7 Janvier 2013
« Les proches de la victime d'un accident peuvent désormais obtenir une indemnisation réparant le préjudice ressenti par le défunt en voyant venir sa mort. La Cour de cassation vient d'admettre ce préjudice d'anxiété qui, jusqu'à présent, n'était reconnu que pour certaines personnes, notamment les travailleurs qui ont été exposés à l'amiante et craignent de voir se déclarer un jour une maladie éventuellement mortelle. La justice a étendu cette notion à un accidenté de la route, gravement blessé, qui avait eu le temps de comprendre que son décès était imminent… » |
Indemniser la peur de la mort, c’est tout de même révolutionnaire. Il est spécifié que cette indemnisation ne peut être réclamée que par les proches. On ne voit pas ce que le défunt pourrait en faire dans son tombeau, mais on ne voit pas non plus pourquoi les proches devraient toucher de l’argent pour une peur ressentie par le disparu. Le magistrat a précisé que le mourant doit mourir en pleine conscience et avoir la certitude qu’il va mourir, il faut donc des témoins pour recueillir l’expression de cette certitude. Mais attention, s’il ne meurt pas ça ne compte pas, car l’anxiété serait difficile à démontrer selon le magistrat. Autrement dit, pour celui-ci, si la mort ne survient pas, la crainte de la mort serait erronée, ce serait une fausse peur. Il y a donc des vraies peurs et des fausses peurs. Si quelqu’un menace de vous tuer, la peur de mourir n’est pas authentique s’il ne vous tue pas. Les subtilités judiciaires m’échapperont toujours.
Il faudrait étendre cette jurisprudence à beaucoup de maladies et notamment à l’infarctus du myocarde qui se caractérise souvent par une sensation de mort imminente, mais à condition que cette sensation se concrétise, seule preuve de sa réalité.
La peur de la mort me semble une anxiété très répandue et la certitude de mourir bien établie pour chacun d’entre nous, et ressentie en pleine conscience. Il serait donc logique que vos proches touchent une indemnité s’ils vous survivent. Le magistrat s’y opposerait en arguant que dans ce cas, la mort n’est pas ressentie comme imminente si vous n’avez aucune raison de mourir dans l’immédiat, je pourrais lui répondre qu’il n’en sait rien et que la mort , dont la crainte est présente toute la vie, peut survenir brutalement. Comme l’écrivait Saint-Exupéry dans « Terre des hommes », voyant sa fin venir dans le désert : « Trente ans, trois jours, c’est une question de perspective ».
On pourrait donc, si l'on se réfère à la décision de la Cour de cassation, proposer d’étendre le droit à cette indemnisation de la peur de la mort à tous ceux qui ont eu « l'inconvénient d'être né »(Cioran) pour finalement mourir, qui le savent fort bien et le redoute.
Curieux monde occidental pétri de peur, mais ce sentiment est considéré comme inacceptable. Il se calfeutre, se précautionne, se « préventionne », s'infantilise, demande assistance, et s’assure pour tout et parfois pour n'importe quoi. Où il faut que les aspérités de la vie, les souffrances, les chocs, les drames aient un aspect marchand sous forme d'indemnisations pour que justice soit faite, car la souffrance est injuste et doit être réparée. Où il serait impossible de faire son « travail de deuil » sans qu’un coupable soit désigné et sans avoir été indemnisé, c'est-à-dire, en quelque sorte, rémunéré pour ce « travail ». Où même la peur de mourir n’est plus assumée, n’est plus dans la nature des choses et peut être monnayée au bénéfice des proches.
Andrea Mantegna : « Christ mort »