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203. Une logique fumeuse
Le « Programme national de réduction du tabagisme » fut annoncé crânement par Marisol Touraine en septembre 2014 :
1) Baisse de 10% du nombre des fumeurs en 2019 ;
2) Passage sous la barre des 20% de fumeurs dans la population en 2024 (contre près de 35% aujourd’hui);
3) Arriver à ce qu'avant 2034 les enfants qui naissent aujourd’hui en France constituent «la première génération de non-fumeurs» depuis l’instauration du monopole de la fabrication et de la commercialisation du tabac par l’État.
Noble ambition.
Malheureusement, les derniers chiffres de l’Observatoire français de drogues et des toxicomanies nous révèlent que :
« Pour la première fois depuis 2010, les ventes de tabac en France métropolitaine dans le réseau des buralistes sont en hausse. Elles s’établissent à 56.323 tonnes contre 55.415 tonnes, (…). Cette hausse intervient alors que la dernière revalorisation des prix remonte à janvier 2014. (...) Ces observations sont probablement à mettre en regard d’un tassement de l’usage de la cigarette électronique, dont le marché recule …»
Tiens donc.
Qu’à cela ne tienne, le nouvel avis du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) sur la cigarette électronique, publié le 24 février dernier, recommande que son usage soit interdit dans tous les lieux collectifs fermés, y compris les cafés, bars, restaurants et discothèques. La cigarette électronique est ainsi considérée officiellement comme un produit du tabac. Elle délivre certes de la nicotine, mais une fumée infiniment moins toxique que celle du tabac.
Voilà de la part de ce Haut Conseil une position bien plus radicale que celle prévue par le ministère de la santé, qui avait a priori exclu ces lieux publics du champ d’application de la loi santé.
Mais ce groupe de travail (du chapeau ?) reconnaît simultanément que la cigarette électronique peut être considérée comme un « outil d'aide au sevrage tabagique » pour les personnes qui veulent arrêter leur consommation de tabac, et reconnait également que c’est un « outil de réduction des risques du tabagisme », au moins à court terme, pour les personnes qui ne continuent pas de fumer des cigarettes.
Belle contradiction.
En octobre 2015, 120 médecins, pneumologues, tabacologues, addictologues et cancérologues avaient lancé un appel pour développer l’usage de la cigarette électronique dans la lutte contre le tabagisme. Le Haut Conseil prétend d’ailleurs se fier aux « opinions très favorables des professionnels de santé » sur le sujet. « Ce n’est pas la littérature scientifique qui nous a fait évoluer, ce sont les pratiques de certains tabacologues auditionnés », explique l’économiste Christian Ben Lakhdar, qui a piloté (dans le mur ?) le groupe de travail du HCSP.
La conclusion est d’une logique surréaliste :
« Même si le vapotage passif ne présenterait pas ou peu de risque », le HCSP recommande d’étendre l’interdiction de vapoter dans « les lieux de travail fermés et couverts à usage collectif » aux cafés, bars et restaurants, en renvoyant ainsi les vapoteurs sur le trottoir avec les fumeurs, augmentant ainsi leurs possibilités de rechute. « C’est extrêmement compliqué, on est sur le fil du rasoir », reconnaît Christian Ben Lakhdar.
Pour être compliqué, c’est compliqué. Surtout pour des esprits tordus
Voulant sortir de cette contradiction, le HCSP préconise, dans le sillage de l’Académie nationale de médecine en mars 2015, la mise en place d’une « cigarette électronique médicalisée », qui serait prescrite comme outil de sevrage tabagique, remboursée au même titre que les substituts nicotiniques et vendue en pharmacie. Une façon de distinguer deux types d’utilisateurs d’e-cigarette : ceux qui veulent s’en servir pour arrêter de fumer et ceux qui en assument un usage « récréatif » sur le long terme. Mais pourquoi cet usage récréatif serait-il interdit puisque jusqu’à présent les dangers du vapotage n’ont pas été démontrés ? Le seul argument avancé est que le vapotage serait une entrée dans le tabagisme. On peut penser également que ceux qui veulent fumer du tabac n’ont pas besoin du vapotage comme préalable, et que ceux qui ne fument pas du tabac pourraient aussi se contenter de la vapeur d’eau aromatisée accompagnée de la gestuelle du fumeur.
Pourquoi faire simple, puisqu’on peut faire compliqué ? Les uns verraient leurs e-cigarettes remboursées par l’Etat et les autres pas. Il suffirait donc à ces derniers de passer par le tabagisme ou de dire qu’ils sont fumeurs pour se procurer de la e-cigarette à l’œil.
Au Royaume-Uni (où la proportion des fumeurs est passée sous la barre des 20% alors qu’elle est, rappelons- le, de près de 35% en France), les autorités sanitaires ont donné leur feu vert à l’utilisation de la cigarette électronique, et David Cameron a annoncé à la Chambre de Communes qu’il fallait en ce domaine, suivre l’avis des scientifiques.
Voilà, ce n’est pas plus compliqué que ça.
Voir également : 162. « Une affaire fumeuse »
Illustration : Van Gogh : "Crâne fumant une cigarette"
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Commentaires
Autour de soi chacun doit connaître des fumeurs qui sont passés définitivement à la e-cigarette et d'autres qui ont repris le tabac. L'argument principal soit pour arrêter définitivement, soit pour diminuer nettement sa consommation est de pouvoir vapoter dans un lieu public. Si l'on retire cette possibilité, les fumeurs reviendront au tabac. Si un jeune veut fumer, il fumera, ce n'est pas le vapotage qui l'encouragera à le faire.
Il y aurait plus d'un million de vapoteurs, c'est ça de moins pour le tabac. La seule chute du tabagisme que l'on a observé correspond à l'introduction de la e-cigarette. Il faudrait non pas l'interdire mais l'encourager comme le fait le Royaume-Uni qui ne se pose pas des questions idéologiques mais pratiques.
Ils ne sont pas à une contradiction près ces "scientifiques-là".
Pourquoi en France tout est toujours si compliqué ? Je crois que nous adorons couper les cheveux en quatre!
Conclusion: le lobby du tabac est plus puissant que celui de la cigarette électronique et nos élus sont sensibles à ses arguments.
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Coucou Doc,
Très intéressant votre billet, et que de contradictions de ces Messieurs. Il n'a jamais été prouvé que l'e-cigarette pouvait être nocive pour l'utilisateur ou son entourage passif. Par contre, je suis convaincue qu'elle apprend aux gamins à prendre l'habitude de tirer "une taffe" ! Et de là à passer au tabac, la frontière est fragile.
Pourquoi ne pas intégrer cette e-cigarette, dans la loi du 21 juillet 2009, qui interdit de vendre du tabac à des jeunes de moins de 18 ans. En cas de doute sur leur âge, le buraliste peut leur demander de présenter une pièce d’identité.
De toute façon, je n'ai jamais cru à l'e-cigarette pour sevrer un fumeur, qui, s'il arrive à s'arrêter, restera fumeur toute sa vie. J'ai tellement vu de fumeurs essayer cette formule, pour revenir de plus belle, au bon vieux tabac à rouler pour les moins argentés. Peu sont capables d'arrêter totalement et d'un seul coup. C'est pourtant ce que j'ai fait il y a 30 ans,(2 paquets de blonde mentholée par jour), en buvant un verre d'eau quand l'envie me titillait. Je n'ai jamais repris, par contre, j'ai beaucoup de mal à supporter les fumeurs, c'est d'ailleurs pour cela que le poux-ronchon fume dehors ! La preuve qu'un vrai fumeur n'est jamais guéri !
Le seule solution pour diminuer le nombre de fumeurs serait de passer le paquet à 15€, sachant que le prix d'un paquet de Malboro en France coûte 7€. Mais l'état entretien cette addiction, car les taxes rapportent un max !
Bon vendredi après-midi