• 29. La maladie comme punition

    Cette idée omniprésente dans le passé, s'appuyant sur les croyances et expliquant l'impuissance des médecins, reste encore vivace de nos jours

     

    Un Tireur d'élite

    Dans l'Iliade, pour punir Agamemnon d'avoir enlevé la fille d'un prêtre et refusé de la rendre, les flèches d'Apollon frappent le camp grec et répandent une épidémie.

    Saint Grégoire parle de flèches tombant sur Rome pendant la première pandémie de peste du VIe siècle

    La peste du XIVe siècle tua près de la moitié de la population de l'Europe. Touchant tous les milieux sans distinction de rang ou de fortune, elle a semblé longtemps être l'expression du courroux divin. Des flèches venant du ciel et touchant l'homme, symbolisaient la maladie envoyée comme punition divine. Au XVème, des tableaux représentant les hommes frappés par cette maladie montrent des flèches atteignant l'aine ou l'aisselle, là où apparaissent les bubons. Dieu lançant des traits fût par la suite remplacé par un intermédiaire plus anonyme : la Mort  troquant sa faux contre un arc et des flèches et entraînant les pestiférés dans une danse macabre.

    La maladie comme punition divine lui donnait un caractère cosmique expliquant l'impuissance des médecins face aux forces surnaturelles.

     

    Tous coupables

    Tous les moyens étaient recherchés pour amadouer le Ciel : prières, processions, pénitences et flagellations. Lors de la peste du XIVème, des centaines d'hommes et de femmes venant d'Aix-la-Chapelle exécutaient jusqu'à épuisement une danse de Saint Guy sur la place publique, et allaient de ville en ville : Cologne, Metz et Erfurt, entraînant les spectateurs dans leurs convulsions frénétiques. La Confrérie de la Croix arrivant de Hongrie, traversait l'Europe, les frères tête couverte et yeux baissés, portaient des costumes sombres avec une grande croix rouge sur la poitrine. Ils exécutaient en public, deux fois par jour, des flagellations avec des fouets à triples lanières terminées par des pointes de fer. Leur venue était annoncée par des sonneries de cloches. La compagnie continuait sa tournée de ville en ville à moins que la peste de la décime.  Ces démonstrations impressionnantes étaient toutes inefficaces. Les hommes d'Eglise s'efforçaient de déterminer le péché responsable. Il variait selon les pays. On incriminait l'impiété, l'opéra ou le théâtre ou les habits trop voyants ou les longs souliers pointus, attribuant à Dieu des préoccupations pour le moins frivoles.

    Curieusement dans la conception religieuse de la maladie, c'est toujours  Dieu qui punit pour le péché et le diable n'intervient que pour la maladie mentale. Satan offre plutôt la santé et la jeunesse contre l'âme. L'âme serait-elle pathogène ?


    "La procession des flagellants" de Goya

                                                                                   

    Des malades au bûcher

    Pour se préserver de la lèpre pourtant peu contagieuse, les moyens ont été parfois radicaux. La crécelle permettait aux lépreux de signaler leur présence afin que l'on s'en écartât.  Les religions, prêtres et fidèles, considéraient également la lèpre comme une punition divine. Au XIVe siècle, les lépreux, accusés d'avoir empoisonné les puits, ont été exterminés. En 1321, restée dans les mémoires comme l'année de la crémation des lépreux, l'archevêque de Lyon en fit brûler un grand nombre.  Le roi Philippe V le long en profita pour confisquer leurs biens. Au XVIe siècle, alors que la lèpre devenait plus rare, certains se faisaient passer pour lépreux afin de ne pas travailler et ne pas payer d'impôts. Quelques établissements devinrent des lieux de vices et d'orgies transformant les bordes (cabanes de lépreux) en bordels[1].

                                                                                  

    Des malades soumis aux châtiments corporels

    A la fin du XVe siècle apparaît brusquement la grande vérole lors de l'invasion de l'Italie par Charles VIII. Elle se répand à grande vitesse et ravage toute la planète, comme la pandémie de sida actuelle. On n'en connaît absolument pas l'origine,  chaque peuple en accusant un autre, mal français pour les Italiens, mal napolitain pour les Français, mal des Francs pour les Arabes, mal portugais pour les Chinois, mal chinois pour les Japonais et mal des Indiens d'Amérique pour beaucoup, sans la moindre preuve, uniquement parce que l'épidémie est contemporaine du voyage de Christophe Colomb.

    C'est l'Italien Jérôme Fracastor qui identifie la vérole, la baptise syphilis, affirme la contagion par voie sexuelle et conseille  le mercure qui restera le seul traitement jusqu'au XXe siècle. Fracastor

    Les malades ont été longtemps dénoncés, isolés, stigmatisés, culpabilisés et parfois punis. A Bicêtre, ceux que l'on estimait coupables étaient flagellés. Dès 1496 les étrangers atteints devaient quitter Paris sous peine de pendaison, les syphilitiques devaient quitter Edimbourg sous peine d'être marqués au fer rouge et sous Louis XIV les prostituées trouvées dans la ville de Versailles risquaient de perdre leurs oreilles.

    Avec la pénicilline la maladie semblait vaincue car un traitement précoce la guérit sans séquelle. Depuis 2000 la syphilis est de retour, favorisée par la multiplication des partenaires et l'abandon du préservatif.

                                                                                    

    Régulation divine de la démographie

    La croyance dans l'intervention de l'Au-delà dans la maladie n'est pas l'apanage du Moyen-Age. La transmission du choléra se faisant par l'eau, les aliments souillés, et le contact manuel avec le porteur du vibrion cholérique de Koch, elle atteint de préférence les pauvres vivant nombreux dans des espaces étroits. Lors de l'épidémie de 1832 à Paris, certains dirent qu'il s'agissait d'une divine providence, permettant d'absorber l'excédent de population par rapport aux moyens d'existence.

     

    La maladie reste une punition

    De nos jours, lorsque l'avortement était clandestin, certains considéraient que la mort d'une avortée était une juste punition et on n'a pas manqué d'affirmer que la pandémie du sida était une punition divine frappant les tenants de la libération sexuelle. Dans l'esprit de tous et même dans celui des médecins, ne pense-t-on pas implicitement que les maladies provoquées par l'alcool, le tabac, les drogues punissent ceux qui se sont rendus coupables d'avoir cédé à leurs penchants. Inversement, combien de malades ne comprennent pas qu'ils puissent l'être, ne s'étant livrés à aucun écart et commis aucune faute, ayant suivi la prévention ou le traitement à la lettre et ressentent la maladie comme une punition injuste, d'autant plus injuste que le voisin intempérant reste, lui, en bonne santé.

    Documentation réunie avec la collaboration de Jean Waligora


    [1] W. Hansen et J.Freney, Bulletin de la Sté Française de microbiologie, fév 2003.

    « 30. La maladie comme armeLe ciel rougit »

  • Commentaires

    1
    Mardi 29 Juillet 2008 à 11:38
    Merci Seb. Médecine et vie, ce sont les deux thèmes que je tente d'aborder dans mon blog et que je peux qu'effleurer Amicalement Paul O.
    2
    Mardi 29 Juillet 2008 à 11:48
    Merci Jeffanne pour ce commentaire qui m'encourage à continuer Paul O.
    3
    Vendredi 1er Août 2008 à 10:40
    C'est surtout dans les croyances judéo-chrétienne que se lie le chatiment à la maladie. En islam on considère la maladie comme une épreuve de la vie. J'ai essayé d'aborder le sujet d'un autre angle en parlant plutot de la Douleur. (http://anatopie.blogspot.com/2007/07/ashes-to-ashes-dust-to-dust-1.html) le sujet reste très passionnant!!
    4
    Vendredi 8 Août 2008 à 10:15
    C'est en effet surtout dans le christianisme que la maladie a été considérée comme un châtiment et la douleur comme rédemptrice si l'on se réfère à José Maria Escriva de Balaguer, fondateur de l'Opus Dei : "Bénie soit la douleur ! Aimée soit la douleur ! Sanctifiée soit la douleur !
    Paul Obraska
    5
    Mercredi 20 Août 2008 à 19:37
    Bien sûr. Mais les religions ont beaucoup fait pour promouvoir l'intolérance et font encore beaucoup.
    P.O.
    6
    Jeudi 1er Octobre 2009 à 11:05
    En 1951 lorsque atteinte de la polio les voisins changeaient de trottoirs en passant devant la maison de mes parents. D'autres personnes affirmaient qu'on m'avait trop lavée...
    En 2005 une femme enseignante me dit que si mes parents m'avaient donné du magnésium je n'aurais pas été malade.
    Il est dit qq part que le paradis est ouvert aux petits enfants, sous-entendu aux idiots et autres congénitalités diverses, eh ! bien, il doit y avoir du monde..
    Je ne suis pas croyante...
    7
    Jeudi 1er Octobre 2009 à 11:50
    La superstition est immortelle.
    Dr WO
    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    8
    seb le
    Lundi 7 Janvier 2013 à 16:39
    J'ai l'impression d'ouvrir un "Science et Vie" : génial !
    9
    Jeffanne
    Lundi 7 Janvier 2013 à 16:39
    "Un science et vie" ??? peut-être, je ne sais pas mais pour moi : Que ces articles sont agréables et plaisants à lire... Si certains sujets s'avèrent austères le ton de l'auteur les rend moins amers... Dommage, dommage que j'ai si peu de temps... En tout cas merci infiniment.
    10
    LN- les entreparleur
    Lundi 7 Janvier 2013 à 16:39
    Vrai! Aux débuts du SIDA, j'ai entendu quelqu'un de ma famille dire; "C'est bien fait, X n'avait qu'à pas être homosexuel!"... Catholique pratiquante! Gardons-nous cependant de faire l'amalgame religion-intolérance. Il y a des imbéciles partout! Amitiés, LN-Les Entreparleurs.
    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :