• La marche du mollusque amputé

     

    L’union des pays européens qui n’avaient pas cessé de se faire la guerre depuis des siècles est un vieux rêve qui ne s’est finalement réalisé qu’après les massacres du XXe siècle. La Royaume-Uni ou dans une forme désunie va probablement sortir de cette union qui s’est progressivement et lentement instaurée sur les ruines de la Deuxième Guerre Mondiale. Cette sortie n’aura sans doute guère de conséquences pour le continent à condition que les nationalismes belliqueux ne se réveillent pas à cette occasion.

    On peut critiquer la façon dont la décision britannique a été prise mais on peut aussi en comprendre les raisons, mise à part la xénophobie vis à vis d’autres Européens qui semble avoir joué un rôle non négligeable dans ce choix, sentiment plus épidermique que raisonnable.

    Mais les raisons raisonnables existent.

    Deux faits exemplaires viennent à l’appui du désenchantement des peuples européens déjà désenchantés, pour la plupart, par leurs politiciens locaux :

    La marche du mollusque amputé

    Le premier est l’avancée dans les négociations pour l'entrée de la Turquie dans l’UE. Pays de plus en plus autocratique, de moins en moins laïque, et dont la politique à l’égard des islamistes est plutôt trouble et à l’égard des Kurdes plutôt sanglante. Un pays asiatique et musulman qui deviendra, s’il entre dans l’UE, le pays le plus peuplé alors que sa culture a peu à voir avec la culture européenne, pour ne pas dire qu’elle s’y oppose dans bien des domaines.

    Mais la Turquie dispose d’une arme d’invasion massive, celle des réfugiés à l’assaut de l’Europe, et qu’elle maintient plus ou moins sur son sol. A cet égard, Angela Merkel a joué sa partition en soliste, un peu affolée en cours d'exécution par les couacs généreux lâchés au début du morceau.

    On en parle peu, nos dirigeants n’en disent rien, on ne demande l’avis de personne, tout se fait en catimini, et des responsables inconnus des peuples vont peut-être leur offrir la Turquie si lointaine en remplacement de la Grande-Bretagne si proche.

    Le second fait n’a pas la même importance géopolitique que le premier mais il est significatif du fonctionnement pour le moins irritant de l’UE :

    Le 13 mai dernier, les 28 Etats membres de l'UE avaient insisté pour que le traité de libre-échange entre l'Union Européenne et le Canada (Comprehensive Economic Trade Agreement  dit Ceta) entre en vigueur seulement après un feu vert des parlements nationaux.

    Or, quelques jours après le Brexit, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, bien connu pour avoir fait de son pays un petit paradis fiscal, s'est déclaré le 29 juin favorable à une adoption du traité … sans demander l'avis des parlements nationaux et même de l'unanimité des Etats membres au Conseil ! Considérant de son propre chef que "L'accord que nous avons conclu avec le Canada est le meilleur accord commercial que l'UE n’ait jamais conclu (ce qui est peut-être vrai), et qu’il est de la compétence exclusive de l'Union européenne (accord dit « non mixte » de son point de vue), c’est à dire, en l’occurrence, de sa compétence.*

    Et malgré la crise provoquée par le Brexit, Juncker, en pleine forme, ne trouve pas mieux que d’annoncer avoir prévu de sanctionner l’Espagne et le Portugal par une amende et une suspension temporaire des fonds structurels européens, pour non-respect du Pacte de stabilité.

    Ce genre de faits explique que les peuples peuvent éprouver le désir de sortir de l’UE et montre, de surcroît, l’incurie paresseuse et silencieuse du Conseil de l’UE (organisme pourtant prépondérant) dont les membres sont plus préoccupés par les échéances électorales dans leur pays que de la marche de ce mollusque géant en voie d’amputation qu’est devenue l’UE, et qu’ils laissent entre les mains d’un petit caporal aux convictions douteuses.

    * Aux dernières nouvelles : la Commission de l'UE a annoncé que les Parlements nationaux seraient consultés sur le traité de libre-échange entre l'UE et le Canada.

    « Le Brexit retiré du commerce ?217. Les savants et les faucheurs »

  • Commentaires

    1
    Mardi 5 Juillet 2016 à 17:25

    Comme vous l'expliquez si bien, UE est un mollusque et si nous n'y prenons garde nous nous noierons dans sa bave... Car la Turquie n'est point européenne et elle nous inondera l'Europe de milliers de musulmans! Que pourrons-nous alors faire ? Juste partir ou mourir!

      • Mardi 5 Juillet 2016 à 17:33

        Le pire n'est pas certain, mais il est possible.

    2
    Mardi 5 Juillet 2016 à 18:09

    Au lieu de sortir de l'UE, pourquoi ne pas sortir l'UE de l'Europe. (l'UE, sa commission, président compris, ses lobbyistes, ses fonctionnaires, ses parlementaires absents etc)? Il serait temps de vraiment construire l'Europe!

      • Mardi 5 Juillet 2016 à 18:22

        L'UE s'est construite par crises successives et non pas selon un plan pré-établi, la construction est donc bancale. Mais pourrait-on faire mieux avec des nations qui tiennent à leur identité ? (Ce n'est pas une critique). Sans doute, mais en refaisant les fondations.

    3
    Souris donc
    Mardi 5 Juillet 2016 à 21:00

    Tout se fait en catimini.

    Dans ce conglomérat, ce que vous soulevez avec pertinence, Dr Wo, c'est le déficit d'information et d'explication (téléviser les réunions du Conseil ?) et le lot de consolation pour les nuls que représentent certains sièges (Moscovici). Ajouter les statuts hétérogènes de pays membres de certains espaces et pas d'autres,  zone Euro, Schengen, institutions européennes : Suisse, Norvège, Islande, Lichtenstein. Et les confettis associés des uns et des autres, genre DOM-TOM. Sans parler de la candidature ubuesque de la Turquie, dans l'Otan, poussée par les Américains et tirée par Angèle.

    L'Europe est une chimère, au sens naturaliste du terme. Un ornithorynque.

     

      • Mardi 5 Juillet 2016 à 23:08

        Une chimère issue d'un projet chimérique mais qui tenait debout quand on ne lui en demandait pas trop et avant de devenir obèse après la chute du mur de Berlin.

        Même si l'information circulait mieux, il n'est pas certain que les gens s'intéresseraient au fonctionnement de l'UE qui semble ne pas les concerner, sinon pour s'en servir comme bouc émissaire. On voit l'intérêt porté par Hollande en laissant filer la plupart des postes clefs à Bruxelles et en nommant comme ministre chargé de l'Europe une personnalité aussi marquante qu'Harlem Désir dont la principale qualité est son mutisme.

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    4
    Souris donc
    Mercredi 6 Juillet 2016 à 08:47

    L'obésité est évidemment la plus grande entrave à l'efficacité d'un Conseil tenu aux décisions à l'unanimité des 28 chefs d'Etat et de gouvernement. La seule efficacité est le zèle exubérant de la Commission à pondre des normes sur le camembert et les décibels de l'orchestre symphonique. C'est ce que retiennent les gens : le ridicule. Ces normes veulent évidemment standardiser la circulation des biens.

    Quant à la circulation des personnes, aucun standard, guichet ouvert, open bar et appel d'air. Merci Angèle. Merci à Sa Sainteté Gaucho de la Pampa qui multiplie les postures en faveur de l'invasion et ressent "une impression générale de fatigue et de vieillissement d'une Europe grand-mère et non plus féconde et vivante" (devant le Parlement européen à Strasbourg, novembre 2014). Ben voyons.

     

     

      • Mercredi 6 Juillet 2016 à 10:59

        Dans un espace communautaire il est bien commode pour les adhérents au club de pouvoir circuler librement. Il est difficile d'assurer un contrôle sérieux des frontières extérieures surtout lorsque ce sont des réfugiés de guerre (encore faut-il les distinguer) qui se présentent aux portes de l'UE. Faut-il rétablir d'une certaine façon les frontières intra-UE ?

        Anti-bulle papale : même féconde l'Europe n'est pas destinée à se faire baiser.

    5
    Mercredi 6 Juillet 2016 à 10:03

    En fait, l'Europe est imparfaite, comme l'est la démocratie ( qui mécontente à chaque élections, rappelons-le, 49% de la population). Il est donc normal qu'il y ait des mécontents !

    Mais ce qui est exaspérant, c'est d'entendre ses ennemis irréductibles (l'extrême droite ( le FN en France) et l'extrême-gauche communiste (et assimilés FDG, etc), ceux qui sont prêts à faire feu de tous bois pour la faire disparaitre, se présenter en champions de la démocratie pour la combattre:  

    Trop bureaucratique ?

    OK, mais les communistes sont-ils bien placés pour critiquer la bureaucratie et le déficit de démocratie de l'UE ? Elle l'est plus que Cuba, la Corée du Nord ou  la Chine ? 

    Pas démocratique?

    Le Front National est -il plausible quand il parle de démocratie  alors que sa direction est majoritairement composée de gens qui ont admiré et soutenu les régimes de Franco en Espagne, des colonels en Grèce, d'Apartheid en Afrique du Sud , et de nostalgiques de Pétain, de l'Algérie Française (Rocard était dans le camp de l'ennemi dixit le père Le Pen) et toutes les guerre coloniales (Mendes-France s'est rendu coupable d'abord de désertion et ensuite de haute trahison en abandonnant nos colonies, dit un membre influent du FN) ?

     

    Pour moi, tous les problèmes français peuvent être résolus dans le cadre national , tous les problèmes européens peuvent être résolus dans un cadre européen. Seuls les crapules extrémistes des deux camps veulent jeter le bébé avec l'eau du bain. Et ensuite, démissionner.

      • Mercredi 6 Juillet 2016 à 10:43

        Il est évident que les extrémistes critiquant l'UE un nom de la démocratie est ridicule. Être communiste aujourd'hui pose une question de santé mentale. Quant aux extrémistes de droite marqués par la xénophobie, ils ne se rendent même pas compte que l'Algérie française aurait offert à la France la bagatelle de 40 millions de musulmans supplémentaires dont une bonne proportion d'islamistes radicaux.

    6
    Souris donc
    Mercredi 6 Juillet 2016 à 10:04

    Les réfugiés de guerre. Bien sûr, personne ne le conteste. Sauf que dans les faits divers, ce sont la plupart du temps de faux réfugiés, avec faux papiers, qui mentent sur leurs origines, leur âge. Des Africains qui ne viennent pas de pays en guerre. Deal florissant de toutes les mafias, et nous, on en est à pleurer d'émotion.

    Le Dalaï-Lama est plus réaliste :

    Un être humain qui a de meilleures conditions de vie a la responsabilité de les aider [les réfugiés]. Mais d'un autre côté, il y en a trop à présent en Europe.

    L'Europe, l'Allemagne en particulier, ne peut devenir un pays arabe, l'Allemagne est l'Allemagne", a-t-il ajouté, en référence au fait qu'une majorité des migrants vient de pays arabes comme la Syrie ou l'Irak.

     Il y en a tant que cela devient difficile sur le plan pratique. Et sur le plan moral, je trouve aussi que ces réfugiés ne devraient être accueillis que provisoirement. L'objectif devrait être qu'ils retournent [dans leur pays] et aident à reconstruire leur pays.


     

      • Mercredi 6 Juillet 2016 à 10:47

        Je vote pour le Dalaï-Lama. Une déclaration politiquement incorrecte et qui ne manque ni de bon sens ni de courage.

    7
    Mercredi 6 Juillet 2016 à 17:43

    L'Europe s'est construite par crises successives, dites-vous. Il y a quand même eu au départ des bonnes volontés et des accords. Il aurait été plus logique de ne construire que sur des accords. Il est encore, il est toujours temps. C'est le système actuel qui est plus contre l'Europe que la volonté (le rêve, le désir, l'idéal?) des peuples qui, à part quelques extrêmes, sont europhiles et ne réservent leur scepticisme et leur hostilité qu'aux structures.

    8
    Mercredi 6 Juillet 2016 à 18:11

    Les pères fondateurs avaient en effet une bonne volonté, mais sur quoi étaient fondés prudemment les premiers accords : sur le charbon et l'acier ! Les crises ont été nombreuses : l'Europe coupée en deux, l'échec de la Communauté européenne de défense (non ratification par la France), l'opposition de De Gaulle à une menace de pouvoir fédéral ("la chaise vide"), Tatcher, la crainte de la réunification de l'Allemagne, la crise des Balkans où les uns étaient pour la Croatie et les autres pour la Serbie, l'Irak où les uns se sont engagés et pas les autres, l'échec de la constitution, la crise de 2008, les dettes monstrueuses, le flux des réfugiés et maintenant le Brexit...A chaque fois, l'UE s'est un peu modifiée et elle est encore là. Les structures ne sont pas si mauvaises quand on les regarde de près, ce sont les Etats qui le sont.

      • Souris donc
        Jeudi 7 Juillet 2016 à 09:40

        D'accord avec vous, Dr Wo, sauf peut-être sur la dernière phrase. les Etats aussi se sont modelés au fil du temps et par crises successives. La question de l'identité n'est jamais abordée avec objectivité, elle fait immédiatement l'objet de quolibets ou de leçons de morale et finit par devenir tabou. Tu revendiques une identité, c'est que tu es facho et suppôt de Marine Le Pen.

        Or au niveau européen, pour peu qu'on y soit allé, on constate que les pays du Visegrad sont très différents des autres, que fait-on ? On laisse s'y établir des routes de  migration ingérables, on les laisse se démerder avec le flot de "réfugiés", puis quand ces pays élèvent des murs et barbelés, on leur fait la leçon.

        Les deux questions, de l'identité refoulée et du chômage de masse, font en France le "lit du FN", ce qui est peut-être l'objectif de Mou-Président-Je (merci Nafissatou) : se retrouver dans la configuration FNPS au second tour, appeler au front républicain et rafler la mise. Ne pas sous-estimer la rouerie du personnage sous son air con et sa vue basse.

        La gauche qui crie au populisme et autres heures les plus sombres serait bien inspirée de faire son auto-critique.

         

      • Jeudi 7 Juillet 2016 à 11:56

        Ce sont les Etats qui font l'UE et ce ne devrait pas être l'inverse. La question de l'identité est évidemment complexe puisqu'elle se situe au niveau de chaque Etat et les identités nationales peuvent s'opposer. L'UE par sa Cour de justice impose une identité morale (issue de la dernière guerre) qui peut s'opposer aux identités nationales. Mais quand on parle d'identité c'est le plus souvent l'opposition entre la culture judéo-chrétienne de l'Europe et la culture musulmane lorsqu'elle se veut radicale dans un milieu où elle n'a eu aucune évolution historique.

        La parole est paralysée par le souvenir encore vif du racisme nazi meurtrier qui a régné en Europe et c'est curieusement au nom de l'antiracisme que l'on permet plus ou moins à l'antisémitisme arabe de se développer. Hitler et l'islam, même combat, avec l'appui des gauchistes idiots brandissant le label de l'anti-fascisme.

      • Souris donc
        Jeudi 7 Juillet 2016 à 13:00

        Exactement ça. Quand les Ashkénazes ont fui les pogroms, leur premier souci en arrivant au pays des droits de l'homme a été de s'intégrer. Les parents donnaient aux enfants des prénoms français et exigeaient d'eux des résultats à l'école. Hélas, on connaît la suite : Drancy, le Vel' d'Hiv.

        La culpabilisation et l'antiracisme bénéficient, un comble, à l'antisémitisme arabe et inhibent tout regard factuel sur l'immigration de masse.

      • Jeudi 7 Juillet 2016 à 16:06

        Entièrement d'accord.

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