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DANS MA VILLE XXXIII
12 NOCTURNES
1
La Lune livide est une enfant sage
Elle a beau se cacher la face
Derrière un voile gris de nuages
Elle est obligée de regarder en face
La grosse Terre bleutée
Sans pouvoir se retourner
Ce n’est pas un spectacle pour les enfants
Mais que voulez-vous, la Terre
C’est sa mère
Et on ne choisit pas ses parents
2
Un bout de Lune égaré est tombé
Dans une flaque ronde de lumière
Où un homme saoul s’est oublié
Les mains au cou du réverbère
3
A la pleine Lune ou un autre quartier
Dans un immense coffre-fort de béton
Où les gens avant de se coucher
Entreposent leur avoir à explosions
Un spécimen mâle de l’Humanité
Ouvre avec une lame la combinaison
D’une femme inerte avant de la violer
4
Un père à petits pas prudents
Sans faire craquer les lames du plancher
Se glisse dans le silence de l’appartement
Regarde avec amour sa fille endormie
Qu’un rayon de Lune caresse en passant
Dans la petite chambre aux murs fleuris
Et se penche sur la belle enfant offerte
La braguette ouverte
5
Dans un bois bétonné ou une rue déserte
Des files de filles aux fesses découvertes
Se penchent sur les vitres entr’ouvertes
Au clair de Lune les couples se concertent
Pour choisir entre sexe et bouche experte
6
Avant de se fermer une bouche de métro
A vomi sur le sol un paquet-cadeau
Une grande boîte entourée de papier
Avec dedans un homme marron glacé
7
Une femme crie au secours dans la nuit
La Lune écoute monter les cris de terreur
Les gens agacés tournent dans leur lit
Tout de même, il est plus de 22 heures !
8
Une femme dans une chambre à coucher
Regarde le point rouge fixe de la télé
Et les chiffres bleus des heures défiler
L’époux couché bouge à ses côtés
Son gros ventre monte et descend
Il s’étouffe parfois dans ses ronflements
Et la femme pense dans son insomnie
Qu’il est bon d’avoir de la compagnie
9
La bouffe roule vers les garde-manger
Le malade garde l’espoir d’être guéri
Le médecin de garde ne peut rien pour lui
Le gardien de la paix n’est pas apaisé
Le voleur se garde de la Lune et s’enfuit
Le gardien de nuit n’a plus rien à garder
10
Un balayeur noir a envie de pisser
Combien de corps encore à enjamber ?
Il voit en passant les lunes dénudées
Le responsable municipal de la propreté
Arrivera-t-il à temps pour se soulager ?
11
Dans les beaux quartiers de Paris
Dans un petit local noir surpeuplé
Les gens ne dorment pas, ils crient
Plus fort que le tintamarre syncopé
Ils s’agitent, ils boivent, ils suent
Mains frôleuses et sexe à l’affût
Ils fument et se croisent aux vécés
Après avoir été longtemps enfermés
Ils s’expulsent au petit matin
Nauséeux, fripés, fatigués, drogués
Ils s’embrassent et se serrent la main
Encore une fois
Comme la Lune ils vont se coucher
La belle vie, quoi
12
C’est un bel arbre comme un monument
On s’y abrite de la pluie et du vent
Au clair de la Lune effarée
Une automobile en pièces détachées
Expire son huile et fume à ses pieds
De beaux jeunes gens se sont éclatés
Paul Obraska
Illustration : Salvador Dali : « Madrid. Homme ivre »
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Commentaires
La poésie m'est terrible en général... Comme si elle parlait à un endroit de mon cerveau que je ne connais pas, elle fait jaillir des sons, des images, des odeurs, du rire et des larmes. On devrait se méfier plus des poètes : ils passent tous les filtres !C'est là le "deal" (je ne trouve pas d'équivalent français) entre la langue et moi : je ne filtre rien, reçoit tout comme une éponge, sur le même plan à la manière d'un récepteur capable de ressentir aussi ce qu'il reçoit. Des fois, ça cogne, comme tout à l'heure lorsque j'ai lu : http://www.maitre-eolas.fr/post/2010/12/12/Tu-in-mulieribusLe tableau ne me dit rien. Mais le poème me parle, lui.C'est un tableau très inhabituel de Dali dont l'ambiance semblait cadrer avec le texte.
Dr WO
Cette nuit que vous dites si horriblement bien, cette nuit dans la vile (un seul l convient bien), comme elle est loin de celle que je viens de vivre.
Hier soir, une belle lune presque ronde éclairait la campagne enneigée. Une vingtaine de marcheurs de tous âges, chaudement habillés marchaient dans la poudreuse, s'extasiant de la beauté de la nature, jouissant pleinement de la chance de vivre loin des turpitudes urbaines. Après cette petite balade sous les étoiles nous avons retrouvé dans la salle municipale quelques anciens et quelques bambins qui avaient préparé un joli buffet avec les gourmandises cuisinées par les participants. Vin chaud, musique, danses collectives, cette année encore notre soirée d'avant Noël a contribué à souder un peu plus encore les habitants de mon petit village privé de tout et riche ô combien !Il faudrait construire les villes à la campagne comme le disait Allais. Mais toute chose a deux faces et la ville a son côté sombre et son côté lumière.
Dr WO
Je ne retiens de vos poêmes que le côté lumière.
D'ailleurs c'est la lumière qui éclairent les côtés noirs... si on prend soin d'allumer celle-ci...
en tout cas merci...Chacun peut y prendre ce qu'il veut. Je suis content que l'on puisse y prendre quelque chose.
Dr WO
Tres fort, vraiment, et la correction, le maniement du language rendent les horreurs decrites de manière bien plus...choquante qu'une succession d'image vulgaire18leonieLundi 7 Janvier 2013 à 16:11J'ai trouvé votre poème tout aussi coloré que le tableau. Le noir, blanc et beige y sont bien représenté. C'est malheureusement la réalité.
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Toutes ces situations défrayent les chroniques médiatiques,certes...... mais sans optimisme exagéré, je préfère voir la bouteille à moitié pleine, plutôt que de la voit à moitié pleine.
Bonne soirée.
ZAZA