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58. A vous de choisir (1) et (2)
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Un rêve de malade : se passer du médecin .D’après Hérodote, les babyloniens transportaient leurs malades sur la place du marché. Les passants étaient dans l’obligation d’interroger chacun d’entre eux sur son mal et s’ils avaient souffert du même, ils devaient lui communiquer le remède qui les avait guéris.
Médecine collective qui n’a pas entièrement disparu. Il suffit de dîner en ville pour savoir que tout le monde et n’importe qui est médecin amateur et n’hésite pas à donner des conseils au professionnel. « La courtoisie consiste à se laisser expliquer les choses que l’on connaît par ceux qui ne les connaissent pas » (Talleyrand).
Laisser au malade la décision de son traitement est une des meilleures acquisitions de la pratique médicale actuelle…pour le médecin.
Pour traiter un patient, les médecins ont toujours tenu compte de ses désirs, mais le choix définitif leur incombait. Aujourd’hui on demande aux médecins d’expliquer au malade les aléas et les avantages de chaque traitement et le malade doit prendre seul la décision.
On dit et on fait semblant de croire que le malade choisit son traitement comme un article dans les rayons d’un grand magasin en suivant quelques conseils de la vendeuse. Le médecin, comme la vendeuse, n’étant là que pour orienter le choix, mais à la limite on pourrait s’en passer. Demander au patient de choisir son traitement est bien commode pour le médecin, il évite ainsi l’épreuve de la décision pour se comporter en simple technicien prestataire de services et c’est pour lui une manière de se défausser de sa responsabilité.
Pour une maladie donnée, les médecins ont du mal et mettent souvent longtemps à déterminer le traitement le meilleur. C’est plus commode et plus rapide de laisser le malade le déterminer tout seul. Il est le mieux placé pour l’expérimenter.
Les malades cherchent curieusement le traitement le plus efficace et le moins dangereux. Le médecin aussi. L’affaire est simple lorsqu’ils trouvent le même.
Des malades hésitants ont l’habileté de demander à leur médecin : « et si c’était vous, que choisiriez-vous ? ». C’est une des questions les plus embarrassantes qu’un malade puisse poser à son médecin. Il évite le plus souvent d’y répondre et apprécie alors l’abandon du paternalisme et le choix laissé au malade.
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Le malade a la liberté de se tromper.
Le choix du traitement constitue en principe l’expression la plus évidente de la liberté du malade face à sa maladie. Les cas où le traitement peut être théoriquement imposé même contre la volonté du patient sont rares[1]. Un malade peut refuser de se traiter, c’est là où sa liberté s’exprime pleinement, alors que le médecin fait l’impossible pour qu’elle ne s’exprime pas. Lorsque le malade refuse tous les traitements proposés, le médecin se doit de le convaincre mais il n’a pas toujours raison. Dans le passé les malades auraient dû pour la plupart refuser les saignées, répétées parfois jusqu’à ce que mort s’ensuive. Et combien ont été poussés à une intervention chirurgicale parfaitement justifiée qui s’est mal terminée ?
Si le médecin est parfaitement objectif, sans exprimer sa préférence, on comprend que le patient désorienté et angoissé par la nécessité de prendre une décision ait du mal à choisir. Le prix Nobel d’économie Daniel Kahneman a montré que « face à un choix en condition d’incertitude (impliquant donc les lois de probabilité), nous n’appliquons pas ces lois de manière rationnelle… On a donc tendance à surpondérer les évènements à faible probabilité et à sous-pondérer les évènements à forte probabilité » [2]. Cette remarque est valable pour le malade qui va surestimer les dangers, refusera peut-être un examen indispensable comportant un risque létal exceptionnel, ne choisira pas toujours le traitement donnant les meilleurs chances de guérison. C’est sûrement un progrès que d’appliquer un traitement, parce qu’il a été choisi par le malade, mais que le médecin juge moins bon.
Le malade ne choisit guère.Comment empêcher un praticien de présenter favorablement le traitement qu’il sait faire et qui en toute honnêteté lui paraît le meilleur ? Si le patient a confiance en son médecin, son opinion personnelle est évidemment déterminante. En ce domaine, une impartialité parfaite de la part du médecin est proche de la lâcheté. Le malade vient à lui pour recevoir des conseils et non pour écouter un cours sur les alternatives possibles.
En fait dans beaucoup de maladies, il n’y a qu’un seul traitement valable. Lorsqu’il en existe plusieurs, il est rare qu’ils soient totalement équivalents. Contrairement à ce qui est avancé, la possibilité pour un patient de choisir se restreindra dans l’avenir. Les progrès médicaux tendent à affiner les protocoles, à
démontrer leur validité, à envisager tous les cas et à prévoir les traitements adaptés. Si un patient choisit alors le traitement le moins bon pour lui, c’est devenu son problème, mais il est permis de le regretter.
Donner au malade la décision entière de son traitement lui permettrait de devenir un acteur des soins selon le statut que l’on veut lui donner. Mais pour cela il faudrait qu’il se les applique lui-même (ce qui est le cas pour certaines maladies chroniques). Il est plus figurant qu’acteur car il n’est pas libre et autonome face à sa maladie, il dépend d’elle et il dépend des autres. La liberté et l’autonomie d’un malade sont celles d’un prisonnier qui va et vient dans sa cellule. Un médecin se doit de ne pas le laisser seul ou de l’en sortir.
[1] La maladie mentale avec internement sur la demande d’un tiers ou hospitalisation d’office, l’alcoolisme dangereux, la toxicomanie, la maladie vénérienne, un traitement indispensable chez un mineur contre l’avis des parents ou lorsque cet avis est refusé par le mineur.
[2] Interview à La Recherche juin 2003
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Commentaires
1Le+Huron,+Pangloss+eVendredi 22 Mai 2009 à 18:38Le diagnostic n'est-il pas la fonction première du médecin? Diagnostic d'une maladie connue et traitement d'un malade qu'il faut connaître. Le malade se connaît-il? Certainement. Un peu. Le reste est l'affaire du praticien.RépondreTrès sincèrement, je n'ai jamais eu à choisir mon traitement. J'ai une TOTALE confiance en mon médecin. Votre article m'a passionnée. Merci (et bravo !)Aujourd'hui on ne discute pas encore l'établissement du diagnostic par la médecin. Là, je parle du choix thérapeutique que la tendance actuelle voudrait laisser au malade pour qu'il devienne "acteur", ce qui est illusoire et hypocrite mais très "politiquement correct" (anti-pouvoir médical, anti-paternalisme etc...) [une autre chronique sur le même sujet est à venir]
Dr WOCette tendance vient d'en-haut et en particulier depuis la loi Kouchner de 2002. Dans les cabinets médicaux, ça se passe de façon plus sensée et moins hypocrite : le médecin se fait un devoir de ne pas abandonner son malade lors d'un choix difficile et anxiogène.
Dr WOJe trouve que l'on demande de plus en plus, et de plus en plus trop au médecin. Ce n'est pas Dr House.
Je vois mon médecin de famille très rarement, et encore plus rarement pour moi, mais je me fie à ses décisions.
Et je lui suis reconnaissant, de m'avoir dit une ou deux fois,"je ne sais pas, allez voir ce spécialiste..."
CordialementAlors, il a une qualité importante pour un médecin : il connait ses limites, il n'est pas vaniteux. Un défaut majeur chez un médecin est la prétention ou l'orgueil qui masque son ignorance au préjudice du patient. Le doute fait partie de la pratique médicale.
Dr WOC'est pour ça que je ne vais pas chez le médecin : j'ai horreur de faire des choix !!J'ai résolu le problème, mon médecin est une amie ! Et quand je vais la voir on s'arrange pour déjeuner ensemble ensuite. Rien de moins anxiogène...C'est en effet une façon très conviviale de faire de la médecine. En outre votre amie peut surveiller votre régime si vous en suivez un.
Dr WONon ce n'est pas la raison, mais la vraie, je la garde pour mon psy !Je ne suis pas de régime ! Et surtout pas quand je vais au restaurant.Le seul choix que peut avoir un malade face à la prescription du médecin c'est, après avoir posé le postulat de l'absence d'erreur de diagnostic, c'est, dans le cas où le traitement est pénible, douloureux ou dangereux, entre se soigner et avoir une chance d'être guéri ou refuser la pénibilité, la douleur ou le danger du traitement pour affronter la douleur de la maladie.En effet, comme je le dis, le choix du refus exprime vraiment la liberté du malade, en dehors des quelques exceptions que je signale en bas de page.
Dr WOBon, je vais faire de mon mieux pour conserver mon capital santé alors... C'est d'ailleurs ce que je vous souhaite à tous !Avec le doctissimo et 2 ans de psycho à la fac, est-on parés à tout ?22SartanLundi 7 Janvier 2013 à 16:28C'est vrai que je rêve souvent de me passer de médecin ! Mais quand je vais le voir, lui seul décide du traitement, je crois me souvenir que je n'ai pas fait médecine. Vos articles sont toujours intéressants, je reviendrai !!!
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