• 205. Punir pour guérir ?

     

    205. Punir pour guérir ?Il y a fort longtemps, Michel Debré, un des rédacteurs de la Constitution de la Vème République et Premier ministre de Charles De Gaulle, avait proposé à une époque où la Sécurité sociale ne connaissait pourtant pas le déficit abyssal qu’elle connaît aujourd’hui, de ne pas rembourser les soins des alcooliques et des tabagiques puisque leurs maladies, lorsqu’elles apparaissent, sont provoquées par des intoxications volontaires. Cette proposition n’a pas eu de lendemain et les dépendances à l’alcool ou au tabac constituent en elles-mêmes des maladies que l’on s’efforce de soigner.

    Or l’Assurance maladie belge vient de décider de conditionner le remboursement d’Ofev indiqué dans la fibrose pulmonaire à la certification par les patients qu’ils ne sont pas fumeurs ou qu’ils ont cessé de l’être depuis au moins 6 mois (ce qui est long), sevrage vérifié par une analyse d’urine (ce qui interdit les substituts nicotiniques).

    La fibrose pulmonaire est une atteinte pulmonaire diffuse entraînant une insuffisance respiratoire qui peut devenir sévère. Le médicament Ofev indiqué dans les formes sans cause déterminée (mais où le tabagisme  est un poison s'il n'en est pas la cause) est fort cher : en France, 2233,56 euros pour 60 capsules (soit un mois de traitement) et n’est remboursé en France qu’à 30% (j’ignore le taux de remboursement en Belgique).

    Ce lien entre remboursement des produits de santé et mode de vie provoque un débat en Belgique comme en France où nombre de médecins seraient également partisans de mesures de ce type.

    Doit-on accuser les malades d’avoir provoqué leur maladie par leur mode vie ?

    Lorsqu’il existe un lien évident entre les deux il est difficile de ne pas le faire, même sans vouloir culpabiliser (stigmatiser dirait-on aujourd’hui) le patient, et avec la volonté de mieux le prendre en charge en traitant la cause.

    Doit-on responsabiliser le patient ?

    Sûrement. Mais faut-il le punir s’il ne change pas son mode vie en lui faisant payer intégralement les soins dont il a besoin pour y parvenir ?

    Sur le plan déontologique, c’est une décision difficile pour un médecin et c’est pourtant lui qui est en première ligne pour juger de la discipline du patient. La majorité des praticiens belges semblent être pour la décision de leur Assurance maladie. Et il faut avouer qu’il est désespérant pour un médecin de traiter un malade qui entretient sa maladie. Mais le but du médecin n’est-il pas de l’aider même dans ce cas ? Certains vont cependant jusqu’à exiger le sevrage pour continuer à suivre un malade.

    Jusqu’où peut-on estimer la responsabilité du malade dans l’apparition de sa maladie ?

    C’est évident pour les homosexuels masculins et certains hétérosexuels qui continuent à avoir des comportements à risque de maladies sexuellement transmissibles sans se protéger, et qui devront recourir à des traitements lourds et onéreux une fois contaminés par le VIH. Le lien est avéré pour l’alcool et le tabac, en soulignant que la continuation de l’intoxication tient de la dépendance. Mais pourquoi la société devrait-elle payer l’antidote si le malade continue à s’empoisonner ?

    Cependant la responsabilité pourrait devenir extensive et évoquée dans bien des cas comme celui de l’obésité par ex., facteur défavorable pour des soins notamment chirurgicaux et source possible de discrimination.

    Il faut souligner que la mesure belge ne tient pas compte du mode vie dans la genèse de la maladie mais du mode vie pour débuter et poursuivre le traitement, notion passée sous silence par les opposants à la mesure.

    Doit-on séparer le point de vue du médecin de celui de la société ?

    Le médecin ne peut refuser ses soins à quiconque et n’a pas à juger son patient même si certains le font avec une certaine cruauté. Mais la question peut se poser pour la collectivité qui peut vouloir refuser de continuer à payer des soins onéreux alors que le patient ne fait pas un effort de son côté. SI le système d’assurance est basé sur le principe que la majorité non concernée doit payer pour la minorité concernée, cela ne doit cependant pas conduire cette dernière à être irresponsable. Après la peur, la pression la plus puissante pour la responsabiliser est malheureusement d’ordre économique.

    Qu’en sera-t-il de la relation entre le médecin et son patient ?

    Au moment où le premier aura à décider de ne pas soigner le second lorsque celui-ci n’en a pas les moyens. Ce problème risque de se poser si l’on étend la responsabilité du patient à d’autres maladies, notamment celles provoquées par le tabac qui peuvent nécessiter des soins chirurgicaux onéreux dont les résultats risquent d’être obérés à moyen terme par un tabagisme persistant. Dans le cas de la fibrose pulmonaire concernée par la mesure belge, le médicament proposé n’a guère de chance d’améliorer le malade si celui-ci aggrave sa maladie en continuant à fumer. La mesure belge paraît donc sensée.

    Est-ce une atteinte à la liberté de l’individu ?

    Oui, puisque l’on exerce sur lui un chantage (pour son bien) afin de modifier son comportement.

    Non, puisqu’il est finalement libre de son choix (sous réserve d’une éventuelle dépendance prononcée), à ses risques et périls. La liberté peut se payer cher lorsqu'elle aggrave son état et abrège sa vie. Il a aussi la liberté de ne pas se traiter lorsque le traitement proposé ne peut amener au mieux qu’une amélioration transitoire sans aucune chance de le guérir ou de bloquer l’évolution de sa maladie.

    « Laïcité à la russeDe profundis »

  • Commentaires

    1
    Dimanche 6 Mars 2016 à 11:11

    Refuser de soigner un malade parce qu'il est responsable (alcoolisme, obésité, tabagisme etc) de sa maladie est une dérive dangereuse. Ne pas lui accorder les bénéfices des prestations sociales revient au même car cela introduit une discrimination entre riches et pauvres. Et ce principe est fondamentalement pervers. On en arriverait à ne pas soigner un accidenté de la route s'il n'a pas respecté les limitations de vitesse ou pratiqué une conduite jugée dangereuse. Il est vrai que les imprudents que l'on va secourir en montagne se voient quelquefois facturer les frais engagés pour aller les récupérer mais je ne crois pas qu'on refuserait de les soigner.

    Le principe de la médecine n'est pas de juger mais de venir en aide. Laissons aux politiques le soin de réprimer.

      • Dimanche 6 Mars 2016 à 11:40

        J'ai essayé d'effleurer les différentes facettes de la question et je suis bien d'accord avec votre conclusion. Cependant j'ai souligné que dans la mesure belge il ne s'agit pas d'incriminer le mode de vie qui a abouti à la maladie et de ne pas donner des soins à ceux dont le mode de vie a été responsable de leur état, mais pour l'Assurance maladie de ne pas rembourser un traitement très onéreux et qui sera inefficace si le patient continue à fumer.

        Le risque est d'étendre dangereusement la responsabilité comme par ex. : pourquoi faire un pontage vasculaire à un patient atteint d'une artérite des membres inférieurs provoquée par le tabac s'il continue à fumer après et donc à aggraver sa maladie ?

    2
    Dimanche 6 Mars 2016 à 12:05

    Je ne m'y connais pas suffisamment pour juger les médecins belges, mais faire payer tout le monde alors que on continue à se rendre malade, c'est aussi un peu facile!

      • Dimanche 6 Mars 2016 à 12:18

        Là est toute la question.

    3
    Dimanche 6 Mars 2016 à 15:10

    Un sujet difficile, et je suis entièrement d'accord avec la Belgique de dérembourser, sous condition, ce médicament très onéreux pour la collectivité. Le déremboursement complet est normal quand le patient atteint de fibrose pulmonaire continue à s'intoxiquer. Il n'y a pas de raison que la société paye pour ces gens là, même si cela flirte avec la discrimination. Bien entend, le médecin se doit de prescrire et de soigner, d'expliquer et de convaincre à arrêter cette addiction qui conduit le patient au cercueil très rapidement et dans de sacrées souffrances  ! J'ai un oncle (fumeur) qui est mort de cette maladie

    J'ai lu dans un article, chez le toubib que la nicotine était présente dans des légumes de la famille des solanacées, comme les tomates, piments, poivrons, aubergines et pommes de terre. Une façon naturelle substituer la nicotine ingérée par les fumeurs. C'est ce que j'ai promis au poux ronchon dés que j'ai arrêté mon régime pour réduire mes taux de lipide dans le sang et de cholestérol, du poids par la même occasion !). Cela fait 4 semaines que j'ai commencé. Pas une goutte de vin alors que je buvais mes deux verres par jour. Et, je rigole, cela lui a donné des idées à l'homo-rochonus de boire de l'eau à table !

    Bon dimanche après midi.

     

    4
    Dimanche 6 Mars 2016 à 15:51

    La nicotine est responsable de la dépendance au tabac, mais ce qui est toxique et cancérigène c'est la fumée et non la nicotine.

    Mais deux verres de vin par jour pour une femme a plutôt un effet favorable sur le plan cardiovasculaire.

    5
    Dimanche 6 Mars 2016 à 20:59

    Je partage le point de vue de Pangloss s'agissant le comportement du médecin. Maintenant je sais la difficulté de lutter contre l'addiction. J'ai été fumeuse pendant 30 ans et j'ai mis du temps à supprimer cette addiction donc je peux comprendre qu'il est difficile de lutter contre n'importe laquelle des addictions. La répression est-elle possible ? Difficile quand on sait que nos addictions profitent à l'état (tabac). Donc beaucoup d'hypocrisie dans tout cela. Essayer de trouver d'autres solutions pour lutter c/les addictions voire les prévenir me semble plus heureux. ex. ma fille n'a jamais fumé car lorsqu'elle était adolescente une campagne contre le tabac fort bien faite l'a beaucoup influencée..

    Bonne soirée Dr WO

    6
    Dimanche 6 Mars 2016 à 22:57

    La prévention des addictions n'est pas simple. L'exemple le plus évident est celui des drogues dont tout le monde connait le danger court terme, ce qui n'empêche pas les gens de commencer. Le tabac est plus sournois car les complications sont à long terme et l'annoncer sur les paquets ne change pas grand chose, du moins en France.

    NB. Impossible de laisser un commentaire sur votre blog. Pour la peintre Guiness son style un peu froid me rappelle celui de Félix Vallotton.

    7
    Mardi 8 Mars 2016 à 10:42

    Je suis d'accord avec l'avis de Pangloss. J'ajouterai qu'il serait plus judicieux d'aider les gens victimes d'addictions. Elles n'arrivent pas au hasard et sont souvent le signe d'un profond malaise. Juger et réprimer sans aider est équivalent à de la non-assistance et je ne vois pas l'utilité de culpabiliser quelqu'un qui est déjà en souffrance.

    PS : impossible de mettre un commentaire sur votre dernier article "De Profundis".

    8
    Mardi 8 Mars 2016 à 11:09

    En tant que médecin, il ne me viendrait pas à l'esprit de ne pas soigner un patient, quel qu'il soit. Le problème est celui de la collectivité. Je me demande d'ailleurs si les assurances prennent en charge les dégâts provoqués par un chauffeur ivre.

    Oui il y a blocage sur les commentaires de mon dernier article. Je n'ai pas pu répondre à celui de Zaza. J'espère que cette tare n'est pas définitive ou le fruit d'un complot.

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