• Le poids de l’Histoire

    Le poids de l’Histoire

    En France, les commémorations constituent une des principales activités des présidents de la République, c’est le fameux arrosage des chrysanthèmes. Une activité qui leur reste toujours même quand ils n’ont guère de pouvoir, mais qui vient inutilement alourdir leur agenda lorsqu’ils en ont. Il ne leur serait cependant pas pardonné de ne pas entretenir les chrysanthèmes déposés par le passé.

    Les commémorations servent à faire revivre l’Histoire, elles se multiplient avec le temps, leur suppression, comme leur apparition, ayant une signification politique. A l’opposé, la chute des statues et l’autodafé des œuvres d’art cherchent à la faire disparaître ou à la rendre plus convenable pour ceux à qui elle ne convient pas. Glorifier ou réviser l’Histoire montre combien l’histoire des morts pèse sur celle des vivants.

    L’enfant est innocent. Il est innocent à la fois de sa brève histoire et de celle des autres dont il est ignorant. L’enfant prend l’autre tel qu’il est, sans histoire, dans les deux sens du terme.

    Que se passerait-il si les peuples naissaient vierges de leur histoire et de celle des autres comme les enfants ? S’ils ne revivaient pas l’histoire des morts dont on leur fait un récit parfois dévoyé ? Il ne resterait qu’une vision lucide du présent. Ni orgueil, ni décadence. Ni regrets, ni culpabilité, ni revendications post-historiques.

    Serait-on encore raciste si la colonisation et l’esclavage disparaissaient des mémoires ? Ce qui conduirait aussi à l’abrogation par amnésie de l’héritage victimaire revendiqué par les descendants de ceux qui les avaient subis.

    Que deviendraient les Juifs débarrassés du poids ancestral des bûchers, des pogroms et de leur quasi extermination en Europe, peut-être ne seraient-ils plus juifs ou vus comme tels s’ils ne pratiquent pas un judaïsme orthodoxe. Et sans doute que sans l’Histoire, l’antisémitisme lui-même disparaîtrait.

    L’Histoire est comme la langue, la meilleure et la pire des choses. Elle nous fait et nous détruit. Elle est explosive, mais la faire disparaître de l’enseignement pour que les êtres humains ne soient que ce qu’ils sont est impossible : chaque pierre nous la rappelle. Et que resterait-il des religions sans leur histoire légendaire ?

    En définitive, l’Histoire est plus nocive que bénéfique (elle l'est en nous transmettant les créations artistiques et les découvertes). Elle a été souvent tragique pour les générations passées et elle fournit bien de motifs de tragédie pour les générations futures et davantage encore quand elle est dévoyée.

    Illustration : Bernard Buffet

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  • Commentaires

    1
    Vendredi 19 Juin 2020 à 15:02

    Un homme ou un peuple sans mémoire ne serait-ils pas des coquilles vides ? C'est cela qui serait épouvantable!

      • Vendredi 19 Juin 2020 à 15:50

        Une coquille vide que l'on peut remplir par son propre passé et pas celui des autres. Ce qui ne m'empêche pas d'être passionné par l'Histoire.

    2
    Orage
    Vendredi 19 Juin 2020 à 15:13

    Arrosage ou inauguration des chrysanthèmes?

    Une personne sans mémoire s'épargnerait bien des remords.

      • Vendredi 19 Juin 2020 à 17:09

        "Inauguration", mais j'ai préféré "arroser" en raison des discours et même des pleurs. Remords, regrets, récriminations, ressentiments, culpabilité et tout cela pour des choses qui n'existent plus. Le "devoir de mémoire" reste un devoir, c'est à dire une dure obligation qui n'aide pas à vivre sa propre vie mais à la perturber.

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    3
    Vendredi 19 Juin 2020 à 16:40

    Ne posséder que son propre passé sans même celui de ses parents, de ses voisins, des gens qui sont nés avant soi et que l'on croise tous les jours, dont on entend parler, sans les livres écrits il y a un siècle, les musiques composées par des gens morts depuis longtemps, des tableaux et des grottes qu'ont admirés nos lointains ancêtres.? C'est un cauchemar. Heureusement, c'est impossible.

      • Vendredi 19 Juin 2020 à 17:05

        L'Histoire comme la langue est la meilleure et la pire des choses, et comme elle, elle est quasi indispensable. On ne peut malheureusement pas séparer l'histoire des conflits de celle des arts et des découvertes, mais ce serait l'idéal. Evacuer la première comme un poids mort et se gaver de la seconde pour la développer.

    4
    Souris donc
    Vendredi 19 Juin 2020 à 17:15

    La mémoire flanche.

    On se sert de l'Histoire pour des controverses, des conflictualités, des finalités politiques et sociétales.

    Nous, on avait le minimum : les dates et les rois. Marignan, 1515.

      • Vendredi 19 Juin 2020 à 17:22

        Rien n'est plus objectif que le calendrier des évènements. L'Histoire est toujours interprétée selon l'idéologie dominante du moment.

    5
    Vendredi 19 Juin 2020 à 18:50
    Raboliot

    L'Histoire est une suite d'expériences, certaines couronnées de succès, certaines désastreuses.
    Quiconque est amnésique est condamné à répéter sans fin les mêmes erreurs.

      • Vendredi 19 Juin 2020 à 19:16

        La mémoire des erreurs n'empêche pas de les répéter sous une autre forme. "L'expérience est une lanterne accrochée dans le dos qui n'éclaire que le chemin déjà parcouru" (proverbe chinois)

    6
    Vendredi 19 Juin 2020 à 21:52

    Que se passerait-il si les peuples naissaient vierges de leur histoire ?

    Quand je vois le nombre de participants à des jeux télévisés qui répondent à des questions historiques "je sais pas, j'étais pas né", je me dis qu'on en est pas peut-être pas très loin. 

      • Vendredi 19 Juin 2020 à 23:01

        Donc ma fiction s'est déjà accomplie.

    7
    Souris donc
    Dimanche 21 Juin 2020 à 07:45

    Ils déboulonnent les statues.

    Pourtant les personnages historiques sont un excellent moyen de comprendre le passé. Je m'étais prise de passion pour l'Empereur Frédéric II du Saint Empire Romain Germanique (élevé à la Cour de Sicile par les Arabes, il avait adopté leurs manières et se déplaçait avec son harem, ce qui la foutait mal, surtout vis à vis du Pape, mais me plaisait bien et je lisais tout ce qui sortait).

    Sylvain Gouguenheim, Frédéric II, Un empereur de légendes, Perrin, 2015, déconstruit patiemment toutes les récupérations, dans le dernier chapitre "anachronismes". Genre "le multiculturaliste, ami de l'Islam"

    Là, pensant découvrir le contexte de la création cinématographique, je sue sang et eau sur l'autobiographie de Woody Allen. Un salmigondis de noms hollywoodiens, 10 par pages, dont aucun ne vous dit rien. Gardez vos 24,50 euros.

      • Dimanche 21 Juin 2020 à 09:02

        Frédéric II était un personnage passionnant dont le parcours ne fut possible qu'avant l'apparition de l'Etat-Nation.

        Merci de me prévenir pour l'autobiographie de Woody Allen, j'avais prévu de l'acheter. Ses autres bouquins m'avaient amusé.

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