• 86. Le corps des autres

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    La médecine utilise le corps des autres. Greffe d’organe du mort au vivant, trafic d’organe d’un vivant démuni à un vivant fortuné, location de l’utérus d’une mère porteuse dans la gestation pour autrui (GPA) dans le cas où une femme désirant un enfant n’a plus d’utérus ou un utérus incapable d’assurer la nidation d’un embryon. L’exemple vient de haut : les chrétiens ne considèrent-ils pas la Vierge Marie comme une mère porteuse et l’enfant Jésus comme le fruit d’une gestation pour autrui ?

     

    De nombreux pays ont légalisé cette GPA, en l’encadrant plus ou moins pour ce qui concerne la rémunération de la porteuse et la législation en  cas de conflit entre la femme qui a assumé la gestation et les parents « intentionnels » à l’origine de l’apport génétique partiel ou total de l’embryon, conçu in vitro et implanté par insémination dans le corps de la porteuse. Le cas de l’enfant abandonné en raison d’un divorce des parents demandeurs pendant la gestation s’est déjà posé et qu’en est-t-il d’un enfant malformé ne répondant pas à la commande ? Il est trop tôt pour juger des conséquences sur l’enfant dont la naissance a été ainsi multi-assistée.

     

    Pour l’instant en France, la GPA n’est pas autorisée, mais dans la perspective d’une révision de la loi de bioéthique (qui sera discutée à l’Assemblée  Nationale à partir du 8 février 2011), cette question est vivement discutée. L’Académie de Médecine est contre, le Sénat plutôt pour, les gynécologues et les intellectuel(le)s sont divisés.

     

    Ceux qui sont pour séparent maternité et gestation, considèrent que le désir d’enfant est un droit (qui pourrait s’étendre aux homosexuels masculins), parlent de la GPA comme d’un don généreux et qu’aller à l’étranger pour trouver un ventre à louer est difficile, ne serait-ce que pour le statut juridique de l’enfant une fois rapatrié.

     

    Ceux qui sont contre sont heurtés par l’instrumentalisation du corps d’autrui, estiment qu’en dehors du cercle familial, il y aura commerce du corps à l’égal de la prostitution et considèrent que la GPA peut être assimilée à de l’esclavagisme (voir la publicité sur internet pour la « maternité de substitution » en Ukraine). En outre la gestation n’est pas simplement le port d’un fœtus par une machine inerte, il existe des interactions entre la mère et l’être qu’elle porte et un risque pour les deux. Le fait qu’elle soit autorisée à l’étranger n’est pas un argument.

    Je suis de ceux-là, et je pense que ce n’est pas parce que l’on sait faire quelque chose en matière médicale ou scientifique que l’on doit la faire, mais l’expérience prouve que, tôt ou tard, elle finit par être faite.

     

    C’est que la conception de l’enfant est devenue ces dernières décennies une affaire médicale : banques de gamètes, insémination artificielle en dehors du sexe, fécondation in vitro en dehors du corps.

    On peut certes arguer que la procréation est une fonction de l’organisme et que le médecin aide à réaliser ce que le couple ne peut pas faire seul. En fait, ce qui est réellement du domaine médical est le traitement de la cause de la stérilité. La procréation assistée, qui ne traite pas la cause de l’infertilité mais qui la contourne, ne soigne pas une maladie mais répond au désir d’enfant.

    Aussi respectable soit-il, ce désir est une convenance personnelle et non pas à une altération de la santé de l’individu ou à un problème de santé publique. On traite (avec risques) une incapacité sans risque et non une pathologie, même si cette incapacité est mal vécue. On intervient pour le confort psychologique des personnes et dans un souci d’égalité cette intervention est prise en charge par la collectivité.

    C’est l’utilisation de la médecine pour obtenir ce que l’on veut, comme l’est la chirurgie esthétique pour devenir ce que l’on rêve d’être.

    Je pense qu’il ne faut pas aller trop loin pour satisfaire les désirs de chacun et qu’il y a des convenances qui finissent par devenir inconvenantes.

     

     

    Illustration : Chagall « Naissance »

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 22 Décembre 2010 à 14:17
    Bravo Doc, un billet qui mérite de la réflexion et des interrogations. Pour ce qui me concerne, je trouve que cette solution de mère porteuse est contre nature. Pour avoir vécu pas trois fois l'enfantement, pleinement, la porteuse, transmet à ses enfants ses ressentis, ses angoisses, ses joies. Et sur le plan psychique je peux témoigner que ma seconde filles a dérouillée plus que les deux autres. Grossesse très mal vécu...!!!!!
    Bonne journéE Doc
    ZAZA
    2
    Mercredi 22 Décembre 2010 à 14:22
    Oser dire que le désir d'enfant est un droit en dit long sur l'état mental des nantis. Lorsque je faisais mes études de Droit un professeur, encore en robe, nous disait : "le Droit, c'est la Morale de ceux qui n'en ont pas". A l'époque ils étaient peu nombreux, de nos jours ils sont légion. Le tout juridique est une des plaies de la Démocratie, mais on n'est plus à ça près !
    3
    Mercredi 22 Décembre 2010 à 16:32
    Le droit de faire des enfants (et quelquefois le "devoir" selon certaines politiques natalistes quelquefois contestables) ne doit pas devenir le droit d'avoir des enfants au point de les faire faire par d'autres ou de les adopter (de les acheter?) pour satisfaire son désir personnel. J'ai été choqué d'entendre à propos des enfants haïtiens qui arrivent en France ces jours-ci certains propos comme "ils vont passer Noël dans leur famille", alors que ces orphelins arrivent en pays inconnu chez des inconnus. Ces derniers sont heureux. Mais les enfants le sont-ils? Le seront-ils? Et dans combien de temps?
    4
    Mercredi 22 Décembre 2010 à 16:41
    Il faudrait faire une bourse d'échange entre ceux qui ont des enfants en cours de fabrication et qui veulent s'en débarrasser et ceux qui voudraient en avoir. Plus d'IVG, plus de GPA, juste un site marchand de plus.
    5
    Mercredi 22 Décembre 2010 à 16:55
    Juntos a raison : un enfant n'est pas un bien marchand. Des mères dont l'âge serait plutôt d'être grand-mères, des enfants conçus à l'étranger pour contourner l'interdit français... Notre société dérive. Dans les tribunaux, les discussions sont parfois vives !
    6
    Mercredi 22 Décembre 2010 à 17:01

    Mais dans beaucoup de pays, notamment aux USA, la GPA est courante et rémunérée.

    Dr WO

    7
    Mercredi 22 Décembre 2010 à 17:04

    La citation de votre professeur de droit dit bien les choses.

    Dr WO

    8
    Mercredi 22 Décembre 2010 à 17:06

    L'enfant comme poupée pour adulte.

    Dr WO

    9
    Mercredi 22 Décembre 2010 à 17:08

    Excellente idée. A vous de créer ce site, de l'or à ramasser, mais je pense qu'il devra être clandestin.

    Dr WO

    10
    Mercredi 22 Décembre 2010 à 17:11

    Je m'en doute. Dans le cas de la GPA, c'est la femme qui est un bien marchand.

    Dr WO

    11
    Mercredi 22 Décembre 2010 à 17:42
    "le CCNE estime qu’il faut se garder d’accréditer l’idée que toute injustice, y compris physiologique, met en cause l’égalité devant la loi. Même si la détresse des femmes stériles suscite un sentiment d’émotion ou de révolte, elle ne saurait imposer à la société d’organiser l’égalisation par la correction de conditions compromises par la nature. Une telle conception conduirait à sommer la
    collectivité d’intervenir sans limites pour restaurer la justice au nom de l’égalité et correspond à l’affirmation d’un droit à l’enfant – alors que le désir ou le besoin d’enfant ne peut conduire à la reconnaissance d’un tel droit."

    Avis du CCNE sur la GPA (http://www.ccne-ethique.fr/docs/Avis_110.pdf)
    12
    Mercredi 22 Décembre 2010 à 17:51

    Je ne peux qu'opiner du bonnet. Mais qu'en sera-t-il du dernier village gaulois ?

    Dr WO

    13
    Mercredi 22 Décembre 2010 à 18:37
    Et si la réalisation de soi passait par la fabrication par les adultes de jouets pour les enfants déjà nés et non l'achat d'enfants jouets à des femmes objets ?
    D'autant que la parentalité est une peine lourde : on en prend minimum pour 30 ans de nos jours !
    Mais c'est les toutes petites lignes qu'on ne lit jamais tout en bas du contrat !
    14
    Mercredi 22 Décembre 2010 à 19:26

    Bien dit. L'enfant-jouet a tendance en grandissant à casser son adulte.

    Dr WO

    15
    Mercredi 22 Décembre 2010 à 19:30

    Pour l'enfant, il arrive parfois que l'adulte en devienne l'esclave.

    Dr WO

    16
    Jeudi 23 Décembre 2010 à 10:02

    La place de l'adulte et celle de l'enfant grandissant deviennent de plus en plus floues.

    Dr WO

    17
    leonie
    Lundi 7 Janvier 2013 à 16:11
    Transformer l'enfant en valeur marchande me rapelle l'esclavage, parce qu'on vend des êtres humains plus faibles qui n'ont pas leur mot à dire et ne peuvent se défendre. Qu'ils soient bien ou mal traité ils n'en restent pas moins une marchandise et la civilisation n'a rien changé de cet aspect des choses.
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    18
    leonie
    Lundi 7 Janvier 2013 à 16:11
    Oui mais c'est parce que l'adulte n'est pas resté à sa place.
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