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FIN DE VIE
TENDRESSE
Exposé au musée du Louvre, ce tableau très connu de Domenico Ghirlandaio de 1490 (« Un vieil homme et son petit-fils ») m’a toujours fasciné. Le visage du vieillard peint avec un réalisme cru : le teint grisâtre, la verrue sur le front, les rides et surtout le nez déformé par un rhinophyma. La laideur du vieillard contrastant avec la beauté, la pureté, la blondeur de son jeune petit-fils qu’il tient dans ses bras.
Et quels regards !
Un échange silencieux d’affection. L’enfant pose sa main sur la poitrine du vieillard, mais n’est-il pas intrigué par ce nez monstrueux ? Non, la laideur de l’ancêtre est acceptée, l’amour ne s’arrête pas pour si peu.
Quelle subtilité dans l’expression du grand-père ! Une ébauche de sourire et le regard expriment tout son amour pour l’enfant. Mais aussi la nostalgie, face à cette jeunesse, d’un homme qui devra bientôt quitter les siens en quittant ce monde.
Et derrière, le paysage où une route serpente pour rejoindre la mer comme une vie rejoignant le néant. Le chemin parcouru de l’enfance à la mort.
SAGESSE (Rembrandt : "Vieil homme en rouge")
Un vieil homme avait un jour rencontré Dieu
Oh ! Pas dans une église, un temple ou une mosquée
Car Dieu avait honte de s’y montrer
Mais dans un parc sur un banc comme un petit vieux
Il s’était assis et le vieil homme s’était écarté
Il ne savait pas que c’était Dieu
Il ne l’avait jamais fréquenté
Ils sont restés assis silencieux
Comme deux inconnus
Comme deux petits vieux
C’est Dieu qui commença à parler
Il demanda à l’homme si ce parc lui avait plu
Il en parlait comme si c’était Lui qui l’avait créé
L’homme en se tournant vit son visage barbu
Où donc l’avait-il déjà rencontré ?
Ça devait remonter à une éternité
Mais Dieu lui dit en hésitant un peu :
Je suis Dieu
Et le vieil homme lui demanda poliment :
Comment allez-Vous ?
Et Dieu répondit : pas très bien en ce moment
Ça ne m’étonne pas du tout
Fit l’homme âgé en se levant
Vous partez déjà demanda Dieu un peu déçu
Et l’homme répondit que son temps était compté
Que c’est Lui qui l’avait ainsi voulu
Seuls les Dieux avaient pour eux l’éternité
Dans un parc en se promenant
A tout moment on peut rencontrer l’inattendu
Si vous rencontrez un petit vieux sur un banc
Sachez qu’il est plus près de Dieu que des vivants
Mais ne faites pas comme s’il n’existait plus
LASSITUDE (Van Gogh)
Comme les branches que l’on scie
D’un arbre vermoulu
On perd un à un ses amis
Pour se retrouver nu
Comme un tronc dégarni
Un tronc de plus en plus pesant
Les branches le rendaient léger
Les rameaux volaient au vent
Dans un bruissement d’amitié
Comme il est laid le tronc vermoulu
Comme il est bête le tronc nu
Il craque seul dans le vent
Et personne ne l’entend
Si les arbres amputés repoussent
Plus fort, plus grand qu’avant
Lorsqu’on coupe les pousses
Les hommes aux branches coupées
N’en ont plus pour longtemps
A traîner leur tronc dénudé
LAIDEUR (Goya : "Deux vieillards mangeant la soupe")
AGONIE (Egon Schiele)
L’agonisant sur son grabat
A déjà enfilé son crâne de squelette
Sa peau a abandonné sa tête
Noyé dans des couvertures en amas
Aux couleurs vivantes et colorées
Ses mains veulent peut-être prier
Mais il n’est plus là
Il n’a plus peur
Il est ailleurs
Le prêtre à tête de boxeur en colère
Couronnée de sa tonsure
Sa barbe noire en jugulaire
Il prend, il ceinture
Dans le cercle de ses bras écartés
Tête basse prêt à foncer
Son œil globuleux fixé
Sur l’âme de l’agonisant
Il veille plus qu’il ne prie
Il surveille le mourant
Il est à lui
Mais l’agonisant s’est échappé
Il est trop tard
Il n’est plus à personne
Il n’est nulle part
DERNIER VOYAGE (Bernard Buffet)
Les maisons aux murs blafards
Dressées dans le ciel terreux
Sous les paupières mi-closes de leurs croisées
Regardent passer au pas le corbillard
La traine étirée du cortège d’ombres
Silhouettes d’encre efflanquées
Poignée de fourmis dans l’étroite ruelle
Entre la maison aux boutiques sombres
Et le mur infini se perdant dans le ciel
Dans le gris terre et cieux confondus
Le cortège s’enfonce dans la venelle
Pour la dernière ballade du disparu
L'ENTERREMENT (Courbet : "Enterrement à Ornans")
Combien de fois devrai-je venir dans ce cimetière
Accompagner à pas lents un proche ou un ami
Supporter la litanie convenue des prières
Serrez les mains, baiser les joues, les yeux rougis
Combien de fois devrai-je jeter un peu de terre
Et une seule fleur coupée aux pétales d’acajou
Sur la boîte hexagonale de bois clair
Posée par les cordes au fond du trou
Combien de fois avant de venir dans ce cimetière
Porté par des bras étrangers, sans l’avoir voulu
Sans entendre les mots murmurés sans prières
Sans sentir la poudre de terre me tomber dessus
Et la douce chute des quelques fleurs coupées
Jetées par des vivants venus m’accompagner
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Commentaires
Très nostalgique Doc, très beau également !
Il est certain que la vie n'est qu'un cycle qui se termine par la mort et j'ai toujours entendu les croyants de ma famille, dire : "tu es né poussière, tu retourneras poussière".
C'est ainsi, et voyez vous je comprends les idées de ma mère récemment disparue. Quand la vie qui s'éternise alors que l'on se sent inutile pour la société, c'est difficile de garder le moral. C'était son cas. Société, du reste, de laquelle elle s'était volontairement déconnectée. Elle souhaitait s'en aller depuis longtemps ayant survécu 13 ans à mon père, son seul amour ! Par contre, elle ne voulait pas souffrir. Son bon Dieu l'a exaucé puisqu'elle s'est vue partir mais n'a pas souffert physiquement. Moralement, c'est une autre histoire !.
Quant à Dieu, qu'il soit vieillard sur un banc, ou au ciel pour accueillir ses ouailles, je suis heureuse pour ceux et celles soulagés par cette existence spirituelle. Bonne soirée. ZAZA
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Jeudi 8 Octobre 2015 à 08:11
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Ces poèmes sont très beaux et les tableaux qu'ils illustrent renforcent la mélancolie qui nous gagne en les lisant. On s'approche de la fin en abandonnant le monde à regret. Heureusement, le premier tableau nous console: la vie continuera sans nous mais aussi grâce à nous.
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Jeudi 8 Octobre 2015 à 10:33
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Belle évocation de ce qui nous guette tous... dans un temps le plus lointain possible j'espère.. enfin si la maladie et la déchéance m'épargnent...
Le premier tableau reste porteur de douceur, d'amour et d'espoir. Merci Dr WO pour ce partage
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Il y a comme un voile de tristesse dans vos poèmes;tel le voile de brume des petits matins d Automne: cette saison incite à la mélancolie ,personnellement je préfère le petit enfant aux boucles blondes qui symbolise le renouveau , la continuité de la vie.
Sans doute, mais la continuité de la vie ne console pas de sa perte future.