• 194. De la transformation des essais

     

    Les essais d’une molécule nouvelle chez l’homme viennent de surgir dans l’actualité avec celui de Rennes qui a provoqué des accidents dramatiques dont un décès précédé d’une mort cérébrale, et avec des risques de séquelles pour les cinq personnes encore hospitalisées.

    Des accidents d’une telle gravité sont exceptionnels. Les essais sur l’homme suivent un protocole précis et sont bien encadrés. La prudence est habituellement de mise, ce qui n’a pas été toujours le cas dans des essais se déroulant dans les pays pauvres.

    C'est surtout après le Procès de Nuremberg et les expérimentations imbéciles et sadiques des nazis, que l'on a tenté en 1947 d'encadrer les expériences sur les humains. L'obligation principale étant le consentement éclairé du sujet expérimenté.

    Mais avant cette date, sans être nazis, des médecins procédèrent, dans l’intérêt général, à des expérimentations qui nous paraissent aujourd’hui pour le moins osées. Et ceux qui n’osaient pas, procédèrent parfois à des expérimentations sur eux-mêmes (voir 5. la médecine est un métier à risques)

    Au début du XXe siècle[1] on signalait des expérimentations humaines fort diverses et sans aucun contrôle ni châtiment : tentatives de transmission souvent réussies de la syphilis, de la peste, du paludisme, de la rougeole, du typhus, de la lèpre, et même du cancer sur des mourants, des condamnés, des handicapés mentaux, des prostituées, des femmes allaitant ou des enfants.

    Le Norvégien Gerhard Armauer Hansen entra en conflit avec son beau-père le Pr Danielssen, grand spécialiste de la lèpre, qu'il considérait d'origine héréditaire, alors que pour lui, elle paraissait microbienne. Il parvint à isoler le microbe en 1874 et tenta de l'inoculer, vainement, à des malades. Une d'entre eux porta plainte, eut gain de cause et ... l'on fît à Hansen des funérailles nationales.

    Il fallait être culotté pour tenter les premières vaccinations.

    C’est d’ailleurs après bien des hésitations que l'Anglais Edward Jenner inocula, le 14 mai 1796, à James Phipps âgé de huit ans, la variole des vaches ou vaccine dont les pustules des pis transmises aux vachers semblaient les préserver de la variole. La vaccination fût heureusement un succès et conquit l'Europe, non sans oppositions, jusqu'à la lointaine Russie où la Tsarine adopta le premier enfant vacciné, qu'elle appela Vaccinof.

    Pasteur fut même plus téméraire en mettant au point, sans être médecin, la vaccination avec des germes de la maladie même, et pour commencer ni tués ni atténués. Ce sont encore des enfants qui essuyèrent les plâtres. Joseph Meister, neuf ans, puis Jean-Baptiste Jupille, berger jurassien de quinze ans, échappèrent par miracle à la rage alors qu'il n'y a pas de preuve certaine qu'ils en étaient atteints. Par la suite plusieurs vaccinés moururent de la rage. L'hygiéniste et Doyen de la Faculté de Paris Paul Brouardel, qui en avait la preuve, dissimula heureusement la vérité pour sauver la vaccination. Car Pasteur avait raison. Les vaccinations obligatoires, qui consistent à faire courir des risques rares à quelques individus pour le bien du plus grand nombre, ont permis l'éradication de la variole et la quasi disparition des maladies infantiles les plus graves comme le croup et la poliomyélite.

    Si l'on cherche à éviter tout risque potentiel même à longue échéance, on peut considérer que la médecine est arrivée à son étape ultime. Toute tentative de progrès ultérieur, toute introduction d'une nouvelle technique ou d'un nouveau traitement ne peut que contredire le principe de précaution qui va au-delà de la prudence et de la rigueur. Comment peut-on respecter le principe de précaution en médecine ? La plupart des tentatives thérapeutiques n'auraient pu être réalisées dans le passé si l'on avait respecté ce principe. Quant aux premières chirurgicales chez des patients dont la vie n'était pas menacée dans l'immédiat, elles n'auraient pas eu lieu.

    Aujourd’hui ce sont des volontaires qui acceptent les essais cliniques contre rémunération. On parle de consentement éclairé. Fort bien. Mais le médecin ne peut délivrer au cobaye humain que les seuls renseignements qu’il possède, car s’il connaissait toutes les conséquences de l’essai, il n’aurait pas besoin de le faire.

     

    [1] Thèse de Bongrand 1905

    « La main tendue du politiqueLes déchets du Vatican »

  • Commentaires

    1
    Lundi 18 Janvier 2016 à 15:44

    J'ai oui dire que les personnes qui consentaient a tester les vaccins et autres médicaments étaient rémunérés, est-ce vraiment vrai ? Je n'en sais rien, mais je l'entends depuis fort longtemps et par des personnes qui ne se connaissent pas...

    2
    Lundi 18 Janvier 2016 à 15:56

    Oui, ils sont rémunérés (je l'ai indiqué dans mon texte). Je crois que la somme est de 4500 € par an. "Sur cet essai en cause, une semaine complète de test était rémunérée un peu plus d'un millier d'euros."

     

     
    3
    Lundi 18 Janvier 2016 à 16:37

    Voire dernière phrase montre les limites à la fois du principe de précaution et du consentement éclairé.

    4
    Lundi 18 Janvier 2016 à 16:50

    Le consentement éclairé est valable par ex. pour un examen dont on connait les complications possibles ou pour un traitement ancien, sinon c'est théorique pour respecter une obligation légale.

    5
    Lundi 18 Janvier 2016 à 17:31

    Je ne comprends pas que l'on risque sa vie pour un peu d'argent, elle est trop précieuse!

      • Lundi 18 Janvier 2016 à 17:41

        Habituellement les molécules testées auparavant chez l'animal n'entraînent que des troubles mineures et réversibles. Ce sont souvent des étudiants qui font cela pour payer leurs études.

    6
    Mardi 19 Janvier 2016 à 15:59

    C'est vrai ça, si on était absolument certain de l'innocuité on n'aurait pas besoin de cobayes humains...et puis on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs, pas vrai?
    Cela dit les petites histoires du passé font tout de même froid dans le dos!

    Amitiés.

    7
    Mercredi 20 Janvier 2016 à 09:18

    L'histoire de la médecine est assez chaotique. Les malades n'ont pas échappé aux conceptions les plus farfelues et parfois les plus dangereuses.

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