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Le curare juridique
Les maires réclamaient plus d’attention à leur égard, plus d’autonomie mais aussi plus de moyens. Il se trouve qu’avec le déconfinement qui se prépare, l’Etat leur laisse le soin de le préparer et notamment d’organiser la rentrée des classes. A cette fin, ils ont reçu un pavé de recommandations dont la bureaucratie française a le secret, un travers qui est loin d’être hexagonal, car pondre des normes est la raison d’être de toute bureaucratie, et le secret de sa pérennisation sous tous les cieux. Reste que les maires semblent être tout déboussolés, et ce qui ressort des déclarations que j’ai pu entendre est… la peur. Ils ont peur si les choses tournent mal, que les précautions prises soient jugées insuffisantes dans le cas où un enfant tomberait malade et qu’ils aient à répondre devant la justice d’un manquement quelconque ou même de la fatalité si ce manquement n’existe pas.
Nous sommes heureusement dans un Etat de droit. Mais le droit est devenu si complexe, si abondant, les normes si nombreuses et si contraignantes que le parcours d’un responsable doit suivre un sentier étroit et tortueux au milieu d’une forêt juridique inextricable et pas loin du précipice. Une forêt où se cachent des nains qui guettent le moindre faux pas pour vous pousser dans le précipice des tribunaux. Les Français sont un peuple de plaideurs qui n’attendent qu’une occasion de porter plainte, espérant tout de l’Etat mais n’en supportant pas l’existence. Les politiques ne sont pas en reste en ayant à présent la fâcheuse tendance à remplacer les projets par le recours aux tribunaux. Et ne parlons pas des associations dont beaucoup n’ont été constituées que pour pouvoir porter plainte, comme le truc contre l’islamophobie qui n’a aucune raison d’être.
La menace juridique est le propre des sociétés démocratiques, il est heureux qu’elle existe comme il est heureux que le curare existe pour pouvoir sauver un malade même si c’est au prix d’une paralysie transitoire. Le droit est nécessaire, mais il peut aussi paralyser par la peur de l’enfreindre même par de bonnes initiatives, ce qui peut conduire à éviter d’en prendre.
Si la peur juridique existe dans les démocraties, la peur de l’autorité dans les régimes autoritaires est bien pire et plus proche de la terreur que de la simple inquiétude, et bien plus paralysante. On en a vu l’illustration en Chine où les débuts de l’épidémie au covid-19 ont été cachés au pouvoir central jusqu’à faire taire les lanceurs d’alerte.
Il y a des paralysies plus souhaitables que d’autres, si certaines handicapent, d’autres sont mortelles.
Illustration : Honoré Daumier (gens de justice)
« C’est la guerre ou le paradis ?322. Les scientifiques devraient cesser de fournir des alibis aux politiques. »
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Commentaires
Il y a un site (anonyme, bien sûr) qui propose des formulaires pré-imprimés pour porter plainte contre Macron et ses ministres. Les gens cachés derrière ça proposent de choisir un formulaire déjà rempli parmi les catégories suivantes :
- Abstention volontaire de prendre les mesures visant à combattre un sinistre
- Violences involontaires
- Mise en danger délibérée de la vie d’autrui
- Homicide involontaire
Fin mars, ils avaient déjà enregistré plus 170 000 téléchargements.
C'est aussi ce genre d'initiative citoyenne qui fait peur à nos braves maires qui réclament l'impunité avant d'agir. Mais l'impunité, ce n'est pas possible, pas dans l'air du temps !
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Mardi 5 Mai 2020 à 23:05
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Vous semblez vous réjouir que notre état soit devenu un état de droit, moi je me desole que des juges prennent le pas sur les politiques.
Cette autre forme d'américanistion de notre société est détestable.
Je rêve de politiques qui remettront les juges à leur place, place dont ils débordent un peu trop.-
Mardi 5 Mai 2020 à 23:07
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5ArthourrMercredi 6 Mai 2020 à 10:15Moins l'Etat a de "moyens", plus on lui en demande car les quémandeurs en "manquent" (forcément).
Ca sent très fort sent la curée sur l'animal malade, et la bataille sans pitié pour ne pas être celui qui n'aura rien...
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Mercredi 6 Mai 2020 à 10:28
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ArthourrMercredi 6 Mai 2020 à 14:24
Bah, comme disait l'autre en chutant du 50e étage : "Jusqu'ici, tout va bien"...
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Mercredi 6 Mai 2020 à 15:15
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6un cœur qui bâtMercredi 6 Mai 2020 à 18:19Cher Doc,
Merci pour ce billet d'entre 2 tours d'élections (à rallonge) municipales... non, mais non cela ne pèse pas dans la balance... il n'est question que de décisions sanitaires et pas du tout électorales ;-)
Quant aux juges...ils sont censés rendre justice... et pourtant leurs décisions ne sont pas toujours justes....
Très bonne fin de journée et faites attention à vous.
Bien sincèrement.
Un cœur qui bât (pour le moment...)-
Mercredi 6 Mai 2020 à 18:37
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un cœur qui bâtMercredi 6 Mai 2020 à 20:19
Bonsoir Doc,
Qui jugera les juges ?
Très bonne question !La réponse au jour d'aujourd'hui dans l'état de droit français revient à mon sens à se poser la question de qui est l'enfant fou ?
De mémoire, « L'enfant fou est l'enfant qui voit à travers l'enfant le regard des enfants qui voient l'enfant fou… »
CQFD : les juges....Très belle soirée
Bien à vous
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Mercredi 6 Mai 2020 à 20:55
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John Grisham s'est fait une spécialité du roman policier fondé sur les failles de la Justice. Son roman "La transaction" montre les avocats harcelant les malades jusque sur leurs brancards pour soutirer des dommages et intérêts aux labos, aux médecins, aux hôpitaux, à l'Etat.
Nous devenons aussi procéduriers que les Américains. Tant que les structures privées sont attaquées, la Justice donne raison ou tort. Quand l'Etat est condamné, c'est le contribuable qui paie.
John Grisham est un auteur que j'aime bien. Le contribuable empoche ainsi de l'argent provenant des autres contribuables. Une redistribution en quelque sorte.