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Le Miniver de la pensée
Dans son roman « 1984 », Orwell inventa le Ministère de la Vérité (Miniver) dont le rôle est de mentir, comme le fait toute propagande, en remaniant les documents anciens afin qu’ils n’entrent pas en contradiction avec les évènements présents et effacer les erreurs ou les revirements commis par les autorités représentées par Big Brother.
La réécriture de l’histoire est le sport favori de tous les régimes, les dictatures et les autocraties étant passés maîtres dans ce domaine en ne tolérant aucune critique ou discussion de leurs manipulations destinées à justifier leurs actions aussi stupides et/ou criminelles soient-elles.
Dans une perspective semblable les démocraties libérales ont de plus en plus tendance à regarder le passé avec les yeux du présent en exigeant le « politiquement correct » actuel, critère universel et éternel pour juger les actes des personnages historiques, les évènements et les œuvres du passé. Jugement anachronique du monde d'hier par la morale d'aujourd'hui. Les statues en sont les principales victimes, et si certaines glorifiant des bourreaux n’ont pas leur place dans l’espace publique, d’autres n’ont pas démérité si l’on se réfère à la morale de leur époque. Les œuvres d’art souvent visées n’ont pas à subir le révisionnisme des militants persuadés de représenter le Bien. Toucher au patrimoine artistique de l’Humanité est à la fois imbécile et criminel, c’est faire preuve d’un nihilisme idiot quand il ne s’agit pas du ressentiment de ceux dont les ancêtres n’ont pas pu participer à la création de ce patrimoine (je pense à cette indigéniste se moquant des Français choqués par l’incendie de Notre-Dame de Paris).
Comme dans le Miniver d’Orwell où l’on remaniait les documents anciens, on en est venu à remanier les œuvres littéraires pour obéir aux critères du politiquement correct en matière de discrimination ou de sensibilité de telle ou telle catégorie de la population. C’est ainsi que l’éditeur Puffin cédant aux critiques de lecteurs a décidé de faire réécrire certains passages des livres pour enfants de Roald Dahl, pour qu'ils puissent « continuer à être appréciés par tous aujourd'hui ». Plus d’une centaine de modifications ont été faites sur les écrits de l’auteur britannique. Les gens sont en effet très susceptibles sur leur apparence physique « Les mots « gros » et « laid » ont ainsi été supprimés de chaque nouvelle édition des livres… Mrs Twit, dans The Twits, n'est plus « laide et bestiale » mais juste « bête »… « Certains extraits, jugés dégradants à l'encontre des femmes ont également été supprimés, remplacés par des termes non sexistes. ». Egalité oblige : Les « petits hommes » sont qualifiés de « petites personnes », de même que les « hommes-nuages » sont devenus des « gens-nuages », « Dans Sacrées Sorcières, un paragraphe expliquant que les sorcières sont chauves sous leur perruque se termine avec une nouvelle phrase : « Il existe plusieurs raisons pour lesquelles les femmes pourraient porter des perruques et il n'y a rien de mal à cela. ». Il s’agit certes de livres pour enfants mais des notes explicatives auraient permis d'éviter d'altérer le texte sans l'aval de l'auteur. Salman Rushdie, qui a payé de son sang la liberté littéraire, a déclaré sur twitter : « Roald Dahl n'était pas un ange mais c'est une censure absurde. Puffin Books et la succession Dahl devraient avoir honte ».
Illustration : Renoir « Lecteur »
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Commentaires
3Souris doncMardi 21 Février 2023 à 12:55Après les soixante-huitards, pour qui il était interdit d'interdire, la génération selfiewoke ne fait que ça : interdire.
Elle va traquer tout ce qui n'est pas compatible avec leur Petit Livre Rouge, leur Révolution Cul-turelle, pour assurer leur Grand Bond en Avant.
Pour raviver la nostalgie des Trente Glorieuses, où on avait autre chose à faire qu'à trafiquer la littérature enfantine, lire FOG Giesbert, La Belle Epoque.
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Mardi 21 Février 2023 à 13:03
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Souris doncMercredi 22 Février 2023 à 09:05
Mais cette époque portait déjà le germe de la violence actuelle :
Le groupuscule Action Directe s'entrainait en divers mitraillages (siège du patronat), vols dans des agences bancaires, tirs contre le car de police qui les poursuivait. Entrainement qui les a amené au milieu des années 80 à assassiner le général Audran, ingénieur général de l'armement, puis Georges Besse, le patron de Renault.
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Mercredi 22 Février 2023 à 09:36
Chaque époque a ses violences avec ses paroxysmes guerriers. Les assassinats ciblés que vous mentionnez ne sont rien à côté des assassinats de masse comme les attentats islamistes. La société de "la belle époque" était moins pudibonde, moins coincée, moins censurée par la meute en réseau et le prêt à penser porté par les associations et devenu quasi officiel, aboutissant à une autocensure et à la mort de l'ironie. Mais pour le reste : c'était jamais mieux avant.
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Mais, comme disait Jésus Christ, lors de son sermon sur la montagne (Évangile selon Matthieu chapitre 7, versets 3 à 5 ) :
" Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n'aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? Ou comment peux-tu dire à ton frère : 'Laisse-moi ôter une paille de ton œil, toi qui as une poutre dans le tien ?' "
(c'est valable même pour moi !...)
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Mercredi 22 Février 2023 à 16:41
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Vaste problème. Chaque période, chaque pays à ses "pudeurs de gazelle". Autre exemple plus grave de conséquences m'interpelle : il est interdit de montrer dans la presse des photos des massacres, des décapitations, des exactions des terroristes de tous bords. Résultat : ça permet à certains (Onfray, Zemmour, par exemple) de les qualifier de gens combattant pour un idéal (ce qui serait totalement impossible si on nous montrait ce qu'il ont fait de leurs victimes)
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Jeudi 23 Février 2023 à 10:30
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Souris doncJeudi 23 Février 2023 à 11:24
Dans la novlangue bienpensant on dit "revisiter".
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Jeudi 23 Février 2023 à 11:31
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Nous subissons tant d'imbécillités, que j'ai l'impression parfois d'être entré dans le monde d'Orwell.
Nous y sommes et les totalitarismes ne datent pas d'aujourd'hui. En ce moment le Miniver de la Russie est très actif dans la révision de l'histoire. Mais le "politiquement correct" comme critère universel et éternel a également son côté totalitaire.