est pas bon, mais encore, ça appauvri la bio diversité
    Compris, les iliens ?
      • Lundi 18 Mai 2020 à 23:42

        Une grosse expérience.

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