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La retraite à 80 ans
Une fois n'est pas coutume. Je ne résiste pas à l'envie de retranscrire ici l'intégralité de la chronique de Patrick Besson parue dans Le Point du 27 mai 2010. N'ayant pas le talent de l'auteur pour l'écrire, j'aurais au moins le plaisir de la partager.
"Quand José Gomez, 78 ans et demi, entreprit l'ascension de la plus haute grue du chantier, André Durafour, son contremaître de 79 ans, eut une appréhension : ce serait trop bête si, à un an et demi de la retraite, José était victime d'un accident du travail. André connaissait les problèmes de santé du grutier : après une hernie discale qui avait tenu celui-ci éloigné du chantier tout l'hiver, il s'était plaint d'un rhumatisme articulaire quelques jours après son retour au travail. Il avait en outre des problèmes de vue. Il avait perdu l'usage de son oeil gauche à la suite d'une partie de pétanque où son partenaire, jeune retraité de 84 ans, avait confondu sa tête avec le cochonnet. De surcroît, son oeil droit faiblissait chaque jour. Sans doute est-ce en raison de ce double handicap que Gomez rata une marche alors qu'il était sur le point d'arriver à cette cabine où il avait passé presque soixante annuités de sa vie. Avant même que le corps du grutier eût atteint le sol, André avait sorti son téléphone portable de la poche de son pantalon, non sans mal car la maladie de Parkinson, dont il était atteint depuis quelques mois, embarrassait ses gestes. Il s'y reprit à plusieurs fois pour composer le numéro des pompiers. Ceux-ci n'arrivèrent que trois quarts d'heure plus tard, leur capitaine de 77 ans s'étant trompé dans la lecture du plan de la ville. En effet, dans l'urgence, il avait oublié ses lunettes à la caserne. L'un des brancardiers, pourtant un jeunot de 73 ans, eut un accident cardiaque pendant le transport du grutier et celui-ci, qui n'avait pas repris connaissance, se retrouva le nez écrasé au sol pour la seconde fois de la journée.
Un journaliste-reporter de la presse quotidienne venait d'arriver en taxi sur les lieux de l'accident. Il ouvrit péniblement sa portière tandis que le chauffeur, plié en deux à la suite d'un mauvais lumbago, ouvrit le coffre et en sortit le fauteuil roulant dans lequel s'installa bientôt le journaliste. Ce dernier poussa sur les roues et arriva à la hauteur de Durafour, qui lui fit un bref résumé des faits. Hélas, dans l'agitation du départ, le journaliste-reporter avait laissé son appareil auditif boulevard Haussmann et ne put donc entendre un traître mot des explications du contremaître. Il rédigea néanmoins son article, qu'il envoya une heure plus tard par mail à son journal. Malheureusement, il se trompa dans la manipulation de son iPhone 12 G et ce fut un autre texte qui arriva à l'imprimerie, de sorte qu'au lieu de l'histoire du grutier Le Figaro publia le lendemain matin un texte plus polémique intitulé : « Peut-on travailler jusqu'à 90 ans ? »
C'était en effet un sujet d'actualité depuis que le gouvernement s'était rendu compte que, malgré la retraite à 80 ans, le déficit budgétaire français n'était pas comblé, loin de là. Un député UMP, connu pour son franc-parler et son audace face au politiquement correct ambiant, avait même risqué, au micro de RTL : « Pourquoi ne pas aller jusqu'à 100 ans ? Ça ferait un compte rond. » Comme de coutume, certains députés de l'opposition, avant même d'avoir réfléchi une seconde à cette proposition insolite mais audacieuse, crièrent au scandale, plongeant le pays dans un immobilisme dont il n'est hélas pas près de sortir."
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Commentaires
1PanglossVendredi 28 Mai 2010 à 17:41Foin d'hypocrisie! Il faut gagner plus, donc travailler plus. Avant soixante ans, c'est pour rembourser le prix de la maison; après soixante ans, pour payer les mensualités de la convention obsèques.RépondreExcellent même si ça ressemble à de la mauvaise science-fiction. J'ai préféré en rire en priant tous les saints connus et inconnus pour que cela n'arrive jamais !Aucune chance pour que ça arrive, vu le taux d'emploi des seniors pour employer un terme à la mode.La question difficile n'est pas de travailler plus longtemps, c'est de trouver du travail.
Dr WO
Dans le monde professionnel, à 40 piges, nous sommes déjà classés comme « has been. »
Quand le chômage t'atteint entre la quarantaine et la cinquantaine, c'est déjà tout un binz pour retrouver un emploi, alors tu penses bien qu'à 80 piges, le problème est réglé d'avance..... Pas de travail, plus de retraite, il ne subsiste que l'euthanasie.
Bonne soirée Doc.... Bises. ZAZAMême commentaire que Souliko. Il vaut mieux en rire en espérant ne jamais vivre cela ! Patrick Besson a du talent.Cette fable est superbe mais elle ne se termine pas par une morale mais par un triste constat .."immobilisme dont on est pas prés de sortir "....Je pense que cette conclusion est plus ironique que triste. Dans ce texte, ne pas allonger le temps de travail de 90 ans à 100 ans serait une preuve d'immobilisme.
Dr WO
J'ai bien ri aussi, d'où le partage. Allonger sa vie n'est pas de notre ressort ou si peu.
Dr WO
15leonieLundi 7 Janvier 2013 à 16:17C'est bien connu, la réalité dépasse la fiction. La réalité c'est qu'avec les nouvelles politiques de managements dans les entreprises destinées à casser le travailleur et l'allongement de la retraite, celui ci cassera sa pipe avant de profiter d'une retraite méritée, du coup, pas d'argent à débourser... des économies substancielles non? Et puis c'est sympa que les jeunes regardent les vieux travailler en se demandant à quel moment ils vont leur laisser la place...16MARIE-HELENELundi 7 Janvier 2013 à 16:17J'ai bien ri à cette talentueuse fable de Besson!
Il vaut mieux ne pas trop allonger notre temps de vie.
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