• 103. P4P

    Depuis le 1er janvier 2012 les médecins généralistes qui n’ont pas expressément refusé (et dont le nombre est aujourd’hui manifestement sous-estimé par les caisses) bénéficieront d’une prime à la performance qui fait maintenant partie de la nouvelle convention médicale signée par trois syndicats médicaux. Pour ma part, le mot « performance », s’agissant de soigner ses semblables, aurait tendance à me hérisser le poil.

    Ce nouveau mode de rémunération des médecins vient s’ajouter au paiement à l’acte et aux forfaits. D’inspiration anglaise, où il est en vigueur depuis 2004, son sigle est P4P (« pay for performance »). En principe, ce système a été instauré an Grande-Bretagne avec l’ambition d’améliorer la qualité des soins en fixant aux médecins des objectifs, qui, s’ils sont atteints, donnent droit à une prime annuelle (pouvant atteindre le quart des revenus des médecins britanniques).

    En France le système sera basé sur 4 types d’indicateurs assortis de points (cf l’encadré) dont le total est de 1300 points permettant de calculer la rémunération annuelle (maximum 9100 €) en tenant compte du nombre de patients par médecin (évidemment « informatisé ») et du taux de réalisation des objectifs. En théorie, ce système devrait permettre à l’assurance maladie de faire de la santé publique à grande échelle.

     

    Il s’agit des indicateurs cliniques pour le suivi de deux pathologies chroniques (250 points), d’indicateurs de prévention et de santé publique (250 points), d’indicateurs d’optimisation de la prescription (400 points) et d’indicateurs d’organisation du cabinet (400 points). Sur ce dernier indicateur, la tenue du dossier médical informatisé rapporte 75 points, l’utilisation d’un logiciel d’aide à la prescription certifié : 50, l’informatisation pour la télétransmission et les téléservices : 75 points et l’affichage sur les horaires et les modalités de consultation, 50 points.

     

    Bien sûr, on ne peut pas connaître à l’avance le devenir et l’intérêt de ce P4P. Les syndicats signataires ont sans doute pensé qu’à défaut d’une revalorisation des actes, cette prime serait toujours bonne à prendre (même si elle sera loin d’atteindre pour chaque médecin le niveau maximum fixé). Bien que je ne sois plus dans le circuit, je me permets quelques remarques :

    1° On assiste à une infantilisation du médecin qui sera récompensé ou pénalisé pour ses actes. Le P4P permettra aux caisses d’accentuer surveillance et pressions. Et que l’on ne vienne pas me dire que ce sont les caisses qui payent les médecins, ce sont les patients qui, pour faire face aux frais médicaux, paye obligatoirement une prime plutôt élevée (globalement 22% du salaire brut) à une compagnie d’assurance plutôt mal gérée.

    2° Que devient la médecine exercée en son âme et conscience avec pour seul objectif l’intérêt du patient ? Le médecin aura plus de difficultés à traiter le malade comme il l’entend, selon ses connaissances et son expérience, et sera amené à suivre des schémas établis par des organismes officiels dont on a vu les erreurs commises dans le passé et qui peuvent ne pas être adaptés à un cas individuel. Les innovations médicales vont rapidement rendre obsolètes certains indicateurs (avec l’inertie que l’on connait pour leur mise à jour)

    3° On ne peut plus parler de médecine libérale. Les médecins ont tous les inconvénients de l’installation en libéral mais aucun des avantages de la fonctionnarisation (que l’on n’ose pas mettre en place, en raison de ses  méfaits). Il ne faut donc pas s’étonner que moins de 10% des jeunes s’installent en « libéral » et que des territoires sont dépourvus de médecins, les nouvelles promotions préfèrent le confort du salariat ou des remplacements.

    4° On ne voit pas l’intérêt économique du P4P. La prescription des génériques est entrée dans les mœurs (« optimisation de la prescription »), et de l’argent sera versé pour des actes qui, de toute façon, sont réalisés par un médecin compétent qu’il y ait prime ou non (comme le suivi d’un diabète, le dépistage de certains cancers ou la prévention que les médecins font naturellement).

    5° Cette prime risque de modifier la façon d’exercer et pas toujours dans l’intérêt du patient. En Grande-Bretagne,les généralistes ont rapidement adapté leur pratique pour remplir les objectifs et se sont focalisés sur les cibles à atteindre, négligeant parfois certains gestes et certains actes qui n’entrent pas dans le calcul de la prime. Par ailleurs, si l’on peut évaluer les actes réalisés, il est plus difficile d’évaluer leurs résultats (qualité des soins).

    6° Il s’agit tout de même d’une nouvelle usine à gaz qui sera basée sur les statistiques de l’assurance maladie dont la fiabilité laisse à désirer et d’un surcroît de travail administratif pour le médecin (et les caisses) aux dépens du temps purement médical et des relations avec le patient où l’ordinateur finit par devenir une tierce personne dans la consultation.

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 5 Janvier 2012 à 16:19
    La seule performance est la guérison du malade. Performance qui disparaît avec son décès, le plus souvent loin de son médecin traitant, à l'hôpital ou dans une maison de retraite.
    Encore une tentative technocratique, bureaucratique et comptable de la médecine sans tenir compte des malades qui ne sont pas des objets statistiques mais des individus. Je vais demander à mon médecin s'il fait partie de ceux qui ont "expressément refusé" cet embrigadement.
    2
    Jeudi 5 Janvier 2012 à 16:28

    Je suis bien d'accord. C'est une déhumanisation de la médecine, de la relation médecin-patient. Le traitement d'un malade est individuel.

    3
    Jeudi 5 Janvier 2012 à 17:38
    J'ai vu ma généraliste ce matin, dommage, je lui poserai la question le mois prochain . Si elle a accepté le système, je lui demanderai, qui va distribué les "Bons points", voir les "témoignages de satisfaction"(Ma maman avait gardé ceux du temps de sa primaire) !
    Certaines catégorie ne connaisse ni le ridicule ni la honte !
    Nettoue
    4
    Jeudi 5 Janvier 2012 à 18:04

    Je me sens un peu dépassé. J'avais choisi le métier de médecin pour des motifs plus "romantiques".

    5
    Jeudi 5 Janvier 2012 à 18:57
    Romantique, l'envie d'aider et d'être utile, avec souvent beaucoup de temps passé à se soucier en secret de tel ou tel malade, et tout cela presque effacé pour devenir un robot récompensé à l'effort comme dans un entrainement de musculation. C'est pitoyable vraiment et il y a de quoi éprouver un peu d'amertume
    Nettoue
    6
    Jeudi 5 Janvier 2012 à 19:02

    Je crois que beaucoup de médecins conçoivent encore la profession de cette façon, mais le monde a changé autour d'eux et ils ont en  effet de l'amertume.

    7
    Vendredi 6 Janvier 2012 à 12:38
    Un indicateur n'est qu'un outil. Il ne devient bon ou mauvais qu'en fonction de l'utilisation que l'on en fait.
    Alors faire des mesures sur l'activités des médecins, pourquoi pas, mais qu'entend-on par "efficacité"? efficacité du point de vue de la CPAM = couter moins d'argent?
    du point de vue du patient= je suis guéri/je suis en arret quand je veux/j'ai une ecoute à mes problemes/j'ai eu plein de medocs/j'ai eu peu de medocs?
    du point de vue du medecin= patient gueri, mais selon quels criteres?
    vu la complexité, il est a craindre qu'un systeme ne prenant en compte que quelques criteres soit simpliste voire contre productif...
    8
    Vendredi 6 Janvier 2012 à 18:14

    L'activité des médecins est déjà connue par les caisses. Beaucoup d'indicateurs tendent à obliger les médecins à modifier leur pratique (par ex. l'informatisation). Les indicateurs purement médicaux sont  réduits, ils donnent droit à une prime alors qu'ils font partie de la pratique médicale habituelle, c'est une source de dépenses et pas d'économie.

    9
    Lundi 16 Janvier 2012 à 20:57
    J'ai du mal à comprendre leur notation, du mal à voir en quoi ça serait représentatif d'une "performance". Il faut suivre un patient, connaître son dossier médical pour savoir si le médecin a bien agi. Mais une notation ? Ca paraît absurde et bien sûr, ça confirme la tendance générale qui est à la déresponsabilisation dans tous les domaines.
    10
    Mercredi 18 Janvier 2012 à 17:51

    Le mot performance n'a pas de sens. Il s'agit d'imposer des recommandations et d'orienter la pratique médicale (par ex. l'informatisation)

    11
    Mercredi 18 Janvier 2012 à 19:32
    C'est bien ce qui me fait peur.
    12
    Mercredi 18 Janvier 2012 à 19:44

    Il n'y a pas que du mauvais. Certaines recommandations sont bonnes, mais elles sont déjà appliquées par les médecins dans l'exercice normale de leur profession. Reste qu'elles peuvent être modifiées dans l'avenir et dans le sens des économies.

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