• Ce qui se conçoit mal s’énonce bêtement

    Ce qui se conçoit mal s’énonce bêtementAu début, je me suis dit : ce n’est pas possible, c’est un canular ou une médisance, voire un complot. Puis j’ai compris – une illumination – digne de celle d’Archimède dans son bain, alors que je n’étais ni nu, ni mouillé et à jeun.

    J’ai brusquement compris que c’était un jeu.

    Tout bêtement un jeu qui se joue à plusieurs dans l’enceinte du ministère de l’Education nationale. Ce lieu où l’imagination et l’esprit ludique sont proportionnels au nombre de diplômes supérieurs détenus par les participants. A moins que la proportionnalité s’établisse entre ce nombre et la grosseur du grain de folie qui pour les plus doués doit occuper l’intégralité de la boîte crânienne.

    Le principe du jeu est de réunir plusieurs hauts fonctionnaires – hauts, car il faut pour y jouer un haut niveau de compétence – le gagnant est celui qui trouve l’expression la plus compliquée pour traduire la notion la plus simple. Faire compliqué quand on peut faire simple est d’ailleurs la devise de ce ministère. Le but du jeu est donc de remplacer un mot scandaleusement banal et compréhensible par une longue périphrase absconse.

    Je parle d’expression, mais lors d’une séance, le vainqueur a remplacé « s’exprimer » par « produire des messages à l’oral et à l’écrit ». Avouez que sa victoire était méritée. Les joueurs du Conseil supérieur des programmes se sont surpassés dans les messages à l’oral et à l’écrit concernant les sports, ainsi un match de tennis ou de badminton est devenu un délicieux « Duel médié par une balle ou un volant » et jouer au ballon ne peut être que « Conduire et maîtriser un affrontement collectif » (à noter que le jeu devient une guerre). Quant à nager en piscine, le vainqueur du jeu l’a emporté avec son remarquable « Se déplacer de façon autonome dans un milieu aquatique profond standardisé ». Mais le vainqueur toutes catégories me parait être celui ou celle qui a produit le message suivant : « Aller de soi et de l’ici vers l’autre et l’ailleurs » pour la pratique d’une langue régionale.

    Je ne peux que lever mon chapeau devant les performances remarquables (dont je n’ai cité que quelques exemples) de ces têtes d’œuf un peu mollet en raison de l’élévation progressive pendant le jeu de la température intracrânienne.

    J’avoue que j’aimerais participer à ces joutes oratoires. Je pourrais, par exemple, proposer :

    « Se déplacer en s’élevant contre la pesanteur sur un plan incliné en utilisant une succession d’horizontalités fragmentées » pour monter un escalier.

    Ou « lancer les membres inférieurs vers l’avant l’un après l’autre en s’appuyant sur le sol avec le membre non mobilisé » pour marcher.

    Ou « explorer le forme dans le fond » pour toucher rectal.

    J’envie les membres du Conseil supérieur des programmes qui doivent bien s’amuser tout en étant grassement payés pour le faire.

    Cette « novlangue » n’est pas récente et c’est ça qui est effarant. Cela dure depuis des années, et ces gens n’ont aucun sens du ridicule (Molière se serait régalé), et aucun des ministres successifs à ce ministère n’est intervenu pour faire cesser ce jeu imbécile et risible là où on est censé prendre les dispositions pour apprendre aux jeunes la langue française.

    « Brèves du 28.04.15La bonté encombrante »

  • Commentaires

    1
    Mercredi 29 Avril 2015 à 18:55

    Un jeu bête et méchant pour former nos jeunes à la langue française Doc ! Comme me le répondait Pangloss sur un article traitant du même sujet "Nous formons des abrutis, nous leur fournissons une télé d’abrutis où nous glorifions l’inculture et la mauvaise éducation. Les nouvelles générations seront mûres pour accepter une dictature." Bonne soirée mon ami.

     

    2
    Mercredi 29 Avril 2015 à 19:13

    Les jeunes (d'un certain niveau) sont plus cultivés que l'on ne le pense. Certes, les bêtises de l'Education nationale ne se comptent pas, mais les moyens de transmissions de la culture sont aujourd'hui remarquables, et ceux qui le veulent en profitent. Il y a toujours eu des gens incultes ou des gens pour lesquels la culture n'avait aucun intérêt.

    3
    Mercredi 29 Avril 2015 à 21:59

    Je pense comme vous que dans tous les domaines, ceux qui veulent vraiment travailler trouvent les bons instruments, malheureusement, les moins doués qui n'ont ni  cervelle, et peu d'intelligence ingèrent voracement ce que "L'Education Nationale", leur jette allègrement et ceux-là vont grossir les rangs des "bien-pensant", qui à leur tour donnent du grain à moudre à la prochaine vague d'imbéciles... ainsi de suite, est-ce qu'un jour nous nous en sortirons de ce cercle plus que vicieux  ?

    4
    Mercredi 29 Avril 2015 à 22:22

    Oui mais vous savez Doc...

     ...il faut avoir la connaissance de tous ces Messieurs-là, si l’on veut être du beau monde. Ce sont eux qui donnent le branle   à la réputation dans Paris ; et vous savez qu’il y en a tel, dont il ne faut que la seule fréquentation, pour vous donner bruit de connaisseuse, quand il n’y aurait rien autre chose que cela.

    Vous avez raison : régalons nous avec Molière

    5
    Mercredi 29 Avril 2015 à 22:54

    LIVIA. Si les cuistres foisonnent à la tête de l'Education nationale et font beaucoup de mal, les bons profs ne manquent pas et rattrapent souvent le coup pour peu qu'on les laisse travailler.

    6
    Mercredi 29 Avril 2015 à 23:00

    CARLUS. Il y a d'ailleurs dans Molière ce genre de phrases alambiquées pour dire des évidences, notamment de la part des médecins qui masquent ainsi leur ignorance en impressionnant le public.

    7
    Jeudi 30 Avril 2015 à 11:17

    C'est un joli jeu et vous y excellez! Au moins vos fantaisies verbalisatrices ne nous coûtent rien alors que les élucubrations de cette bande de cuistres nous ruinent. 

    Amitiés.

    8
    Jeudi 30 Avril 2015 à 11:37

    Le ridicule ne tue plus mais rapporte.

    9
    Jeudi 30 Avril 2015 à 13:03

    Vos trouvailles sont excellentes. Bravo! Vous mériteriez une place au comité des programmes.

    Ces gens n'y ont manifestement rien à faire puisqu'ils s'amusent à de telles inepties. Et dire qu'on a une ministre! Et des syndicats de parents d'élèves (concernés au premier chef) qui devraient au moins exiger que les programmes deviennent intelligibles.

    10
    Jeudi 30 Avril 2015 à 13:18

    Je ne prendrai pas le risque de postuler pour une place dans ce club d'imbéciles patentés, on est toujours l'imbécile de quelqu'un. wink2

    11
    Vendredi 1er Mai 2015 à 09:37

    J'aurais une explication Charlie : le prof de gym est susceptible. Il craint qu'on l'imagine encore, comme dans le Grand Duduche de Cabu, comme une sorte d'adjudant à sifflet. Donc il surjoue l'intello. Qu'on soit bien persuadé qu'il a aussi la cervelle musclée.

    http://ladeviation.eu/IMG/arton1866.jpg?1270662140

     

    12
    Vendredi 1er Mai 2015 à 11:39

    Le jargon ne fait pas l'homme.

    13
    Vendredi 1er Mai 2015 à 14:34

    Et on prétend vouloir aider ceux qui n'ont pas la chance de vivre dans un milieu dit "cultivé".. un véritable foutage de gueule.. et la preuve que notre système éducatif fabrique des inégalités criantes ... 

    14
    Vendredi 1er Mai 2015 à 15:59

    La "calinothérapie" contribue à accentuer les inégalités.

    15
    Barbara
    Dimanche 17 Mai 2015 à 20:35

    Apparemment, de la culture, ils n'ont retenu que les Précieuses Ridicules. De mémoire : apportez-nous céans les commodités de la conversation. La pauvre soubrette ne comprends pas qu'elle doit apporter des fauteuils.


    Si Molière pensait décourager les gens de se ridiculiser avec un tel langage, c'est raté !

    16
    Dimanche 17 Mai 2015 à 22:33

    Ce qui prouve bien que Molière est intemporel.

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