• DANS MA VILLE XXXIII

    dali94

    12 NOCTURNES

     

    1

    La Lune livide est une enfant sage

    Elle a beau se cacher la face

    Derrière un voile gris de nuages

    Elle est obligée de regarder en face

    La grosse Terre bleutée

    Sans pouvoir se retourner

    Ce n’est pas un spectacle pour les enfants

    Mais que voulez-vous, la Terre

    C’est sa mère

    Et on ne choisit pas ses parents

     

    2

    Un bout de Lune égaré est tombé

    Dans une flaque ronde de lumière

    Où un homme saoul s’est oublié

    Les mains au cou du réverbère

     

    3

    A la pleine Lune ou un autre quartier

    Dans un immense coffre-fort de béton

    Où les gens avant de se coucher

    Entreposent leur avoir à explosions

    Un spécimen mâle de l’Humanité

    Ouvre avec une lame la combinaison

    D’une femme inerte avant de la violer

     

    4

    Un père à petits pas prudents

    Sans faire craquer les lames du plancher

    Se glisse dans le silence de l’appartement

    Regarde avec amour sa fille endormie

    Qu’un rayon de Lune caresse en passant

    Dans la petite chambre aux murs fleuris

    Et se penche sur la belle enfant offerte

    La braguette ouverte

     

    5

    Dans un bois bétonné ou une rue déserte

    Des files de filles aux fesses découvertes

    Se penchent sur les vitres entr’ouvertes

    Au clair de Lune les couples se concertent

    Pour choisir entre sexe et bouche experte

     

    6

    Avant de se fermer une bouche de métro

    A vomi sur le sol un paquet-cadeau

    Une grande boîte entourée de papier

    Avec dedans un homme marron glacé

     

    7

    Une femme crie au secours dans la nuit

    La Lune écoute monter les cris de terreur

    Les gens agacés tournent dans leur lit

    Tout de même, il est plus de 22 heures !

     

    8

    Une femme dans une chambre à coucher

    Regarde le point rouge fixe de la télé 

    Et les chiffres bleus des heures défiler

    L’époux couché bouge à ses côtés

    Son gros ventre monte et descend

    Il s’étouffe parfois dans ses ronflements

    Et la femme pense dans son insomnie

    Qu’il est bon d’avoir de la compagnie

     

    9

    La bouffe roule vers les garde-manger

    Le malade garde l’espoir d’être guéri

    Le médecin de garde ne peut rien pour lui

    Le gardien de la paix n’est pas apaisé

    Le voleur se garde de la Lune et s’enfuit

    Le gardien de nuit n’a plus rien à garder

     

    10

    Un balayeur noir a envie de pisser

    Combien de corps encore à enjamber ?

    Il voit en passant les lunes dénudées

    Le responsable municipal de la propreté

    Arrivera-t-il à temps pour se soulager ?

     

    11

    Dans les beaux quartiers de Paris

    Dans un petit local noir surpeuplé

    Les gens ne dorment pas, ils crient

    Plus fort que le tintamarre syncopé

    Ils s’agitent, ils boivent, ils suent

    Mains frôleuses et sexe à l’affût

    Ils fument et se croisent aux vécés

    Après avoir été longtemps enfermés

    Ils s’expulsent au petit matin

    Nauséeux, fripés, fatigués, drogués

    Ils s’embrassent et se serrent la main

    Encore une fois

    Comme la Lune ils vont se coucher

    La belle vie, quoi

     

    12

    C’est un bel arbre comme un monument

    On s’y abrite de la pluie et du vent

    Au clair de la Lune effarée

    Une automobile en pièces détachées

    Expire son huile et fume à ses pieds

    De beaux jeunes gens se sont éclatés

     

    Paul Obraska

     

    Illustration : Salvador Dali : « Madrid. Homme ivre »

    « 85. Il est né le divin DMPAvertissement »

  • Commentaires

    1
    Vendredi 17 Décembre 2010 à 18:17
    Ce tableau de Salvador Dali t'a inspiré de sombres pensées Doc....
    Toutes ces situations défrayent les chroniques médiatiques,certes...... mais sans optimisme exagéré, je préfère voir la bouteille à moitié pleine, plutôt que de la voit à moitié pleine.
    Bonne soirée.
    ZAZA
    2
    Vendredi 17 Décembre 2010 à 18:26

    La réalité ne se laisse pas enfermer dans une bouteille.

    Dr WO

    3
    Vendredi 17 Décembre 2010 à 19:19
    La poésie m'est terrible en général... Comme si elle parlait à un endroit de mon cerveau que je ne connais pas, elle fait jaillir des sons, des images, des odeurs, du rire et des larmes. On devrait se méfier plus des poètes : ils passent tous les filtres !
    4
    Vendredi 17 Décembre 2010 à 19:22

    Ai-je un peu passé les vôtres ?

    Dr WO

    5
    Vendredi 17 Décembre 2010 à 19:34
    C'est là le "deal" (je ne trouve pas d'équivalent français) entre la langue et moi : je ne filtre rien, reçoit tout comme une éponge, sur le même plan à la manière d'un récepteur capable de ressentir aussi ce qu'il reçoit. Des fois, ça cogne, comme tout à l'heure lorsque j'ai lu : http://www.maitre-eolas.fr/post/2010/12/12/Tu-in-mulieribus
    6
    Vendredi 17 Décembre 2010 à 19:39

    Donc, si vous ne filtrez rien, c'est qu'il n'y a pas de filtre. Fastoche.

    Dr WO

    7
    Vendredi 17 Décembre 2010 à 19:40
    Le tableau ne me dit rien. Mais le poème me parle, lui.
    8
    Vendredi 17 Décembre 2010 à 21:52

    C'est un tableau très inhabituel de Dali dont l'ambiance semblait cadrer avec le texte.

    Dr WO

    9
    Samedi 18 Décembre 2010 à 08:23
    Cette nuit que vous dites si horriblement bien, cette nuit dans la vile (un seul l convient bien), comme elle est loin de celle que je viens de vivre.
    Hier soir, une belle lune presque ronde éclairait la campagne enneigée. Une vingtaine de marcheurs de tous âges, chaudement habillés marchaient dans la poudreuse, s'extasiant de la beauté de la nature, jouissant pleinement de la chance de vivre loin des turpitudes urbaines. Après cette petite balade sous les étoiles nous avons retrouvé dans la salle municipale quelques anciens et quelques bambins qui avaient préparé un joli buffet avec les gourmandises cuisinées par les participants. Vin chaud, musique, danses collectives, cette année encore notre soirée d'avant Noël a contribué à souder un peu plus encore les habitants de mon petit village privé de tout et riche ô combien !
    10
    Samedi 18 Décembre 2010 à 09:34

    Il faudrait construire les villes à la campagne comme le disait Allais. Mais toute chose a deux faces et la ville a son côté sombre et son côté lumière.

    Dr WO

    11
    Samedi 18 Décembre 2010 à 10:37
    Je ne retiens de vos poêmes que le côté lumière.
    D'ailleurs c'est la lumière qui éclairent les côtés noirs... si on prend soin d'allumer celle-ci...
    en tout cas merci...
    12
    Samedi 18 Décembre 2010 à 10:49

    Chacun peut y prendre ce qu'il veut. Je suis content que l'on puisse y prendre quelque chose.

    Dr WO

    13
    Samedi 18 Décembre 2010 à 23:01
    Tres fort, vraiment, et la correction, le maniement du language rendent les horreurs decrites de manière bien plus...choquante qu'une succession d'image vulgaire
    14
    Dimanche 19 Décembre 2010 à 11:43

    Merci. Des visiteurs ont peut-être été rebutés par la noirceur de ce poème.

    Dr WO

    15
    Dimanche 19 Décembre 2010 à 18:36
    Une plume toujours acérée !
    Bravo et merci Docteur !
    16
    Dimanche 19 Décembre 2010 à 19:06

    Merci. Une plume trempée cette fois dans l'encre noire.

    Dr WO

    17
    Lundi 20 Décembre 2010 à 19:17

    J'aurais pu aussi l'intituler "Faits divers".

    Dr WO

     

    18
    leonie
    Lundi 7 Janvier 2013 à 16:11
    J'ai trouvé votre poème tout aussi coloré que le tableau. Le noir, blanc et beige y sont bien représenté. C'est malheureusement la réalité.
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