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Médecins et germes
Nombre de médecins et de personnel infirmier ont été touchés et certains sont morts en donnant leurs soins aux malades atteints par le virus Ebola lors de l'épidémie actuelle qui sévit en Afrique de l'Ouest. L'histoire montre que confronté aux maladies infectieuses, le corps de santé n'a pas hésité à prendre des risques et parfois avec témérité
Lors des épidémies peu de médecins ont déserté.
« Un médecin consciencieux doit mourir avec le malade s’ils ne peuvent pas guérir ensemble » (Eugène Ionesco)[1]. En cas d’épidémie, Hippocrate conseillait de fuir le plus tôt possible, aller le plus loin possible et revenir le plus tard possible. Boccace dans le Décaméron écrivait en 1352 pendant la deuxième pandémie de peste « …le frère quittait le frère, l’oncle son neveu, souvent la femme son mari.[…] Même le père et la mère avaient peur de veiller leurs enfants. ». Les rois donnèrent l’exemple : Charles V et Henri III quittèrent Paris, François 1er s’enfuit d’Anjou. Bordeaux dût, pendant la peste de 1585, se dispenser de son maire, Montaigne, qui avait omis de rejoindre sa ville. Par contre la plupart des médecins, des apothicaires et des prêtres, firent face et subirent de lourdes pertes, encore que le célèbre Sydenham quitta Londres pendant la peste de 1665, expliquant qu’il suivait sa clientèle.
Beaucoup de médecins ont risqué leur vie pour sauver celle des autres.Ce fût le cas de Joaquin Albarran. Cet urologue français était un Cubain qui avait fait ses études en Espagne. Bachelier à 13 ans, médecin à 17, il vient à Paris, apprend le français, recommence la médecine et 4 ans plus tard est major de l’Internat des hôpitaux. D’une trempe peu commune, Albarran sauve un enfant atteint par le croup en aspirant avec la bouche les membranes qui obstruent la canule trachéale ; il contracte la diphtérie et lors d’une autre garde, seul médecin, en proie à l’asphyxie, il se fait une trachéotomie devant une glace que tient un infirmier. Professeur d’urologie en 1906 il meurt de tuberculose six ans plus tard, à 51 ans.Fais sur toi-même ce que tu ne veux pas faire aux autres.
Certains médecins ont recherché sur eux-mêmes la preuve de leurs hypothèses.L’ apostrophe du plus grand chirurgien du XVIIIe siècle, l’Ecossais John Hunter, fondateur de la chirurgie expérimentale, à Jenner (découvreur du vaccin contre la variole), est restée célèbre : « pourquoi penser ? Faites l’expérience». Appliquant son principe à lui-même, persuadé qu’un même organe ne pouvait être atteint par deux maladies, et donc qu’un homme présentant une urétrite ne pouvait avoir et la chaude-pisse et la vérole, il s’inocula du pus urétral d’un patient qui avait les deux, guérit de l’urétrite mais mourut d’un aortite syphilitique, convaincu d’avoir raison.Certains eurent de la chance. Clot Bey s’inocula du sang puis du pus d’un bubon de pestiféré et n’eût pas la peste. Foy voulant prouver que le choléra n’était pas contagieux s’inocula du sang de malades, goûta de leur vomi et resta indemne.L’Allemand Max von Pettenkoffer prétendit montrer en 1892 que le vibrion cholérique peut provoquer la maladie sans être suffisant, en avalant en public un ml d’une culture provenant des selles d’un malade mourant du choléra et il en resta presque indemne[2]. Il est vrai, comme le remarquent Petr Skrabanek et James McCormick[3] que cette auto-expérimentation révélait peut-être chez cet éminent épidémiologiste une pulsion de mort qui s’est concrétisée neuf ans après par son suicide.Certains eurent moins de chance, même si en se rendant malades ils apportèrent la preuve de leur sagacité.En 1885 l’étudiant en médecine Carrion mourût de la fièvre de Oroya (bartonellose) après s’être inoculé le broyat d’un nodule cutanée, démontrant par sa mort que la forme septicémique et la forme cutanée appartenaient à la même maladieEn 1900, à Cuba, les américains James Caroll et Jesse Lazear se font piquer par des moustiques vecteurs de la fièvre jaune, pour confirmer la découverte du cubain Carlos Finlay y de Barres. Caroll, sévèrement atteint, obtint la confirmation de la théorie du moustique alors qu’auparavant d’autres médecins avaient tenté en vain d’être malade en avalant des vomissements ou en s’inoculant du sérum ou de la salive.En 1922, S. Koino ingère 2000 œufs d’ascaris embryonnés, eût une atteinte pulmonaire sévère et retrouva des larves dans sa salive. Le fils de P. Manson à Londres se fit piquer par des moustiques porteurs de paludisme qu’on lui avait fait parvenir de Rome et en fût atteint.En 1933, à l’institut Pasteur de Tananarive, Georges Girard et J. Robic inventèrent un vaccin contre la peste utilisant un bacille vivant atténué , qu’ils essayèrent d’abord sur eux-mêmes et leur équipe, alors qu’il n’existait encore aucun traitement curatif de la maladie…Peut-être était-ce plus la passion de la découverte et la passion de convaincre qu’un altruisme véritable qui poussaient ces médecins à prouver dangereusement sur eux-mêmes la véracité de leurs hypothèses. Freud « considérait la passion scientifique comme l’élaboration aboutie de la curiosité de l’enfant qui veut établir la vérité sur la différence entre les sexes et les mystères de la conception et de la naissance »[4]. A présent que cette vérité est révélée très tôt à l’enfant, la passion scientifique jusqu’à s’autodétruire a heureusement disparu._______________________________________________________________________[1] La cantatrice chauve, scène I[2] En fait, d’après François Delaporte (Dictionnaire de la pensée médicale) il avait déjà eu le choléra en 1854 et il ingéra la culture la plus ancienne et la moins virulente envoyée par Koch. Pettenkofer eut une récidive peu grave, mais son élève Emmerich qui participa à l’expérience faillit en mourir.[3] Idées folles, idées fausses en médecine, éd Odile Jacob 1992[4] Peter Gay, Freud, une vie, éd Hachette 1991.
Tags : Ebola, épidémies, germes, infections, auto-expérimentation
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Commentaires
L'industrie pharmaceutique recherche et fabrique des molécules ayant une activité thérapeutique, mais ne s'occupe aucunement de la cause et de la nature des maladies qui restent l'apanage des médecins, des biologistes et des généticiens. Une fois le schéma d'une maladie connu, la recherche pharmaceutique tente de trouver des molécules susceptibles d'intervenir favorablement dans ce schéma.
NB. Les chercheurs à tâtons existent toujours, mais, à ma connaissance, ils n'expérimentent plus sur eux-mêmes
J'ai entendu parler, il me semble assez récemment, du cas d'un médecin qui s'était injecté un vaccin expérimental contre le SIDA. Même si le risque était certainement calculé il n'en était pas moins réel. En revanche, cette affaire étant restée sans suite, je suppose qu'il n'est ni mort ni riche, n'ayant manifestement pas obtenu le succès escompté.
Amitiés.
C'est la raison pour laquelle j'ai dit "à ma connaissance". Le danger serait de s'injecter le vaccin expérimental, puis le sida.
J'avais relevé cette affirmation étonnante dans sa biographie. C'était tout de même un monomaniaque.
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Les cas que vous citez semblent relever autant de l'inconscience, du pari stupide, de l'orgueil démesuré que de la passion scientifique.
Ces chercheurs à tâtons ont été progressivement remplacés par les représentants de cette industrie pharmaceutique tant décriée qui sont, certes, beaucoup plus efficaces mais, hélas, beaucoup moins sympathiques.