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488. Sémantique funèbre
Manet : "le suicidé"
Dans la discussion autour de la loi sur la fin de vie, la sémantique apparait comme essentielle mais avec un parfum d’hypocrisie. Le projet de loi parle « d’aide à mourir » pour éviter d’utiliser le mot suicide (assisté) et celui d’euthanasie. Il faut bien constater que l’activité médicale consiste toujours à aider à mourir, sans donner directement la mort, quand elle est dans l'incapacité d’aider à guérir. Cette loi doit encadrer le suicide assisté et l’euthanasie, les circonvolutions sémantiques n’y changeront rien.
On compte aussi pinailler entre « pronostic vital engagé à court ou moyen terme » et « phase terminale », notons que si l'on ajoute "phase avancée", on inclut beaucoup de monde. Autrement dit une discussion qui porte sur la détermination par les médecins du temps qui reste à vivre pour un patient. Discussion assez curieuse car si l’on choisit « phase terminale » toute loi nouvelle est inutile car la loi actuelle est parfaitement adaptée à cette phase de mort imminente. Quant à discuter entre le « court terme » et « phase terminale », c’est un peu discuter du sexe des anges. Reste le « moyen terme », alors, là, nous sommes dans l’inconnu, en remarquant que passé un certain âge le pronostic vital est toujours engagé à « moyen terme » car on ne peut plus parler de « long terme ».
L’euthanasie par décision d’autrui concerne surtout le cas des patients dans un coma profond et prolongé où la vie est artificiellement maintenue et où se pose la question du moment où l’on doit arrêter les soins, c’est aux médecins de décider sauf directives anticipées du patient.
L’euthanasie par suicide assisté concerne des patients conscients et dont la volonté est intacte, avec schématiquement deux cas :
- Le cas d’un malade incurable qui veut éviter les souffrances et la décrépitude qui doit précéder une mort prochaine. Dans un tel cas la personne pourrait revendiquer sa liberté de choisir le moment de sa mort.
- Le cas d’une personne qui estime que sa vie est devenue intolérable par ses souffrances ou son handicap sans que sa vie soit réellement menacée. C’est dans ce dernier cas où l’on peut constater des dérives comme celle que l’on a vu en Belgique, le suicide assisté d’une femme de 20 ans pour raisons psychologiques. Mais je ne crois pas que le projet de loi actuel ait prévu ce cas. La façon dont les projets de loi sont rédigés, la lourdeur et la longueur du texte sont telles que l’on finit par ne rien y comprendre.
Hier soir à l’assemblée, Laure Lavalette, opposée à ce projet de loi sur la fin de vie, a soulevé quelques remous en intervenant : « En faisant croire que vous respectez l’ultime liberté, vous piétinez la politique de prévention du suicide ». Et en faisant un parallèle qui a provoqué la colère d’élus : « Quand les pompiers, le Samu, arrivent sur une scène de défenestration (...) que font-ils ? Est-ce qu’ils regardent la personne en disant : je respecte sa liberté, il voulait se suicider, on ne va pas le réanimer ? La réponse est non. ».
Il ne faut pas confondre la liberté de choisir le moment de sa mort pour un patient condamné à brève échéance et le suicide d’une personne, souvent jeune, aucunement menacée par une maladie incurable, et chez laquelle la prévention du suicide doit justement s’appliquer. Et combien de personnes ayant tenté de se suicider furent bien contentes d’avoir survécu. Là encore c’est une question de sémantique et utiliser les mots à mauvais escient provoque la confusion et de fausses polémiques. Reste que la remarque de Mme Lavalette aurait été moins déplacée si l’on avait envisagé le suicide réclamé par une personne sur son ressenti en l’absence de mort prévisible. On fait parfois mauvais usage de sa liberté.
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Commentaires
2Souris doncMercredi 5 Juin à 08:37Les Suisses sont beaucoup plus avancés que nous, et dans la sémantique, et dans les options, et dans les solutions concrètes.
Nous, c'est encore : Y a un mort à la maison, si le coeur vous en dit, venez donc prendre un verre avec nous sur le coup de midi.
Mais où sont les funérailles d'antan, les petits macchabés ronds et prospères ?Quand les héritiers étaient contents, aux fossoyeurs, au croque-mort, au curé, aux chevaux même, ils payaient un verre...
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Mercredi 5 Juin à 08:58
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Il n'y a que des cas particuliers. Introduire des règles sous la pression de théoriciens amènera à des aberrations.
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Mercredi 5 Juin à 11:09
En pratique il n'y en a que trois : le coma prolongé, la fin d'une maladie incurable, et la vie intolérable (qui peut conduire au suicide spontané). Ce dernier cas n'est pas envisagé, apparemment, par le projet de loi, mais il est pris en compte ailleurs comme en Belgique. Considérer que sa vie est intolérable peut en effet recouvrir des situations multiples, de la dépression profonde à la maladie neurodégénérative, et c'est ici que les dérives sont possibles.
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Je ne comprends pas bien les arguments qui sont avancés par les uns et les autres dans ce débat. Il me semble malgré tout que la sédation profonde ou la mise sous coma artificiel serait de nature à régler tous les cas.
PS Hors Sujet : Mais j'ai une grande admiration pour tous ceux qui défendent le droit (le devoir ?) à la vie de personnes malades et mourantes et qui dans la même journée applaudissent un dictateur qui, pour tenter de laisser un nom dans l'histoire, a déjà provoqué la mort des centaines de milliers de jeunes bien portant dans son pays et dans celui d'un pays voisin.
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Mercredi 5 Juin à 12:09
Dans nombre de maladies il y a un état difficile à vivre qui précède la phase terminale prise en charge par la sédation et que des patients ne veulent pas vivre puisque la maladie ne peut que s'aggraver.
Pour la remarque concernant les admirateurs des dictateurs meurtriers, il semble que l'esprit humain est cloisonné en cases qui ne communiquent pas toujours entre elles.
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"Quand c'est flou, y'a un loup..." semble dire une certaine sagesse populaire.
Sans être familier des vocables médicaux et/ou juridiques, permettez moi de penser que les rédacteurs de la loi en question savent, eux aussi, que leur texte peut prêter à des confusions et à des interprétations divergentes qui permettront à terme tout et son contraire.
Dans un domaine plus vaste que celui-ci, les batailles d'expert et d'avocats démontrent quasi quotidiennement cette difficulté d'interpréter un texte. Si le flou est entretenu sciemment, les rédacteurs de la loi connaissant toute l'ambiguïté de leur texte et pour cause, comme je le crois, c'est effectivement une monstrueuse hypocrisie sous couvert d'humanité.
Je ne sais pas si le "flou" est voulu. Mais de ce que j'ai pu lire, on n'arrive pas à discerner l'essentiel. On est noyé dans un texte qui n'en finit pas et qui se répète. Il me semble que l'on pourrait faire plus simple en précisant les cas rencontrés comme j'ai tenté de le faire dans mon petit billet et ce que pourrait apporter la loi dans chacun de ces cas. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué. Vous pensez que c'est volontaire, je pense que c'est une indécision et la peur de heurter les opposants à ce projet de loi en raison de convictions philosopho-religieuses.
Et cette indécision est forcément volontaire... p'têt' ben qu'oui, p'têt' ben qu'non ... ce n'est ni de l'ignorance, ni de la sottise, mais un mépris hautain. On retrouve ici comme ailleurs cette lâcheté inavouée du "en même temps" alliée à la vanité majestueuse de "la pensée complexe"
(PS. je n'apprécie guère monsieur le président)
Lâcheté plus que mépris.