21 Août 2013
André Comte-Sponville (ACS) est un passeur de philosophie que j’aime bien[1]. Sa langue est claire et pédagogique. A propos de la prochaine sortie de la deuxième édition de son « Dictionnaire philosophique » (le 28 août d’après mon libraire) il a répondu aux questions d’un journaliste du Point (du 15 août 2013). Dans cet ouvrage il y aurait une nouvelle entrée : « politiquement correct » et à la question : « …estimez-vous que le politiquement correct a gagné du terrain ? » sa réponse a été la suivante : «Oui, malheureusement ! La politique est en crise ; la morale est à la mode. D’où la tentation, chez beaucoup, d’ériger les bons sentiments en projet politique. Le politiquement correct, en tout cas en France, est d’abord un moralement correct ! J’y vois un danger plus qu’un progrès. La morale et la politique sont deux dimensions essentielles de notre vie, mais on a toujours tort de les confondre. Il ne suffit pas d’être antiraciste, par exemple, pour définir une bonne politique de l’immigration. » En cela ACS s’oppose à Rousseau qui disait : «Ceux qui voudront traiter séparément la politique et la morale n’entendront jamais rien à aucune des deux ». Mais Rousseau vivait à une époque bien différente de la nôtre.
Ce qu’on appelle le politiquement correct est avant tout un langage, des discours, des attitudes et des opinions. Obliger les gens à utiliser un mot plutôt qu’un autre, c’est suivre la tendance morale du moment et l’influence des groupes de pression. Le vocabulaire change jusqu’au ridicule pour ne pas heurter la susceptibilité exacerbée de telle ou telle fraction de la population. Le vocabulaire, c’est de la cosmétique, mais pas de la politique, c'est-à-dire gouverner.
Cette morale est largement imprégnée du rejet de la négation des valeurs humaines observée pendant la IIème guerre mondiale, et dont on craint le retour. L’Union européenne est particulièrement vigilante au respect de ces valeurs. Elle est aussi une conséquence de la repentance de l’ère coloniale. C’est une prise de conscience nécessaire, mais ce n’est pas faire de la politique. Condamner (parfois devant les tribunaux) des opinions parce qu’elles heurtent l’opinion majoritaire ou des principes adoptés ou imposés au plus grand nombre, est-ce gouverner ou niveler la pensée ? Il est vrai que niveler la pensée est un principe de gouvernement.
Est-ce à dire que la politique ne doit pas tenir compte de la morale (je ne parle pas de la moralité individuelle) ? Il existe des opinions moralement incorrectes qui, dans leur expression, poussent à des exactions ou même au meurtre et les condamner pour maintenir l’ordre, c’est faire de la politique.
Mis à part les opinions dangereuses qui propagent la haine, le politiquement correct, tel qu’il est imposé, est souvent une attitude d’évitement et en se substituant à la politique, car il est plus simple de faire de la morale que de la politique, il finit par cultiver les difficultés plutôt que de les résoudre. Se contenter du moralement correct risque d’aboutir à un politiquement incorrect.
[1] Si vous ne l’avez pas déjà lu, je vous conseille de lire un de ses livres ; « L’esprit de l’athéisme » qui montre que l’athéisme a aussi sa spiritualité.