C’est sans doute par esprit de contradiction que j’ai entrepris de relire L’Idiot de Dostoïevski, d’autant plus que cet écrivain n’avait guère de sympathie pour l’Occident et était très pro-slave. "Ses dernières années restent marquées par des discours enflammés sur l'âme et le peuple russes ainsi que sur la supériorité du « génie russe » sur les autres nations. Il attribue un rôle messianique au peuple russe, seul peuple capable de comprendre tous les autres et d'avoir ses spécificités nationales. Selon lui, le peuple russe a pour mission d'apporter le bonheur à l'humanité."Il aurait sans doute été un chaud partisan de Poutine.

Je ne comprends guère que l’on puisse boycotter la culture russe sous prétexte qu’un attardé du siècle dernier, trouvant que son immense pays n'est pas assez grand, a éprouvé le besoin de livrer une guerre barbare à ses cousins d’Ukraine en empruntant un couloir temporel parallèle à la réalité.

Quand je dis relire, ce n’est pas exact, car je me souviens d’avoir lu jadis un petit livre, sans doute un exemplaire expurgé, alors que le livre que j’ai entre les mains est un pavé de 1000 pages. J’en suis à la page 463 et je fatigue, ne serait-ce que par l’effort que je dois faire pour retenir les noms à rallonge des protagonistes. Que dire de cette première moitié ? D’abord, si quelques passages sont assez intenses, et certains même humoristiques, ils sont noyés dans de longs passages d’un intérêt limité qui ressemblent plus à du remplissage qu’à une nécessité littéraire. Ensuite, j’ai eu l’impression de lire la description d’une société russe manifestement perturbée, et je suppose que Dostoïevski n’en a pas déformé l’image à ce point.

Pour en revenir au boycott de la culture russe, j’ai vu que l’on avait même déprogrammé du Tchaïkovski ! Je pense que son homosexualité (passée sous silence par l’Etat russe) est tout de même un pied de nez à Poutine qui a passé son temps à rouler des mécaniques quand il était en forme pour montrer à quel point il était fort et viril.

D’une façon générale, je suis réticent au mélange des genres. Je suis réticent à ce que l’on introduise de la politique, de l’idéologie ou des opinions dans les manifestations sportives ou des divertissements et que la culture présente ou passée en soit la victime, ce qui n'exclut pas que l'on puisse la juger, mais en tenant compte du contexte de l'époque. Je suis réticent que l’on puisse récompenser une prestation ou une œuvre non pour ses performances ou ses qualités mais pour son contenu idéologique ou politique. Je ne vois pas pourquoi les sportifs devraient mettre un genou à terre pour lutter contre le racisme ou porter un signe pour lutter contre l’homophobie. Le sport, c’est le sport et les opinions sont les opinions. J’ignore si la prestation des Ukrainiens à l’Eurovision (car j’évite de regarder cette chose) méritait la première place, un biais de sélection serait regrettable.

Il est nécessaire d’appliquer une éthique dans les champs où l’éthique est à la base même des choix, mais il me semble préférable d’en épargner certains domaines qui doivent respecter leurs propres règles sans y introduire en plus de l’idéologie qui risque de les modifier, Mais pour ce qui concerne l'art, il est le produit d'une société, et les artistes expriment parfois leurs opinions à travers leurs oeuvres qu'il est cependant préférable de juger sur ce qu'elles sont et non sur le message qu'elles sont censées porter.

Illustration : manuscrit de L’Idiot